Le biais de confirmation désigne la tendance à ne chercher et ne privilégier que ce qui conforte nos propres opinions. C’est une tendance naturelle, trop humaine, dont il faut apprendre à se libérer en pensant aussi contre soi-même et en acceptant d’accueillir une proposition qui ébranle nos certitudes. Dans le champ politique, le biais de confirmation dupe le militant ; les évènements ne valent que par leur conformité à la cause. On ne retient que ce qui convient, on écarte le reste. La supercherie vaut à droite comme à gauche, mais c’est aux extrêmes qu’on pratique à plein régime. Ici, la duperie tourne très vite à la mauvaise foi. Dès lors, il ne s’agit plus seulement de retenir les évènements qui coïncident à la cause, mais de tout soumettre à sa vision du monde. On n’écarte plus l’évènement, on le détourne.
La récente affaire de l’affiche LFI sur Cyril Hanouna est un cas d’école. Ce dernier est représenté sous les traits du juif Süss de l’ignoble filmLe juif éternelsupervisé par Goebbels. On peut trouver l’émission d’Hanouna racoleuse et démagogique, le débat y est la plupart du temps réduit à des invectives et la pensée y trouve son apogée à travers la binarité de petites pancartes “j’aime ou j’aime pas”.
Pour autant, cela n’empêche pas d’être scandalisé par l’ignominie d’une affiche qui rappelle les pires heures de notre histoire. Devant l’indignation provoquée par cette iconographie antisémite, LFI a retiré l’affiche, mais reste droit dans ses bottes en parlant d’erreur de communication ou en rejetant leur responsabilité sur l’intelligence artificielle de la plateforme Grok, appartenant à Elon Musk. Inutile de s’étriper, clament les responsables et militants LFI, le coupable est ailleurs : c’est la plateforme qui est antisémite, la preuve, elle appartient à un type qui fait le salut nazi.
Quid de la requête faite auprès de l’IA pour que tous les traits soient suffisamment accentués pour ressembler à ce que l’on veut qu’ils ressemblent ? Si je demande à l’IA de me faire un tableau dans le style de Van Gogh à partir d’une photo, cela ressemblera à du Van Gogh, pas à du Picasso. L’IA répond à la requête. Celle-ci précède la réalisation, elle en est même la condition de possibilité. Il y a une main derrière l’ordinateur, c’est elle qui demande de forcer le trait, d’exagérer les contours, c’est elle qui demande de représenter Cyril Hanouna à l’image du juif Süss. Pas de main, pas de dessin.
Mais, ne reculant devant aucun argument fallacieux, LFI préfère incriminer la plateforme, feignant même de ne pas connaître l’odieuse référence antisémite.
Ceux qui font le lien ont sans doute des grands-parents qui collectionnaient ces affiches d’extrême droite des années 40, mais pas de ça à LFI : « pas de bol, nous, on n’a pas ces affiches, on n’est pas au courant, on sait pas, d’accord ? ». Arguant d’une campagne d’extrême droite visant LFI, les raccourcis virent au sophisme le plus crasse : les réseaux d’extrême droite dénoncent cette affiche ; vous dénoncez cette affiche, donc vous êtes d’extrême droite ! Le dessinateur Joann Sfar d’extrême droite ? Laurent Joffrin, d’extrême droite ? Fabien Roussel, d’extrême droite ? Assimiler tous ceux qui dénoncent cette affiche à des relais de l’extrême droite, c’est précisément faire le jeu de celle-ci. Le RN peut ainsi se frotter les mains et continuer son entreprise de dédiabolisation en avançant masqué sur le tapis rouge déroulé par l’extrême gauche.
Deux manières pour les extrêmes, deux méthodes pour arriver au pouvoir : Dans un cas, on joue la dédiabolisation pour ratisser plus large et accéder au pouvoir par les urnes ; dans l’autre, on joue la provocation et on attise les haines pour tenter une prise de pouvoir par la rue. Démocratie dupée ou démocratie empêchée, la perspective inquiète le citoyen de bonne foi. Quant au meeting de Brest, les militants applaudissent le tour de passe-passe de Mélenchon et regardent leur chef avec les yeux de Chimène ; ils affichent leur mauvaise foi.
Mélenchon feint de ne pas reconnaitre la référence antisémite et en fait des tonnes, car personne n’est dupe : il sait qu’ils savent qu’il sait, cela amuse l’auditoire ! Ce n’est plus le biais de confirmation qui fait son travail de sape, c’est en pleine conscience que les militants sans scrupule applaudissent leur leader. La méthode vaut son pesant de déshonneur : on fait le buzz pour promouvoir la marche d’un antiracisme à géométrie variable, quitte à utiliser le pire de ce qu’on est censé dénoncer.
Maintes fois les gauches se sont rassemblées par pragmatisme électoral sans effectuer le travail critique nécessaire.
La réconciliation portait ainsi dans son sillage la rupture à venir, jusqu’à la prochaine élection. Qui prendra la responsabilité à gauche pour dire que cette fois la ligne rouge a été franchie, réellement franchie, irrémédiablement franchie ?
Vincent Millet