A l’occasion de la parution de son ouvrage La dictature bureaucratique ou la « bureaucrature » aux éditions Hermann, la Revue Politique et Parlementaire a interviewé Frédéric Masquelier. Dans cet essai, le maire de Saint-Raphaël dénonce la bureaucratisation qui complique voire entrave nos existences.
Revue Politique et Parlementaire – Votre témoignage est édifiant. Il explique du point de vue d’un maire bien des blocages de la société française. Comment vous est venu cette idée d’écrire ce livre, tout autant livre-témoignage qu’analyse ?
Frédéric Masquelier – L’idée de ce livre est venue en décembre 2020, après une discussion avec mon homologue de Cannes, David Lisnard, qui dénonçait une bureaucratie sclérosante. Il m’a semblé que j’avais aussi des choses à dire. J’ai lu de très nombreux ouvrages sur le sujet – dont celui référence de Max Weber – mais aucun ne permettait réellement de comprendre comment un employé de bureau pouvait avoir plus de pouvoir qu’un maire ou un président de département, sans jamais avoir été élu.
La crise sanitaire, avec son cortège d’absurdités, de ratés, de restrictions, a accentué cette impression d’une bureaucratie étouffante, impuissante, inutile, très éloignée des préoccupations quotidiennes et de la vie réelle.
J’y ai été confronté en tant que maire de Saint-Raphaël et Président d’une communauté d’agglomération de 116 000 habitants. De là a germé le projet de ce livre où j’ai souhaité mêler des analyses argumentées, chiffrées, étayées avec un ressenti plus personnel.
RPP – Selon vous cette » société bloquée » que vous décrivez au prisme de votre expérience, quels en sont les principaux déterminants ?
Frédéric Masquelier – J’ai titré mon livre La Dictature bureaucratique ou la « bureaucrature ». Le terme dictature peut paraître fort mais il n’est pas inutile de rappeler que les régimes totalitaires, comme l’URSS, la Chine populaire ou l’Allemagne Nazie, étaient historiquement très bureaucratisés. Si l’on parle aujourd’hui de bureaucratie, c’est parce que les bureaux, qui en sont les acteurs, sont sortis de leur rôle de simples exécutants pour exercer directement un pouvoir propre.
On bascule dans cette « bureaucrature » quand le système s’autoalimente et fonctionne pour lui-même, excluant le politique et les citoyens. Le politique est, bien sûr, en partie responsable de cette dérive, car il a abandonné le pouvoir à cette superstructure.
Les bureaucrates se sont accordés de plus en plus de pouvoirs, sans aucune contrepartie, et sans aucun contrôle. Or le pouvoir sans contrôle, c’est la dictature. Le problème de la bureaucratie, c’est qu’il s’agit d’un appareil qui, dans certains domaines comme, par exemple, celui de la protection de l’environnement, prend « les pleins pouvoirs », impose sa propre pensée, sa propre logique, très verticale, très cloisonnée, sans que le citoyen ne soit consulté et sans tenir compte des réalités « du terrain. » Et contrairement à une idée reçue, le développement des nouvelles technologies, du numérique et de l’intelligence artificielle, n’a fait que renforcer ce phénomène en l’accélérant et en l’universalisant.
RPP – La voix des maires est insuffisamment entendue. Pourquoi selon vous ?
Frédéric Masquelier – Si je reviens sur la crise sanitaire, il est clair que la voix des maires a été totalement étouffée, l’ensemble des mesures ayant été décidées « d’en haut », sans aucune concertation, sans aucun dialogue.
Les élus locaux étaient mis devant le fait accompli et n’avaient aucune liberté d’initiative, aucune marge d’appréciation, ils devaient exécuter des directives parfois très éloignées des réalités de leurs administrés.
Mais les exemples d’un État tout-puissant, faisant redescendre au niveau local des mesures prises dans des bureaux parisiens, sont nombreux, que ce soient dans les domaines de l’environnement, du logement, du cadre de vie. C’est pourquoi au sein de l’association des maires de France, je me bats aux côtés de David Lisnard pour que la voix des maires, qui œuvrent au quotidien au plus proche des préoccupations des citoyens, soit davantage entendue.
RPP – Selon vous quels sont les chantiers à ouvrir pour débureaucratiser ? Et comment le faire ?
Frédéric Masquelier – Chaque jour en mairie m’apporte son lot d’exemples qui entravent l’action publique avec son chapelet d’obligations, de normes, de réglementations, de contraintes imposées par l’Etat. Attention, je ne suis pas contre la réglementation, elle peut être utile et profitable aux citoyens comme par exemple la protection au titre des sites patrimoniaux remarquables. Cette disposition me permet, en tant que maire de Saint-Raphaël, de préserver notre patrimoine historique, comme par exemple les Villas Belle Epoque. Mon ouvrage n’est donc pas une caricature, ni un pamphlet contre l’administration, qui existe depuis les Egyptiens, avec les scribes.
Mais je dénonce les excès de la bureaucratie, qui existent dans les principales administrations, la police, la justice, l’éducation nationale, l’environnement.
Comment faire pour débureaucratiser ? La priorité, c’est de remettre l’humain au cœur du système. En tant que maire, je m’attache à faire en sorte que les politiques publiques se fassent avec les citoyens. Sur un plan plus général, le politique doit reprendre la main sur les bureaux et sur les experts. La bureaucratie ne doit pas être un « objet autonome », elle doit être à nouveau au service de la décision politique. Cela demande du courage et de la responsabilité.
Frédéric Masquelier
Avocat – Docteur en droit
Maire de Saint-Raphaël
Propos recueillis par Arnaud Benedetti