Pour la Revue Politique et Parlementaire, Virginie Martin décrypte la stratégie du grand débat lancé par le président de la République. Elle y voit bien plus un affichage de dialogue qu’une volonté de tenir compte des revendications des « gilets jaunes ».
Le grand débat national a eu lieu. Ce grand débat qui, dès le départ, semblait être un leurre. Chantal Jouanno et son refus de servir de caution en était déjà un indice. Les réunions ici et là en France ont été peu fréquentées, et plutôt par des personnes déjà intéressées par la chose politique, plutôt par un panel macroniste, et plutôt par des personnes relativement âgées. Bref, le grand débat n’a pas su aller chercher les jeunes, les peu politisés, les laissés-pour-compte de la politique, et encore moins les « marges » de notre société.
Pourtant ce sont ces franges de la population qu’on aurait eu besoin d’entendre, d’écouter, de faire exister dans le pays. C’est comme cela que l’on crée du commun. Du commun, du vivre ensemble, du tout. C’est comme cela que l’on évite les émeutes en banlieue ou justement le réveil jaune de la France péri-urbaine.
Au contraire de cela, s’est jouée une incroyable mise en scène politique.
Le grand débat n’a fait que prolonger la philosophie à deux têtes qui est celle de Macon depuis le premier jour : verticalité et hyperpersonnalisation.
Rappelons-nous de la mise en scène dans la cour du Louvre à Paris lorsqu’Emmanuel Macron est venu saluer les Français en tant que nouveau président de la République. Nous n’en sommes pas loin. Le grand débat a été très vite cadré par l’exécutif et Macron y a pris part à grands coups de communication : des entretiens marathons devant des parterres choisis avec retransmissions télévisuelles, abondantes retransmissions. Quelque chose de Poutine ou de Johnny dans cette démonstration virile de sa capacité à tenir des salles pendant 4, 5, 6 heures. Le tout devant des journalistes en émoi lorsqu’il tombe une veste…
Une mise en communication telle que les garants du débat eux-mêmes, notamment Pascal Perrineau, politologue, ont regretté le choix du Président de largement intervenir lors de ces rencontres. Garants qui d’ailleurs confirment la faible participation et l’expliquent justement par cette intrusion trop grande de l’exécutif dans le processus.
On comprend combien, ce grand débat marqué par le sceau de Macron pouvait de fait souffrir d’illégitimité pour un large nombre de Français.
La stratégie coutumière pour un pouvoir malmené est, généralement, d’absorber les marges, les rebellions, les revendications pour mieux les canaliser, les réduire à une portion congrue. C’est ce que montre très bien l’ouvrage de L. Boltanski et E. Chiapello sur le nouvel esprit du capitalisme : écouter les revendications pour mieux les phagocyter… un peu ce que nous avions pu voir par les années passées qui ont su consacrer graffitis et street art via leur institutionnalisation dans des musées. Un mouvement contestataire s’absorbe assez facilement en lui donnant d’une part quelques lettre de noblesse, d’autre part en faisant en sorte que le système établi s’en nourrisse. Dont acte.
Mais ce grand débat n’a même pas été cela. Nous sommes aujourd’hui à un degré supérieur de cynisme politique : E. Macron fait tout juste semblant de vouloir intégrer le mouvement des « gilets jaunes » dans son logiciel.
Ce grand débat est à peine un leurre, un faux semblant tant il est à côté de ce qui se joue tous les samedis depuis novembre 2018.
L’exécutif a seulement repris deux thèmes – fiscalité, démocratie – et a oublié l’essentiel des revendications – le pouvoir d’achat et son jumeau, le reste à vivre – et, surtout, il s’en est allé ailleurs, faire son grand débat. SON grand débat. Un débat des plus classiques, un débat sans débat justement.
Un débat qui, au final, lui permet de feindre une écoute à l’égard des « gilets jaunes », une feinte qui lui permet surtout de continuer sa politique.
Ceci étant dit, la ficelle est si grosse, que 70 % des Français ne sont pas convaincus par ces échanges et cette mascarade de démocratie participative.
Cependant, la présidence se sera au final offert une tribune médiatique impressionnante, et, en ces temps du tout communicationnel, on sait combien cela est capital. A coté d’un Macron géant de la communication politique, les autres deviennent tous un peu invisibles. Une invisibilité qui risquent de se payer très cher électoralement tant « politique » et « communication » sont devenues des sœurs siamoises.
Les résultats des européennes nous permettront, assurément, d’écrire la suite de cette stratégie somme toute bien cynique.
Virginie Martin
Politiste, sociologue, Kedge Business School