Avec Par-delà l’oubli, son premier roman, Aurélien Cressely nous entraîne dans un monde hirsute où se mêlent personnages extraordinaires et monstres ordinaires. Le personnage central n’est autre que René Blum, frère de Léon. Mais ce n’est pas le « frère de » qui intéresse Cressely, non. C’est l’homme qui marche vers son destin, vers Auschwitz. René c’est d’une certaine façon l’opposé de Léon. Peu intéressé par la politique, il n’a eu de cesse de se construire une existence aux mille vies. C’est un homme de culture pour qui l’Art a besoin de mélanges, de brassages et d’insolences. René c’est l’homme sans qui les Ballets Russes n’auraient pas été ce qu’ils sont dans la mémoire collective ; c’est l’homme qui a permis à Marcel Proust de publier chez Grasset Du côté de chez Swann ; c’est l’homme ouvert à toutes les aventures intellectuelles, un être pour qui la recherche du Beau, la quête de l’esthétisme mérite tous les sacrifices.
Comme beaucoup de Juifs alsaciens René voue un culte inconditionnel à cette Révolution Française grâce à laquelle il peut se targuer hautement de son attachement à la terre de France et à son héritage. C’est ainsi que, durant la Grande Guerre, dans Amiens décharnée par les bombes, avec quelques autres au risque de sa vie et sans qu’il en ait reçu l’ordre, il sauve dans une abbaye les derniers tableaux et dernières statues que le feu a miraculeusement épargné.
René Blum, le Juif dont le frère servira en 1940 de référence pour l’exposition « comment reconnaître un juif », n’a pas hésité d’arracher du néant ce que l’art religieux chrétien avait de plus beau, ce la France a de plus magnifique en héritage. Pour cela, il a été cité.
Le roman débute avec l’arrestation de René par la police française en 1941. Il s’achève en 1942 quand il arrive à Auschwitz pour y mourir. Mais — et c’est sans doute le plus insoutenable, dans ce roman — Aurélien Cressely, tout au long de ces neuf mois de détention nous renvoie à la vie flamboyante qui fut celle de René… avant. Ce mélange entre passé et présent est d’une puissance rarement égalée. Par-delà l’oubli c’est à la fois un roman — l’auteur s’est permis certaines libertés en inventant des personnages aux côtés d’autres qui ont réellement existé — et le témoignage d’un jeune quadragénaire qui, avec des mots simples, si simples qu’ils en deviennent terrifiants, nous brosse une société jadis fille aînée des Lumières et qui en quelques années a sombré dans l’abjection la plus totale. Certes tous les Français ne furent pas comme ces gendarmes qui raflent hommes, femmes et surtout enfants pour les livrer aux barbares, mais Cressely a opéré volontairement un choix : celui de parler à travers le destin de René Blum, d’un temps où la collaboration n’était pas une simple idée mais une vomissure de tous les jours.
La France d’Aurélien Cressely c’est celle des camps de Drancy ou de Beaume-la-Rolande. Quant à l’autre France, celle de la résistance et du courage, Cressely lui rend hommage à travers un passage où il décrit communistes et patrons, se serrant les coudes dans le camp de Compiègne.
En ces temps de la folie Tik-Tok et du délire islamo-gauchiste pour qui la Shoah est mensonge ; en ces temps ahurissants où il y a encore une extrême-droite pour dire que Dreyfus n’était pas vraiment innocent ou que Pétain aurait sauvé des juifs, oubliant que s’est sali les mains en serrant celles de Hitler, le roman d’Aurélien Cressely n’est un livre qui, une fois lu, vous aide à aller toujours et encore Par-delà de l’oubli. Car comme dit Elie Wiesel : « Le bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par l’oubli. »
Michel Dray
Ancien Directeur Général du Comité de Coopération Marseille-Méditerranée
Michel Dray est le concepteur de deux expositions :
Dreyfus à travers les documents du fonds Outre-Mer d’Aix-en-Provence (présenté à Marseille, lors du centenaire de la réhabilitation de Dreyfus)
Albert Memmi dans le Siècle (présentée à Marseille, Paris, Essaouira, Haïfa)