A quelques jours du premier tour des élections municipales, Hugues Clepkens réagit à la publication, par le ministère de l’Intérieur, des listes de candidats.
« Unis » pour ceci, « engagés » pour cela, « continuons ensemble ! », « décidons nous-mêmes », telle ville « au cœur », telle autre « en commun »… etc… et seuls quelques rares « Lutte ouvrière-faire entendre le camp des travailleurs », « union de la droite, des républicains et du centre », « choisir l’écologie pour x » ; décidément, à défaut de masque protecteur contre l’épidémie, l’affichage des listes de candidats pour les élections municipales dissimule le plus possible la tendance politique de leurs membres. Contrairement à une opinion répandue actuellement, il ne s’agit pas d’une pratique nouvelle puisque, déjà en 1989, des observateurs du traitement médiatique du scrutin communal d’alors avaient constaté que « l’absence de référence à l’étiquette partisane de nombreux candidats » avait permis aux journalistes de diagnostiquer « la crise des partis », voire « la vacuité politique » qui en résultait.
Tout au plus pourrait-on considérer que la diffusion de cette pratique s’est accrue et qu’elle est devenue la règle minimale à respecter pour se présenter à l’électeur. Pratique d’autant plus étonnante pour des élections municipales puisque 95 % des 162 000 grands électeurs des sénateurs, d’après les données publiées par le Sénat, seront des délégués de ces conseils municipaux ainsi élus sans avoir affiché au préalable, leurs opinions partisanes…
Or, selon la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». A la suite de Gambetta qui l’avait surnommée le grand conseil des communes de France, le président Christian Poncelet – repoussant formellement l’appellation de haute assemblée – proposait même, en 2000, d’y substituer l’expression actualisée : Sénat, Assemblée des collectivités territoriales de la République et des territoires de France. Quelle que soit la dénomination retenue, le Sénat, assemblée politique au même titre que l’Assemblée nationale et à l’utilité républicaine indispensable, représente les collectivités et il apparaît d’autant plus étonnant que ses futurs électeurs choisissent de dissimuler leur propre orientation politique lorsqu’ils soumettent leur candidatures aux élections locales, à leurs concitoyens !
Est-il nécessaire d’insister sur la portée politique que revêtent nombre de décisions locales, puisqu’elles consistent à faire des choix ?
Car « Choisir », ainsi que Pierre Mendès France a appelé ses mémoires, c’est l’essence de la politique. Puisqu’il appartient aux seuls élus, dans une démocratie représentative, de se prononcer entre plusieurs options, à quelle occasion le citoyen exprime-t-il sa préférence partisane si ce n’est lorsqu’il élit ses représentants ? Prétendre que l’élection n’emporte pas de choix partisan, c’est priver la vie publique de son contenu politique… mais au bénéfice de qui et de quoi ? A contrario et pour se placer dans la ligne actuelle, paraît-il dominante, ne plus exprimer aucune volonté d’orientation politique de l’action publique locale conduit tout droit à vider celle-ci de légitimité et donc, d’utilité. Pourquoi s’étonner ensuite que la rue ne représente plus que le seul forum où s’expriment, violentes, désordonnées et impuissantes à arbitrer subtilement entre plusieurs options, les opinions les plus diverses ? Sans épiloguer sur la vacuité des propos incohérents qui brouillent tant de messages postés sur le net…
Le gouvernement a contribué à troubler la situation et à rendre illisibles les résultats des élections municipales de 2020.
D’une part, il a éparpillé les étiquettes qu’il applique lui-même aux listes urbaines, d’autre part, il a supprimé toute référence partisane dans les communes les moins peuplées, en remontant de 1 000 à 3 500 habitants, le seuil en dessous duquel les tendances n’apparaissent plus et après avoir échoué à le faire jusqu’à 9 000 ! De ce fait, les votes des électeurs, exprimés par 32 % de la population dans 91 % des communes, ne pourront pas être analysés directement au plan politique alors que, dans les communes peuplées, l’effet inverse dû à l’éparpillement entre plusieurs dizaines d’étiquettes, rendra la compréhension du vote tout aussi inefficace.
Où comment occulter les résultats d’un scrutin au moment où la situation politique du pays est confuse et indécise…
Mais qu’en sera-t-il pour les élections sénatoriales à venir ? Comment en tirera-t-on des enseignements alors que la situation de départ, résultant du scrutin municipal, sera elle-même illisible ? Est-ce ainsi que l’on espère réconcilier la majorité des Français avec la vie politique ? À moins que l’objectif visé, à plus long terme, soit de prétendre vider le Sénat de son utilité… avec toutes les conséquences institutionnelles et… politiques que cela entraînerait.
Hugues Clepkens