La vie politique britannique a été rythmée, depuis la consultation intervenue le 23 juin 2016, par les soubresauts politiques successifs liés au Brexit. La démission du premier ministre David Cameron, qui avait imprudemment lancé l’idée d’un référendum sur la sortie de l’Union européenne de son pays pour des raisons de politique intérieure, sans s’attendre le moins du monde au résultat qui s’en est suivi, est intervenue dans la foulée du « non ». La ministre de l’Intérieur, Theresa May, qui est alors devenue première ministre, malgré sa bonne volonté, en raison d’une majorité étriquée à la chambre des communes, et très dépendante d’un groupe de dix députés unionistes nord-irlandais hostile à tout compromis, a fini par échouer dans ses tentatives successives de finaliser un accord commercial post-Brexit. Son remplacement par Boris Johnson, suivi des élections triomphales du 12 décembre 2019, ont abouti à la signature d’un accord imparfait qui se révèlera impraticable comme la suite des évènements allait le démontrer. A la suite de scandales à répétition, Boris Johnson dû céder la place à Liz Truss, qui, en raison de ses graves fautes politiques, n’est restée qu’une cinquantaine de jours au 10, Downing Street.
Le pragmatisme intéressé de Rishi Sunak
Puis, est arrivé Rishi Sunak dont le beau-père est qualifié de « Bill Gates indien », le nouveau Premier ministre a opté d’emblée pour une position plus pragmatique. Conscient que le Brexit constitue un naufrage sur tous les plans, politique, commercial, économique et international, Rishi Sunak a mûri une politique qui s’est manifestée dans les mois de son accession au pourvoir.
Ses services se sont ainsi rapprochés de la Commission européenne afin d’examiner dans quelles conditions il serait possible de rejoindre certains programmes de l’Union européenne.
Le 7 septembre 2023, à l’issue d’une rencontre entre le Premier ministre britannique et la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, était annoncé le retour du Royaume-Uni dans les programmes Copernic et Horizon. S’agissant du programme Copernic, il s’agit de surveiller l’évolution de l’environnement de la planète grâce à des alertes depuis l’espace afin de contribuer à la gestion des catastrophes naturelles dont on a encore pu mesurer l’intensité cet été notamment au Maroc, en Libye, mais aussi avec la canicule dans le sud de l’Europe.
L’habileté manœuvrière du Royaume-Uni
Après leur départ de l’Union européenne, la commission européenne s’était opposée au retour du Royaume-Uni dans ce programme en raison de blocages successifs et permanents sur la mise en œuvre du protocole l’accord relatif à l’Irlande du nord. Finalement, le Royaume-Uni a accepté de verser un total de 616 millions d’euros jusqu’en 2027 pour adhérer à Copernic.
Le Royaume-Uni a aussi voulu revenir dans le programme Horizon, afin de stimuler la recherche dans son pays. Les laboratoires de recherche ont été très pénalisés par la sortie de ce programme consécutif au Brexit. Selon les termes de la déclaration conjointe du 7 septembre 2023, « l’association à Horizon Europe renforcera et approfondira encore les liens entre les communautés scientifiques du Royaume-Uni et de l’UE, encouragera l’innovation et permettra aux chercheurs de travailler ensemble sur des défis mondiaux, qui vont du climat à la santé. Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission européenne se réjouissent de rendre possible entre les chercheurs une collaboration à laquelle le Royaume-Uni et l’UE ont un intérêt commun, par exemple dans le domaine des technologies nouvelles et émergentes ».
Ne perdant jamais le sens de la négociation, Rishi Sunak a immédiatement obtenu une clause avantageuse dite de « récupération » qui permettra au Royaume-Uni de recevoir une indemnisation s’ils perçoivent moins d’argent que ce que le pays a investi dans le programme.
Avant même la réintégration dans un programme de l’Union européenne, voici le retour du « I want my money back » de Margaret Thatcher !
Un retour programmé dans le programme Erasmus ?
Enfin, le premier ministre a évoqué le retour de son pays dans le programme Erasmus d’échanges d’étudiants entre les universités.
Si l’on ne peut que louer cette volonté du Royaume-Uni de se rapprocher de l’Union européenne, cette politique de Rishi Sunak constitue un véritable revirement qui montre une fois de plus le pragmatisme très intéressé des Britanniques.
D’une part, le Premier ministre tire le constat de l’échec du Brexit, au grand dam des parlementaires les plus à droite du parti conservateur, notamment dans la tentative des premiers ministres successifs de signer des accords de libre-échange avec les pays du monde entier. Malgré des accords formels avec l’Australie le Japon et d’autres pays, ces accords ne remplaceront jamais les débouchés commerciaux avec l’Union européenne dont elle constitue le premier débouché commercial. D’autre part, les accords avec les Etats-Unis ne pourront aller au détriment des intérêts américains, y compris avec l’administration Biden qui a lancé un plan connu sous le nom d’Inflation Reduction Act (IRA) plan ambitieux de transition énergétique d’un montant de 350 milliards de dollars, dont la dimension protectionniste ne fait aucun doute.
Irlande du Nord : un conflit soldé
Rishi Sunak a discrètement « liquidé » le contentieux post Brexit portant sur le protocole de l’Irlande du Nord, en acceptant d’apposer sur les produits britanniques issus du reste de la Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord la mention « produit non destiné à l’Union européenne », afin de mettre un terme de facto aux contrôles en mer d’Irlande du Nord qui étaient impossibles à réaliser en pratique, et constituaient un frein considérable aux échanges commerciaux et à l’approvisionnement de la province en produits de première nécessité, notamment alimentaires.
En soldant le contentieux nord-irlandais, le Premier ministre a pavé la voie vers le rapprochement avec l’Union européenne, déjà tracée avec la signature du protocole de Windsor le 23 février 2023, qui a consacré une diminution considérable des exigences de l’Union européenne concernant d’une part, le contrôle sur les produits arrivant en Irlande du Nord et, d’autre part, sur la règlementation sanitaire des produits.
Ainsi, l’agence européenne du médicament ne délivrera plus les autorisations de mise sur le marché des médicaments, mais les autorités britanniques seules, à partir du moment où il n’existe pas de risque que ces médicaments passent vers l’Irlande et donc entrent dans l’Union européenne. Le parlement régional nord-irlandais a en outre reçu un quasi-droit de veto sur certaines lois européennes dont très peu resteront applicables. Dans cette affaire, l’Union européenne a fait des concessions considérables, qui seront certainement à terme sujets à de nouveaux contentieux.
Mais encore une fois, tout en faisant montre d’un grand pragmatisme, le premier ministre ne veut pas entendre parler d’une réintégration même a minima dans l‘Union européenne qui reste une organisation bannie, voire haïe, du parti conservateur notamment de la droite nationaliste et populiste du parti.
La position ambiguë du leader travailliste Keir Starmer
Le parti conservateur, d’ores et déjà en campagne pour des élections législatives qui devraient avoir lieu en 2024, dénonce aujourd’hui avec vigueur le leader du parti travailliste Keir Starmer qu’il soupçonne de vouloir intégrer l’Union européenne. Des manifestations en vue de cet objectif ont d’ailleurs régulièrement lieu, notamment à Londres.
Il est vrai que le leader travailliste que beaucoup présentent désormais comme le futur Premier ministre, s’est rendu à Paris à la veille de la visite d’Etat du Roi Charles III et de la Reine Camilla, pour y rencontrer des chefs d’entreprises et avoir une entrevue avec le président français Emmanuel Macron.
Toutefois, qu’il s’agisse des conservateurs ou des travaillistes, la ligne politique est la même : faire en sorte que le Brexit fonctionne sans à aucun moment concéder qu’ils pourraient un jour solliciter la réintégration du Royaume-Uni dans l’Europe. Sir Keir Starmer a imprudemment avancé l’idée qu’il pourrait demander, une fois arrivé au 10 Downing Street, la réécriture de protocole commercial post-brexit. Mal lui en a pris. D’une part, il s’est fait sur ce point reprendre par les dirigeants conservateurs l’accusant de vouloir trahir le peuple britannique et, d’autre part, les instances européennes ont clairement énoncé qu’il était hors de question de revenir sur un accord qui avait été négocié et ratifié par les Etats.
Des pressions venant de…l’Allemagne
Il importe sur ce point à la commission européenne, chargée de l’application des traités, de faire preuve d’une grande vigilance. Le commissaire Thierry Breton s’est ainsi opposé à ce que soit supprimée la taxe de 10% devant entrer en vigueur sur les véhicules électriques venant du Royaume-Uni à compter du 1er janvier 2024, 80% des composants des batteries de ces voitures venant de Chine. Or, il faudrait 45% de composants européens pour que l’industrie automobile soit exemptée de cette taxe. Le Royaume-Uni, soutenu par plusieurs pays, dont l’Allemagne grand exportateur de voitures, espère que cette taxe ne verra pas le jour.
La Commission européenne cédera-t-elle aux pressions de l’Allemagne et au lobbying des producteurs de voitures ?
C’est bien sûr la crédibilité de l’Europe qui est en jeu. Lors de son discours sur l’État de l’Union devant le Parlement européen le 13 septembre 2023, la présidente de la Commission européenne a en outre annoncé l’ouverture d’une enquête sur les subventions accordées aux véhicules électriques par le gouvernement chinois en raison d’une concurrence manifestement déloyale.
On le voit donc : l’opération « Brit’in » a commencé. Il appartient à l’Union européenne d’éviter que cette opération réduise à néant l’accord commercial post-Brexit au seul bénéfice du Royaume-Uni.
Patrick Martin-Genier