Depuis vingt ans, les Écoles de la 2e Chance, créées par Édith Cresson, proposent à des jeunes sans diplôme ni qualification un accompagnement vers une intégration sociale, citoyenne et professionnelle durable. Avec près de 70 % de stagiaires qui décrochent un emploi ou une formation qualifiante à l’issue de leur parcours, le dispositif a fait la preuve de son efficacité, efficacité reconnue par le gouvernement qui souhaite que de nouvelles écoles soient créées.
Revue Politique et Parlementaire – Vous avez créé, il y a plus de vingt ans, les Écoles de la 2e Chance, quel est leur rôle ?
Édith Cresson – Nous avons effectivement fêté cette année les vingt ans des Écoles de la 2e chance (E2C). Les E2C sont l’une des initiatives européennes proposées dans le livre blanc « Enseigner et apprendre – vers la société cognitive » que j’ai présenté lors du sommet des chefs d’État de Madrid de décembre 1995 alors que j’étais Commissaire européen chargée de l’éducation, de la recherche et de la formation.
Le dispositif des E2C se concentre sur des franges de population particulièrement fragilisées : de jeunes adultes sortis sans diplôme, ni qualification des systèmes d’enseignement classique et qui doivent aujourd’hui faire face à des difficultés sociales et humaines importantes.
La première E2C est née à Marseille et a accueilli ses premiers stagiaires en 1998. Cette école a servi de projet pilote. Par la suite, quelques élus locaux ont été intéressés et de nouvelles structures à Mulhouse, en Champagne-Ardenne, en Seine-Saint-Denis, en Essonne et en Midi-Pyrénées ont vu le jour. Les financements de ces sites-écoles étaient alors assurés par les régions, le fonds social européen et la taxe d’apprentissage.
Depuis 2004, les E2C sont rassemblées au sein d’une association nationale « le Réseau des Écoles de la 2e Chance » autour d’une charte des principes fondamentaux qui résume la démarche et les méthodes qui fondent le dispositif des E2C.
L’expérimentation positive des E2C a conduit en 2007-2008 à la promulgation de textes législatifs et réglementaires qui garantissent un cadre national aux écoles. En effet, le décret du 13 décembre 2007 a confié au Réseau E2C la délivrance du label « École de la Deuxième Chance ». Le cahier des charges lié à ce label, institué par l’article L214-14 du Code de l’éducation, a reçu les avis conformes des ministères de l’Éducation nationale et de l’Emploi. Ce décret et cet article ont témoigné de la volonté du législateur de soutenir et d’institutionnaliser les E2C. Cela a ajouté à la crédibilité du dispositif et le nombre d’écoles s’est alors considérablement développé. Nous comptons ainsi aujourd’hui 240 sites-écoles qui accueillent 15 500 jeunes par an.
RPP – En quoi consiste la formation ?
Édith Cresson – La formation, qui dure de huit mois à un an, combine la mise à niveau du socle de compétences de base (s’exprimer, lire, compter, raisonner, utiliser les outils informatiques), l’acquisition de compétences sociales, permettant l’insertion dans de bonnes conditions dans la vie professionnelle mais aussi citoyenne, et des stages en entreprise. Les formateurs des E2C sont également des référents. Chaque jeune est accompagné, tout au long de son parcours, par un référent qui fait régulièrement le point sur ses progrès, l’aide à définir son projet professionnel et avec lequel il peut échanger sur des questions extra-scolaires (logement, santé, famille, etc.). Les jeunes effectuent trois stages consécutifs en entreprise afin de valider peu à peu leurs envies et compétences. Le référent est en contact permanent avec les maîtres de stage dans les entreprises.
Les écoles sont des structures indépendantes, érigées sur un fort ancrage local, elles construisent des partenariats avec les entreprises et l’ensemble des acteurs de l’insertion. Aujourd’hui, les entreprises reconnaissent le sérieux du dispositif et accueillent aisément nos jeunes en stage.
Par exemple dans le cadre du programme « Entreprendre pour apprendre », et grâce à un partenariat avec EDF, nous avons permis à des stagiaires de créer une entreprise au sein de leur école. Ils apprennent ainsi la fonction d’achat, de fabrication, de vente, de promotion. Par ces actions très concrètes, l’entreprise devient pour ces jeunes une réalité dont ils comprennent peu à peu le fonctionnement.
Les jeunes qui intègrent une E2C ont un statut de stagiaire de la formation professionnelle et perçoivent une rémunération en moyenne de 300 € par mois financée par la région.
RPP – Pourquoi avoir créé une fondation ?
Édith Cresson – À côté des savoirs de base et de la connaissance du monde de l’entreprise, un autre volet de l’insertion m’a paru nécessaire : ouvrir les jeunes sur le monde dans lequel ils vivent. Leur proposer des actions culturelles, sportives, sociétales et citoyennes – qui leur étaient jusque-là étrangères – leur permet de développer des compétences utiles à leur insertion professionnelle. C’est la raison pour laquelle j’ai créé en 2001 la Fondation Édith Cresson pour les Écoles de la 2e Chance.
La Fondation, que je préside, soutient les projets périscolaires proposés par les écoles et qui visent à faire sortir les stagiaires d’un enfermement culturel en révélant leur intelligence et leur imagination. Grâce à ces actions, les stagiaires découvrent des horizons inconnus, trouvent confiance en leurs possibilités et s’ouvrent au monde.
RPP – Pourquoi cet engagement en faveur des jeunes en « décrochage » scolaire ?
Édith Cresson – Chaque année environ 120 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, ni formation. 20 % des élèves ne maîtrisent pas correctement la lecture en fin de primaire. Pour moi, la première des inégalités c’est le manque d’accès à la connaissance.
J’ai perçu très tôt qu’il fallait aider les jeunes à briser des limites venues de leur origine, leur famille et leur histoire. Pour beaucoup, lorsque vous êtes issu de certaines familles vous êtes inévitablement voué à l’échec.
Nous laissons une proportion importante de jeunes en rupture d’insertion professionnelle avec ce que cela suppose de problèmes de délinquance, de dépendance et d’exclusion.
Il y a un réel besoin de s’occuper de ces jeunes adultes sortis sans diplôme des systèmes d’enseignement traditionnels et qui sont confrontés à de réelles difficultés sociales et humaines.
Quand j’étais maire de Châtellerault, je voyais des jeunes errer dans la rue pendant les vacances scolaires. Mais lorsque vous leur proposiez une problématique qu’ils ne connaissaient pas, quelque chose de différent, comme un voyage par exemple, ils n’en voulaient pas car ils étaient persuadés de ne rien comprendre. J’ai alors mis en place un programme appelé « Visa vacances ». Nous proposions à des jeunes de participer à des activités culturelles ou sportives et d’effectuer des révisions scolaires. Cela fonctionnait très bien et j’ai ainsi acquis l’idée qu’il y avait quelque chose à faire.
RPP – Quel est le profil des bénéficiaires de ce dispositif ?
Édith Cresson – Il s’agit de jeunes en voie d’exclusion âgés de 16 à 25 ans, sortis du système éducatif sans qualification, ni diplôme et très souvent sans aucune expérience professionnelle.
Leur environnement familial et social ne leur a pas permis d’éveiller leur curiosité, leur ouverture d’esprit et leur désir d’apprendre. Ils ont souvent vécu dans un enfermement culturel, ne côtoyant qu’un cercle restreint de personnes. Il faut essayer de provoquer chez eux le déclic qui leur donnera l’envie de comprendre et d’apprendre.
Ils sont généralement motivés et volontaires et ont choisi de saisir une deuxième chance, celle de se construire un avenir grâce à un accompagnement sur mesure. Avec l’individualisation des parcours et l’apprentissage de l’autonomie, les stagiaires prennent conscience de leurs qualités et de leurs compétences et retrouvent ainsi confiance en eux. Ils deviennent les acteurs de leur insertion.
RPP – Quels sont les moyens, notamment financiers, dont bénéficient ces écoles ?
Édith Cresson – L’Association Réseau E2C est animée par une équipe de sept permanents. Elle est administrée par un conseil d’administration composé exclusivement de dirigeants d’E2C bénévoles et présidé par Alexandre Schajer qui fait un travail remarquable. Le conseil d’administration assure également la fonction de comité de suivi du label.
Les produits totaux dont a bénéficié le réseau en 2017 s’élèvent à 81,1 M d’euros. 90 % proviennent des cinq principaux financeurs que sont les régions, l’État, l’Europe, les collectivités locales et le monde de l’entreprise via la taxe d’apprentissage.
Le réseau est géré comme une entreprise et chaque E2C fait l’objet d’un contrôle tous les deux ans.
La Fondation, quant à elle, œuvre grâce à ses donateurs qui sont ses membres fondateurs : la Bred, la Caisse des Dépôts et Engie ainsi que certains grands groupes partenaires comme Unibail-Rodamco, le groupe Hervé et la Macif. Enedis devrait prochainement nous rejoindre. Elle est administrée par un comité exécutif qui se réunit deux fois par an pour sélectionner les projets pédagogiques et périscolaires soumis par les E2C.
La Fondation est abritée par la Fondation AlphaOmega dirigée par Maurice Tchenio, fondateur d’Apax Partners qui finance de nombreuses actions en faveur de la jeunesse.
RPP – Après vingt ans d’existence quels sont les résultats obtenus ?
Édith Cresson – Les résultats sont très positifs puisque près de 70 % des jeunes ayant suivi un parcours à l’E2C décrochent un emploi ou une formation qualifiante.
J’ai récemment appris qu’un ancien stagiaire de l’E2C de Marseille venait de créer son entreprise. Nous avons également un stagiaire syrien qui a fabriqué un robot miniature qui transporte des valises. La culture générale, surtout littéraire, c’est bien mais pour ces jeunes stagiaires c’est difficilement atteignable même si nous les encourageons à lire. En revanche, ils sont très intéressés par la découverte du monde nouveau et la science.
Notre action et nos résultats sont reconnus. Ainsi, dans son rapport sur l’accès des jeunes à l’emploi, la Cour des comptes loue les performances des E2C. Quant à l’OCDE elle souligne l’efficacité du dispositif et préconise de créer davantage de places.
RPP – Quels sont les projets du Réseau des Écoles de la 2e Chance ?
Édith Cresson – Nous avons en projet l’ouverture de nouvelles écoles. Il se passe rarement un trimestre sans que je n’inaugure un nouveau site.
L’Espagne est dotée d’un réseau d’E2C, le Portugal, qui possède déjà une école type, souhaiterait développer un réseau. L’Algérie est également intéressée par ce dispositif et des entrepreneurs algériens doivent venir en France visiter nos écoles.
RPP – Le Président de la République a récemment dévoilé sa stratégie nationale de prévention de lutte contre la pauvreté. Il a annoncé « une obligation de formation jusqu’à 18 ans » et « un repérage massif des décrocheurs scolaires ». Il souhaite ainsi augmenter les propositions de scolarisation dans le cadre, notamment, des Écoles de la 2e Chance. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Édith Cresson – En juin dernier, j’ai invité Murielle Pénicaud à la cérémonie du vingtième anniversaire de la première E2C à Marseille. Après avoir souligné l’efficacité du dispositif dans la lutte contre le chômage des jeunes, la ministre du Travail a annoncé que le gouvernement souhaite soutenir le Réseau E2C en lui octroyant un financement supplémentaire d’ici à 2022 au titre du plan d’investissement pour les compétences. Ainsi neuf nouvelles écoles permettant d’accompagner 6 000 stagiaires de plus pourront être créées.
Édith Cresson
Ancien Premier ministre
Présidente de la Fondation Édith Cresson pour les Écoles de la 2e Chance
Propos recueillis par Florence Delivertoux