On ne peut pas comprendre la situation actuelle si on ne remonte pas à la prise du pouvoir par Khomeiny. Le 1er février 1979, l’ayatollah balaie d’un revers de main la monarchie iranienne. Pour la gauche occidentale, la chute du Shah est une éclatante victoire contre l’impérialisme américain. Sous la plume de Serge July, Libération célèbre l’événement 1 mais la journaliste Claire Brière-Blanchet, présente dans l’avion qui ramène Khomeiny, déchantera vite. Dans un article pour Matin Magazine, elle alerte l’opinion sur les assassinats commis dans le cadre « du processus révolutionnaire » 2. Enfin, 26 septembre 1979, après l’interview retentissante de Oriana Fallaci, 3 le monde ne peut plus se faire d’illusions sur les intentions totalitaires des ayatollahs.
En finir avec Israël et son allié, les États-Unis : deux obsessions qui animent les ayatollahs. Ainsi, le conflit qui oppose Israël à l’Iran depuis près d’un demi-siècle est le théâtre d’une guerre qui ne dit pas son nom mais, dont les effets sont permanents depuis 1979. Sur ce noyau dur, s’agrègent les pires mouvements terroristes de la planète tels le Hamas d’inspiration frériste pour attaquer Israël par le sud, le Hezbollah créé de toutes pièces au Liban pour attaque Israël par le nord et, dans la foulée en finir avec les chrétiens sans oublier le « petit dernier » le Houtisme né au Yemen, pays réputé pour être une terre d’asile pour terroristes recherchés comme le fut en son temps Carlos.
Or si l’on observe attentivement la carte, on se rend compte que ces trois hydres islamistes menacent l’équilibre régional. Le Hamas à Gaza avec l’ambition de cannibaliser l’OLP jugée pas assez radicale, le Hezbollah au Liban avec comme ambition de prendre Israël en étau et par ricochet de permettre à la Syrie de contrôler plus encore un Liban qui n’est plus que l’ombre de lui-même, enfin, les Houtistes qui empoisonnent le trafic en Mer Rouge, soit 25% du trafic maritime mondial.
Un tel dynamitage géopolitique ne vise pas seulement Israël mais l’Occident à travers la présence des flottes américaine, britannique et française.
En marge de ce déploiement, on assiste à l’émergence d’un front israélo-arabo-occidental regroupant les Émirats Arabes Unis, la Jordanie, l’Égypte, le Maroc et dans une certaine mesure l’Arabie Saoudite. Le professeur Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe explique cette nouvelle donne dans une excellente analyse pour la revue politique et parlementaire 4
En visant Israël Téhéran consolide une coalition pour le moins inédite où chaque puissance est plus ou moins tributaire de l’autre. Un embrasement jouerait l’effet domino ; le risque d’une déstabilisation généralisée, alors, ne saurait être exclu.
Mais plus encore les frappes iraniennes, dans une certaine mesure, sont la traduction militaire du choc des civilisations pensé par Samuel Huntington. Pour autant, la musculature iranienne s’est avérée de la gonflette.
Les frappes détruites à 99% nous enseignent que le Dôme de fer est une arme technologique imparable, qu’elle a bénéficié du soutien de la technologie américaine, britannique et française et que le front israélo-arabo-occidental a parfaitement compris que l’Iran est un danger pour toute la région.
Le risque nucléaire iranien est une réalité. Le front israélo-arabo-occidental pourrait s’abriter derrière la seule puissance nucléaire de la région : Israël.
Il semblerait que si riposte il y a, elle ne viserait pas directement l’Iran mais plutôt ses proxys — ce qui arrangerait tout le monde y compris Téhéran qui n’a aucun intérêt d’une confrontation directe. Par ailleurs, la formidable pression qui pèse sur le gouvernement, y compris les objurgations du leader israélien de l’opposition Yaïr Lapid pourraient bien porter.
La raison commande la retenue. Mais au Moyen-Orient comme partout ailleurs, la politique étrangère est avant tout une affaire de politique intérieure. Netanyahou est pris entre satisfaire la branche jusqu’au-boutiste des ultras orthodoxes qui le maintient au pouvoir et une population de moins en moins en phase avec son premier ministre. Pour autant, à certains égards, Netanyahou a le moyen de se repositionner politiquement vis-à-vis des Israéliens en enfilant le costume d’un Churchill israélien promettant des larmes et du sang dans l’espoir de faire chorus avec lui. Les ayatollahs, eux aussi, ont besoin de monter d’un cran ne serait-ce que pour faire oublier à une population iranienne sa misère matérielle et morale et la focaliser contre Israël, véritable point de fixation depuis 45 ans pour des ayatollahs détestés par l’immense majorité des Iraniens. Il n’empêche. Les récentes informations qui perlent montrent une population qui s’agite et qui peut à tout moment monter en puissance en vertu du « tout à gagner et rien à perdre ».
Toujours est-il que le monde retient son souffle. Netanyahou est sur la corde raide, Israël ayant trop besoin de ses alliés d’un côté et lui, premier ministre trop besoin d’une coalition politique solide quitte à jouer l’équilibriste. Quant aux ayatollahs ils ne peuvent guère compter sur une Russie qui a la tête en Ukraine et les mains dans le pétrin islamiste. Enfin la Chine, fidèle à sa réputation de « pays du matin calme », elle attend et compte les points.
Michel Dray
Ancien Directeur Général du Comité inter universitaire de coopération en Méditerranée
Président-coordinateur de Zone Libre
- Il écrit le 2 février 1979 : « Un vieil homme est rentré hier dans son pays. Chassé par le Shah en 1963, celui qui est devenu le guide de son peuple a mis fin à une dictature. Fête essentielle au cours de laquelle un peuple se regarde, comme un enfant dans un miroir et qui, dans la joie, se reconnaît. » ↩
- Claire Brière-Blanchet réalise peu après la prise du pouvoir par Khomeiny, un reportage sur la mosquée Lorzadeh dont le responsable est l’un des tortionnaires de la sinistre prison d’Evin. Menacée de mort elle doit quitter l’Iran. Par ailleurs elle rompt avec Libération reprochant à July d’avoir attendu plusieurs mois avant de faire état des tortures et des violation des droits de l’Homme en Iran. ↩
- Oriana Fallaci, pour le compte du New-York Times lors d’un entretien avec Khomeiny l’interpelle sur le sort des femmes et l’obligation qu’elles ont le porter le voile. Réponse : « Cela ne vous regarde pas. Si vous n’aimez pas le vêtement islamique, vous n’êtes pas obligée de le mettre, car il est réservé aux jeunes filles et aux femmes bien » Ce à quoi la journaliste lui rétorque : « Je vais donc me débarrasser tout de suite de ce stupide chiffon moyenâgeux » et elle ôte son voile devant Khomeny ! ↩
- Emmanuel Dupuy « Frappes iraniennes sur Israël, quelles conséquences régionales, globales ? » paru le 15 avril 2024. ↩