Dans cette analyse, que nous publions en six parties, Mariame Viviane Nakoulma interroge le lien entre laïcité et aumônerie.
Laïcité-aumônerie : quèsaco ?
Là où il y a société, il y a religion, ou spiritualité, pour emprunter à la logique sociojuridique de l’expression latine « ubi jus, ubi societas ».
En effet, les religions traversent ères et aires géoculturelles jusqu’à être, dans les sociétés où elles prennent place, remaniées dans leur corpus juridique ; comme en France où la laïcité, à la fois principe et vision sociétale, cristallise, dans une dynamique de durabilité, la relation entre l’État et le fait religieux.
Concept moderne qui n’apparaît qu’à la fin du XIXè siècle[1], la « laïcité » est nombreusement définie. Dans le Larousse numérique, il est décrit comme la « conception et [l’] organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement » ou encore « caractère de ce qui est laïque, indépendant des conceptions religieuses ou partisanes »[2]. Du point de vue de l’Histoire, « les substantif et adjectif laïc ou laïque apparaissent bien avant le substantif de laïcité qui est introduit seulement dans la 2è édition du dictionnaire Littré en 1877 »[3].
La laïcité est une particularité de la République française.
Justement, le 15 novembre 2020, la version française d’un article sur le site du New York Times rapportait que le président Emmanuel Macron dénonçait que les médias anglophones, et américains en particulier, ne comprenaient pas « la laïcité à la française » qui est « une séparation active de l’Église et de l’État qui date du début du XXè siècle » [4].
Cette singularité française s’illustre, par ailleurs, par le fait qu’en Europe, c’est la France qui gravera la laïcité, avec solennité, dans sa Constitution.
Elle la distingue, au demeurant, de nombreux autres pays où la loi de la religion est celle de l’État et d’autres qui ont un rapport historique avec une religion dominante même si le pluralisme religieux existe (Autriche), et d’autres encore où la religion déborde le cadre privé et apparaît, dans la pratique politique, comme un des piliers de la construction nationale (prestation de serment du Président sur la Bible aux États-Unis d’Amérique[5]).
Cette particularité inhérente à l’identité française contemporaine intrigue, interroge, passionne les débats public et privé, plus d’un siècle après la loi du 9 décembre 1905. Présentée comme l’une des sources textuelles majeures de la laïcité, cette loi dispose toutefois en son article premier que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public[6]. Quant à l’article 2, il souligne que « [l]a République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte […] ». Ces deux dispositions n’ont pas été élaborées sur un malentendu (cela aurait été dénoncé ab initio), tant il est vrai qu’elles traduisent la volonté du législateur français de ne pas présenter la laïcité comme l’antithèse des croyances et des religions, mais d’en faire plutôt un principe républicain protecteur des libertés et de l’égalité. Le texte de 1905 n’en garantit pas moins la liberté religieuse, dans laquelle l’aumônerie prend normativement source.
La liberté religieuse fait l’objet de nombreux autres textes nationaux et instruments, aussi bien internationaux que régionaux, ratifiés par la France. Ainsi, la laïcité est aussi liberté de convictions, d’expression, d’égalité religieuse et d’égalité entre non-croyants et croyants.
Un tel argument tend vraisemblablement à souligner que « laïcité » et « aumônerie » constituent deux manifestations de la société qui s’originent dans un particularisme français. L’État ne définit ni ne crée le fait religieux, il l’encadre tout comme il le fait à l’égard de l’aumônerie, déjà en cours au Moyen-Âge. Aujourd’hui, les aumôniers sont destinés à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que les hospices, asiles, prisons, ou auprès de corps spécifiques tels que l’armée. La suppression des établissements publics du culte en France (loi 1905) n’a pas supprimé ces services.
Le service d’aumônerie comprend non seulement l’accomplissement de certains actes religieux mais aussi le service complet du culte. L’aumônier est un accompagnant et un écoutant, disposé à accueillir et à recueillir aussi les souffrances, les espoirs que la désespérance de celui qui accepte sa rencontre.
Demeurant encore mal connue et faisant peu l’objet de recherche universitaire[7], l’aumônerie devient une curiosité intellectuelle au regard de l’histoire du divorce entre l’État et les religions en France. Aumônerie et laïcité : discordance ? Jonction rédhibitoire ? Association fautive, impossible ? Mélange des genres ? En somme, comment les principes de séparation dans l’État de la société politique et de la société religieuse ainsi que d’impartialité ou de neutralité à l’égard des confessions religieuses rendent-ils possibles les services d’aumônerie ? Ce questionnement vient à-propos et trouve sens dans une actualité en rebondissements sur la question de laïcité.
En arpentant les deux notions, objet de la présente réflexion, un doute méthodique surgit et invite à un retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner plus à fond la situation, ou plus précisément l’état de la relation qui existe entre elles tant il est vrai qu’elles renvoient prima facie à quelque chose de contredit. En réalité, la relation laïcité-aumônerie est vitale car elle se nourrissent l’une de l’autre. S’il existe une relation d’inclusivité de l’aumônerie dans la laïcité (I) à l’effet de lever le doute sur la dissonance qui pourrait y exister, il y a à voir que cette prétendue relation d’homogénéité ou de consanguinité, à certains égards, constitue un équilibre fragile (II).
[1] Michel MIAILLE, La laïcité, Dalloz, 2016, pp. 1 et 2.
[2] Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/la%C3%AFcit%C3%A9/45938, consulté le 14 août 2021.
[3] Jean-Louis DEBRÉ, « Introduction. Laïcité, carrefour des droits et libertés », Dictionnaire de la Laïcité, 2016, p. 5.
[4] The New York Times, https://www.nytimes.com/fr/2020/11/15/business/media/macron-medias-americains-islam.html, consulté le 15 novembre 2021.
[5] Même si le Premier amendement de la Constitution américaine de 1787 dispose que « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs ».
[6] Cf. Titre premier, « Principes ».
[7] Voy. James A. BECKFORD, Dossier coordonné par Irène BECCI, « Prisons et religions en Europe Les aumôneries de prison : une introduction au dossier », Archives de sciences sociales des religions, 153, janvier-mars 2011, p. 1.
Mariame Viviane NAKOULMA
Dr en Droit/diplômée en Sciences politiques.
Enseignante universitaire
Chercheure associée au CLÉSID Lyon 3-Jean Moulin
Fondatrice Conseil Droit international pénal-Gouvernance politique (https://dipen-gouvernance.com)
Auteure