La révolution est devant nous et se fera, comme souvent, malgré nous, c’est-à-dire moins par l’action des hommes que sous la pression des événements. Le moteur de cette révolution ne sera ni Jean-Luc Mélenchon ni quelque syndicat ou parti révolutionnaire, mais Emmanuel Macron soi-même, dès lors qu’à moins de quinze jours du scrutin présidentiel sa réélection, de l’avis unanime, semble acquise.
En exposant en maintes occasions, notamment lors de sa conférence de presse d’Aubervilliers, une vision politique nettement droitière (s’en défend-il chaque fois qu’il est interrogé sur le sujet !), le président en exercice, malgré lui, voire, pourquoi pas, par instinct suicidaire (une quête inconsciente de l’échec ?) met clairement d’ores et déjà de l’huile dans le moteur de la prochaine révolution de juin.
Être de droite est un choix, comme être de gauche, du centre ou d’ailleurs. Encore faut-il assumer son choix. Or M. Macron reste dans un formidable déni, s’abritant derrière un « en même temps » qui ne trompe plus personne depuis longtemps. Il est vrai qu’avec la droitisation de la société française – un constat qu’il faudra tout de même un jour regarder de plus près -, le président sait que, pour être favori à l’élection présidentielle, il est préférable de s’inscrire dans la mouvance droitière. Ainsi, les trois droites françaises occupent-elles aujourd’hui une place centrale sur l’échiquier politique : droite républicaine avec Valérie Pécresse, droite nationale avec Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, droite nationaliste avec Eric Zemmour. M. Macron incarne, lui, une quatrième droite, la droite libérale, celle « qui ne s’assume pas », sorte de droite honteuse. Ajoutons que, dans un espace politique, qui est donc largement dominé par toutes les droites, se dresse seul, fier et déterminé, Jean-Luc Mélenchon, qui se veut incarnation d’un autre monde où l’homme est la figure centrale du projet politique.
Pour l’histoire, Emmanuel Macron restera, pour son premier mandat, l’homme de toutes les crises : crise des gilets jaunes, crise des retraites, crise sanitaire, crise ukrainienne aujourd’hui, sans oublier naturellement les crises sous-jacentes de l’hôpital, de la justice, de la police, du monde agricole, des banlieues. Aucune de ces crises n’est résolue.
La hausse du coût de la vie, par renchérissement des produits pétroliers et alimentaires, se poursuit même à un rythme effréné : on annonce déjà une inflation à 4 % pour mars et l’on redoute des carburants à 2,50 voire 3 euros le litre.
Face à l’adversité, les Français font le dos rond. Bien sûr, les gilets jaunes continuent de défiler le samedi, des dépôts pétroliers sont bloqués ici ou là. Mais la « convergence des luttes » tant espérée des catégories en souffrance n’a toujours pas eu lieu (et ce n’est pas faute d’avoir essayé !). Oui, les Français souffrent mais « encaissent ». Le « système D » est à nouveau à la mode. Les automobilistes sortent moins leur voiture (ou ne la sortent plus du tout), pratiquent le covoiturage, adoptent un carburant moins cher : le bioéthanol, ont recours davantage aux transports en commun ou restent davantage chez eux à télétravailler. Pour se nourrir, ils font davantage attention à leurs achats, choisissent les promotions, utilisent les bons de réduction, renoncent à certains produits trop chers comme la viande rouge ou les fruits et légumes. Mais le « système D » ne va-t-il pas finir par s’épuiser ? Quel Français, demain, pourra supporter un carburant à 3 ou 4 euros le litre ou des produits alimentaires « hors de prix » ? Quel Français pourra accepter de ne plus partir en vacances, de voir ses enfants dépossédés de tout avenir ? Quel Français pourra assister sans réagir à la décomposition galopante de la planète ?
Une révolution n’a besoin que d’une étincelle pour se déclencher (nous l’avons vu avec les gilets jaunes en novembre 2018). Selon toute probabilité, M. Macron sera réélu le 24 avril prochain. Selon toute vraisemblance, il obtiendra aussi la majorité parlementaire en juin. Dès lors, les problèmes non-résolus resurgiront devant lui, les uns les autres. Sa situation sera, de toute évidence, aggravée par le fait que, sous couvert de réformes, le « nouveau » président cherchera à étendre la toile du conservatisme libéral : retraite à 65 ans, obligation de travail ou de formation pour les titulaires du RSA, priorité accordée au soutien des entreprises et des catégories aisées.
Car M. Macron n’aimera pas plus les pauvres en 2022 qu’en 2017. Les pauvres, à ses yeux, symbolisent l’échec, et d’abord celui de la réussite (économique), cette réussite qu’exige le système capitaliste. Dans son esprit, somme toute réducteur, les pauvres sont ceux qui n’ont pas fait d’efforts pour gagner (ne suffit-il pas de vouloir pour pouvoir ?), des « fainéants » incapables de traverser la rue pour trouver un boulot.
En soi, M. Macron est un « moteur à explosion (s) », une « bombe à retardement ». Ne nous y trompons pas, le fait que les Français, par exemple, ne s’indignent plus, depuis longtemps, des formidables écarts de revenus, acceptent qu’un footballeur puisse gagner des millions pour taper dans un ballon, qu’un grand patron puisse accumuler des richesses si nombreuses que plusieurs vies ne suffiraient pas pour les dilapider, tout cela ne suffit pas pour dire qu’ils ne contesteront pas les agissements du nouveau pouvoir.
« Révolution », écrivait naguère Emmanuel Macron. La convergence probable, en juin prochain, des oppositions politiques de droite et de gauche, des forces syndicales, des citoyens en colère, des « déçus du macronisme (2017-2022) » pourrait bien lui donner raison. « On ne gouverne pas contre un peuple », dit une vieille loi de science politique. Nul ne saurait l’oublier.
En juin, assurément, sur fond de crise sociale et internationale, le plus dur risque de commencer pour l’ancien-nouveau président.
Michel Fize, sociologue, diplômé de sciences politiques
Auteur de « Qu’elle était belle ma révolution ! » (Ed. Amazon, 2021)