Héritier d’un nom prestigieux de l’industrie du XXème siècle, petit-fils d’André Citroën, monstre sacré de l’industrie automobile, Henri-Jacques Citroën, diplômé d’HEC, né à Madrid, élevé à Paris et à Mexico, européen à la Stefan Zweig, avait tout pour mener une existence bourgeoise, confortable et rangée.
Les circonstances, l’appartenance à une famille hors normes et son caractère profondément curieux des choses en ont décidé autrement. C’est au Venezuela, dans les années 70, que le jeune Citroën a décidé de s’expatrier, à 22 ans, pour échapper aux rigidités de la société française et faire ses preuves dans un pays jeune, en pleine expansion, où tout était possible. Il a commencé à tracer son sillon en y conseillant le président de la Commission de l’Economie à la Chambre des Députés qui était aussi le principal trader de pétrole du pays. Puis, il a accompagné les grands groupes français qui contribuaient activement au développement économique d’un Venezuela alors l’un des pays les plus riches d’Amérique latine. Indépendant professionnellement, proche de Raymond Barre qui suivait avec attention le développement de cette grande puissance au sein de l’OPEP, Conseiller du commerce extérieur de la France depuis 1987, opérant à l’intersection des sphères économiques, sociales et politiques, en France comme dans son pays d’adoption, Henri-Jacques Citroën a développé au fil du temps une réflexion originale et constructive sur la relation entre l’Homme et son environnement qui prend tout son sens en période de crise. Une réflexion économique et sociétale ancrée dans l’expérience de la vie et la multiplicité des circonstances qui ont fait de lui un homme aussi à l’aise auprès des dirigeants du CAC 40 que devant Hugo Chavez et l’élite révolutionnaire vénézuélienne.
1/ Retour en arrière : votre grand-père a été admis à l’Ecole Polytechnique en 1898 alors qu’il n’avait pas encore la nationalité française. Ensuite il n’a eu de cesse de s’identifier à la France et de faire de la réussite de Citroën celle de son pays d’adoption. Avec ce regard familial atypique comment jugez-vous le débat sur l’appartenance à la France ? Finalement c’est quoi être français aujourd’hui ?
La famille Citroën est une famille remarquablement européenne, originaire de Hollande. André Citroën est devenu français pour pouvoir entrer à l’Ecole Polytechnique. Sa mère était polonaise et son épouse italienne. Moi, je suis né en Espagne d’une mère hongroise naturalisée suédoise. J’ai vécu plusieurs années au Mexique où mon père était délégué d’Elf-Aquitaine. J’ai émigré au Venezuela à l’âge de 22 ans. Chaque fois, il a fallu comprendre les règles et modes de vie du pays d’accueil, s’y adapter et les adopter. Rien ne peut se faire sans le respect. Le respect des autres et des coutumes du pays d’accueil. Sans respect, il ne reste que le rapport de forces.
J’ai toujours à l’esprit un exemple spectaculaire d’adaptation. Celle manifestée par des indiens de la tribu Hoti, qui vivent dans les montagnes de la jungle amazonienne du Venezuela. A l’époque, j’aidais une fondation qui essayait d’apporter des soins aux indigènes vivant dans des endroits inaccessibles. Nous avons séjourné plusieurs fois avec eux, nous les avons côtoyés et nous nous sommes mutuellement observés. Le dialogue était limité car ils ne parlaient pas espagnol mais il régnait une ambiance amicale. Un jour, nous avons appris que cinq d’entre eux allaient se rendre à Caracas. Je les ai invités à déjeuner à la maison. Des indigènes, jamais sortis de la jungle, allaient découvrir l’univers citadin. Où a été l’adaptation ? Ils n’avaient jamais mangé dans une assiette ni avec des couverts, ni été assis autour d’une table, mais ils ont observé tous mes gestes pour voir comment manier les couverts et faire comme moi. Sans doute maladroits, ils ont néanmoins déjeuné avec plus de prestance que certains de mes concitoyens !
André Citroën, fils de migrants, a joué la carte de la France et a fortement contribué au rayonnement de notre pays. En Europe occidentale comme aux Etats-Unis, par exemple, infinis sont les exemples d’immigrés qui, comme lui, ont contribué au développement de leur pays d’accueil.
Alors qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? Question difficile dont la ou les réponses ne peuvent que générer des critiques tant les approches sont divergentes. Ce qui est sûr c’est qu’il est dans l’intérêt de tous de bien vivre ensemble, de cohabiter avec un minimum de sérénité, de collaborer pour améliorer la qualité de vie.
2/ André Citroën n’était pas propriétaire. Il n’a pas amassé. Ce sont des mœurs incompréhensibles pour des dirigeants des grands groupes d’aujourd’hui dont les rémunérations font tourner la tête. Vous pensez qu’il faut réguler les salaires des dirigeants ?
André Citroën n’était pas attiré par l’appât du gain. Il ne possédait rien en dehors de ses usines. Son appartement de Paris était en location, comme la maison de Deauville ! Seuls comptaient sa famille, le succès de ses entreprises et d’être toujours à l’avant-garde. Bien sûr ses revenus lui permettaient de vivre avec aisance mais rien d’ostentatoire. Ses fêtes, ses rencontres, ses voyages, ses relations avec les chansonniers, ses apparitions au casino, faisaient grand bruit mais c’était un moyen, parmi d’autres, de faire parler de lui et donc de sa Marque … de faire le « buzz » comme on dirait aujourd’hui.
Quant aux rémunérations, il faut distinguer celles du dirigeant propriétaire de son entreprise et celles du dirigeant salarié de passage. Le propriétaire de l’entreprise dans laquelle il a investi ses fonds, détermine le montant de ses revenus dès lors qu’il ne met pas en péril son entreprise. Si c’est un salarié, le salaire sera défini par le Conseil d’administration en fonction des résultats et des niveaux observés dans les autres entreprises. En revanche, le système des « stocks options », qui peut accroitre considérablement les revenus, fausse tout : combien de décisions du top management d’entreprises cotées sont directement influencées par l’intention de faire croître la valeur de l’action à la Bourse et donc leurs propres revenus ?
3/ Avec la Croisière Jaune, André Citroën a fait parler de Citroën tous les jours à la radio, en France et dans le monde. Il a généralisé l’envie de voiture, vilipendée aujourd’hui par les écologistes, une large partie de la gauche et même par des gouvernements libéraux. Quelle est, à vos yeux, la place de l’automobile dans le monde d’aujourd’hui ? Un beau chapitre d’histoire industrielle qui se ferme doucement ?
Dans le monde entier, la voiture est un moyen de déplacement indispensable. Dans les petites villes, dans les campagnes, les transports en commun sont rares. La mobilité y dépend de la voiture. Le train est un moyen de transport remarquable, sûr et confortable, mais il n’y a pas toujours une gare à proximité et il peut s’avérer coûteux. Le TGV n’est pas accessible à toutes les familles ! En outre, de nombreux pays ont des transports en commun insuffisants ou défectueux et la voiture y est absolument nécessaire. Même si dans les grandes villes il est parfaitement possible de ne pas posséder d’automobile, ce qui est mon cas à Paris, la voiture est un vecteur de liberté qui facilite le rapprochement des gens et l’accès aux endroits historiques ou culturels, de Nature ou de plaisirs. C’est ce que disait déjà André Citroën pendant les années 20.
Depuis des années, le secteur automobile est en pleine évolution. Il s’adapte aux besoins des gens, prend de plus en plus en compte les exigences écologiques et intègre les progrès des technologies. La voiture électrique est en plein développement, la voiture sans conducteur est en préparation, le partage des voitures est une réalité grâce aux applications sur les téléphones mobiles. L’industrie automobile doit donc être encouragée : plus que jamais, c’est un facteur de progrès.
4/ Donc Emmanuel Macron ne s’est pas trompé en destinant plusieurs milliards d’euros du plan de relance à l’automobile ?
En attribuant une aide financière considérable à l’industrie automobile pour lui permettre de traverser la récession, le gouvernement a bien fait. Il fallait sauver cette industrie si importante pour l’économie française, dont les produits sont si nécessaires pour la vie des gens. Il fallait sauver les innombrables fournisseurs qu’elle requiert. Il faut préserver les nombreux emplois qu’elle génère. La question de cette aide ne se pose pas sauf si PSA ou Renault ne l’utilisaient pas à bon escient, c’est à dire ne feraient pas le nécessaire pour maintenir et accroitre l’emploi dans le pays quitte à réduire leurs profits, ne joueraient pas la carte de la France en y faisant davantage travailler leurs usines locales et en contribuant au renforcement de leurs sous-traitants tricolores. Il ne faut plus observer sans réagir des situations comme celle d’Air France qui vient de confier son budget global de publicité à la société américaine Omnicom, qui se substitue ainsi à Havas, alors qu’elle a obtenu une aide de 7 milliards d’Euros de l’Etat français. Il faut acheter français ou, au moins, européen.
5/ Vous êtes aujourd’hui Vice-président de l’ADIT, leader européen de l’intelligence économique et de l’éthique des affaires. Comment analysez-vous les mauvais résultats du commerce extérieur français ?
Les résultats du commerce extérieur ont été mauvais en 2019 même si l’excédent de 22 milliards d’Euros sur les services a en partie compensé le déficit de 59 milliards sur les biens. Beaucoup de facteurs se conjuguent pour expliquer ces mauvais résultats. La désindustrialisation certainement. Certaines délocalisations décidées par des entreprises qui voulaient gagner un peu plus ailleurs et d’autres indispensables pour demeurer compétitives. L’apparition de concurrents en Asie qui proposent des produits moins chers et, souvent, de moindre qualité. Seulement 130 000 entreprises exportatrices. De nombreuses entreprises performantes à l’exportation mais qui, ayant des résultats qu’elles considèrent satisfaisants, se contentent de vendre dans quelques pays et négligent les autres. Des budgets d’entreprises souvent insuffisants pour la pénétration de nouveaux marchés. La méconnaissance enfin de certains outils d’intelligence stratégique.
Depuis 1974, le gouvernement a toujours eu un ministre ou un secrétaire d’Etat au Commerce Extérieur. Certains de ces ministres ont été performants, animant les milieux d’affaires, les entraînant physiquement à l’étranger lors de voyages officiels, ouvrant les portes dans les pays visités, organisant les circuits d’appui aux exportations, créant des réseaux de contacts. Bizarrement, entre mai 2017 et juillet 2020, il n’y a pas eu de ministre du Commerce extérieur… Cette faille vient enfin d’être corrigée lors du remaniement de juillet dernier.
6/ Auprès du groupe TOTAL que vous avez conseillé au Venezuela pendant une vingtaine d’années, vous avez développé une méthode de dialogue social très large qui est beaucoup plus qu’un simple kit de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Vous l’avez qualifié « d’Alliage Sociétal ». De quoi s’agit-t-il ?
Quand Total s’est installée au Venezuela en 1997 pour y réaliser des investissements majeurs, elle a créé localement un département RSE qui a contacté des parties prenantes dans les régions où se développaient ses activités. Ces contacts se traduisaient souvent par des demandes d’aide financière : la Garde nationale qui avait besoin de pièces de rechange pour ses véhicules, le maire de telle bourgade qui voulait que Total lui repeigne l’école, etcétéra.
En général, nous satisfaisions ces demandes et nous pensions bien faire, favoriser le rapprochement avec des parties prenantes que nous allions côtoyer pendant des dizaines d’années. Jusqu’au jour où un incident majeur nous fit changer d’avis. Nous avions confié un contrat à une communauté voisine pour démonter un rig de forage. Le jour où cette communauté allait commencer son travail, une autre communauté est arrivée pour se plaindre qu’elle n’avait pas eu le contrat. Le ton est monté, un individu a tiré : 2 morts et 3 blessés !
Nous avons alors constaté que nous n’avions pas mesuré l’ampleur des tensions en province et que notre distribution d’aides financières ne nous rapprochait pas des parties prenantes de notre environnement politique et social. Il fallait tout revoir. Nous avons rencontré alors une femme qui était la promotrice de ce qu’elle appelait les « alliances tripartites », les alliances entre l’entreprise, les communautés voisines et les autorités locales. Elle nous a expliqué qu’il nous fallait connaitre, de manière exhaustive, les parties prenantes de notre environnement. Il nous fallait toutes les rencontrer : les voisins, le curé, le chef de la police, le maire, les journalistes du coin, les leaders des bidonvilles, les associations, les commerçants, les partis politiques… Il fallait comprendre qui nous entoure, les attentes des gens, leurs besoins, les ressources des uns et des autres et ce que nous pouvions faire ensemble. Il fallait aussi identifier ceux qui pouvaient être une menace pour le projet. Une fois cette cartographie établie, on peut alors entamer un dialogue pour créer des alliances qui vont se matérialiser dans des projets communs, conçus ensemble, dans lesquels chacun va apporter du sien.
La méthode a si bien fonctionné, malgré un contexte révolutionnaire, que le groupe Total en a fait sa stratégie de gestion des relations avec les parties prenantes et d’application obligatoire pour toutes les entités et filiales du Groupe dans le monde entier.
Un exemple pour comprendre la méthode : Le cimentier suisse Holcim qui avait une cimenterie près du port de Cumarebo, souhaitait mettre du liant avec son environnement local. Sur place, nous nous sommes rendus compte que les marins-pêcheurs pouvaient être un bon vecteur d’alliance. Nous leur avons proposé de créer une coopérative que nous mettrions en contact avec le groupe Casino, qui disposé à signer un contrat d’achat de leurs poissons sur une longue durée. Avec ce contrat, les pécheurs pourraient aller à la banque que nous avions approchée et qui s’était engagée à leur accorder des prêts à des conditions préférentielles pour qu’ils puissent acquérir des équipements modernes. Holcim, de son côté, leur ferait cadeau de systèmes de réfrigération. Et ainsi est né un pôle de bien-être économique et social qui a bénéficié à toute une région et qui a assuré paix sociale autour des installations de Holcim.
J’ai eu l’idée de donner à cette méthode le nom d’Alliage Sociétal en pensant à mes activités de vente d’aciers spéciaux. Un alliage est un produit métallurgique résultant de l’incorporation à un métal de plusieurs éléments, effectuée dans le but de modifier certaines de ses propriétés ou de lui conférer des propriétés nouvelles. Par analogie, en rapprochant les personnes et les entités qui cohabitent dans un même environnement, on donne une force, une cohérence et une stabilité à cet ensemble de gens finalement connectés.
7/ Est-ce que vous pensez que ce cadre théorique et pratique d’insertion d’une entreprise dans son écosystème peut être valable aussi pour des entreprises françaises en France ?
C’est l’idée que j’essaie de promouvoir. Toute entreprise d’une certaine taille devrait réaliser une cartographie des acteurs de son environnement politique, économique et sociale pour savoir qui est qui, qui fait quoi, qui va bien, qui va mal, qui a besoin d’être aidé, orienté ou conseillé, qui peut être un partenaire pour des activités professionnelles, culturelles, sportives, ou autres. Combien de PME, combien d’artisans, combien de commerçants, souvent géographiquement isolés, sont dans l’incertitude ou même dans la détresse ? Combien ont dû fermer, contribuant à l’extension de déserts dans les régions françaises ?
Aujourd’hui, dans la crise que le coronavirus nous fait traverser, les entreprises, surtout les grandes, mais aussi les moins grandes, doivent veiller à la survie de leurs fournisseurs et de leurs clients. Toutes les entreprises doivent faire des efforts ou des sacrifices pour que les autres survivent. Il en va du bien-être de tous à moyen et long terme. Dans mes expéditions dans la jungle amazonienne, alors que nous marchions en file indienne dans la forêt hostile, le mot d’ordre était : veille sur celui qui te suit…
8/ Vous êtes dans le vent aujourd’hui en étant l’apôtre du temps long, de l’investissement dans la durée et des circuits courts qui sont des aspirations de la société. Mais dans le capitalisme d’aubaine soumis à la dictature des rendements immédiats, il y a de la place pour ce genre de pratiques ?
Je vais vous répondre en vous racontant une histoire, vécue en 2011, qui m’a fortement marqué. Un grand groupe qui avait une usine à Caracas, proche d’un bidonville, nous avait chargé de créer les conditions d’une entente à long terme avec le voisinage.
Nous avons réussi à sceller une série d’alliances avec les populations et les autorités locales afin de résoudre ensemble certains problèmes de santé et de sécurité. Tout le monde était enthousiaste. Et puis un jour, le président de la filiale m’appelle pour me dire : « Il faut tout arrêter ». Il avait reçu des instructions du siège de réduire les coûts dans tous les domaines. Je lui dis : « Tu te rends compte, nous avons déclenché un mouvement de dialogue et d’actions communes pour améliorer le sort de toute une population et ce pour 250 000 euros par an alors que l’entreprise facture plus de 300 millions de dollars chaque année au Venezuela, et tu nous dis d’arrêter ? Mais, c’est pire que si nous n’avions jamais rien fait ! ».
A Paris un vice-président m’a expliqué : « Désolé, nous sommes au mois de septembre et notre profit pour cette année n’atteindra pas les 6 milliards d’Euros annoncés mais plutôt 5 milliards » … Et donc, pour essayer d’atteindre les 6 milliards promis au lieu des 5 milliards probables, cette entreprise a mis des employés en pré-retraite, ordonné des licenciements, suspendu des actions sociales. Pourquoi ? Pour que l’action en Bourse augmente puisque ses dirigeants sont jugés en grande partie selon ce critère. De plus, comme ils ont des stock-options, la valeur de l’action a une grande importance pour eux. Le profit ne doit jamais être inférieur aux attentes des analystes financiers.
Ce qui est choquant est de porter préjudice aux employés quand le profit est substantiel. Quelle frustration pour qui travaille dans une entreprise prospère et qui, nonobstant, craint pour l’avenir de son emploi ! Quand une entreprise gagne de l’argent, a fortiori beaucoup d’argent, tout le monde devrait être confiant dans l’avenir. Or, la recherche de l’optimisation du gain risque de se faire aux dépens du personnel, surtout quand il est décidé de fermer une usine en France quand ses profits sont jugés insuffisants, pour en installer une équivalente dans des pays à bas coût. La cohésion sociale est alors en jeu.
Quand le mouvement des Gilets Jaunes est apparu, je n’ai pas été surpris. Pendant toutes ces années d’expatriation au Venezuela, je venais en France tous les deux mois. Et quand je parlais aux employés dans les entreprises que je conseillais ou représentais, je constatais qu’il y avait un malaise. Les salaires augmentaient à peine, juste pour compenser l’inflation. Les récompenses étaient rares et les seules augmentations de salaire appréciables n’étaient concédées qu’en cas de promotion.
9/ Vous êtes engagé aujourd’hui dans un projet de musée André Citroën. C’est un acte de piété envers la mémoire de votre grand père ou un projet qui parle au futur ?
C’est d’abord un acte de reconnaissance envers l’œuvre monumentale de mon grand-père et de ceux qui lui ont succédé mais c’est aussi une volonté de montrer aux générations actuelles et futures un pan important de l’Histoire économique et industrielle de la France. Un tel Musée pourrait devenir un lieu de rencontres de personnes de toutes origines car Citroën est une Marque qui rassemble. Les voitures Citroën sont, de loin, les voitures les plus collectionnées dans le monde. C’est la seule Marque dont le Centenaire a été fêté pendant toute une année et qui est capable de réunir sur un même lieu, en l’occurrence à La Ferté-Vidame, plus de 60.000 personnes et 4 400 voitures de collection lors d’une fête qui a duré 3 jours en juillet 2019. La ferveur et l’engouement ont été tels qu’une journaliste, présente à ce « Rassemblement du Siècle », a fait ce commentaire : « En France, seules deux personnes peuvent réunir, avec un tel enthousiasme, autant de personnes d’origines si diverses : Johnny Hallyday et … André Citroën ».
A La Ferté-Vidame, en Belgique, en Allemagne, à Lyon et ailleurs, j’ai pu mesurer l’impact d’André Citroën. J’ai passé des heures à signer des autographes, à me faire prendre en photo, à écouter des histoires émouvantes parce qu’en France tout le monde a une histoire à raconter qui concerne des voitures Citroën : des balades à la campagne en 2CV ou en Traction pendant l’enfance, un grand-père qui avait une DS, des trajets en SM avec un oncle. J’ai vu l’émotion de nombreux passionnés. Je me suis permis de conclure mon discours d’inauguration du Rassemblement du Siècle en disant : « Citroën, c’est la France ».
10/ Vous appartenez à une famille européenne qui s’est distinguée pendant les deux guerres mondiales. Au Venezuela vous avez côtoyé des révolutionnaires et des nantis, des indigènes dans la jungle et des éleveurs de bétail dans la savane, des militaires et des politiciens, des travailleurs et des dirigeants d’entreprises. Vous avez mesuré aussi l’évolution des groupes industriels français que vous avez conseillés. Récemment vous avez animé dans le monde les célébrations du Centenaire de Citroën. Que tirez-vous de toutes ces expériences ?
Un enseignement assez simple : Aujourd’hui, le « savoir-vivre ensemble » doit devenir notre principal objectif. Dans un contexte politique, économique, social, environnemental et sanitaire compliqué, dans une ambiance morose et tendue, le dialogue entre les uns et les autres doit devenir notre modus operandi. Sauf situation qui le requiert avec urgence, il me semble inopportun, jusqu’à nouvel ordre, d’imposer des réformes pour éviter d’autres tensions. Le temps des réformes viendra plus tard, priorité à la résolution de la crise actuelle.
Une question me semble finalement essentielle : Qui aujourd’hui peut nous redonner confiance comme Ronald Reagan l’a fait, en son temps, après la triste présidence Carter ? Qui peut redonner le sourire à la France et aux français comme Jean Paul 1er, en 33 jours de pontificat seulement, a su redonner son sourire à l’Eglise ?…
Propos recueillis par François Vuillemin
Photo : Henri-Jacques Citroën, dans la DS présidentielle construite pour le général de Gaulle