L’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 a causé le plus grand nombre de victimes en une seule journée depuis la Shoah. La riposte israélienne qui en est la conséquence, montre qu’au-delà des atrocités, cette guerre est aussi une guerre de communication. Depuis les messages émanant du Hamas sur les tirs israéliens qui ont endommagé un hôpital de Gaza le 18 octobre dernier, avec un nombre de morts annoncé oscillant entre 300 et 500 personnes, la manipulation intense de la part du mouvement terroriste est au cœur de la grande bataille de communication à résonance internationale. L’objectif est de mobiliser les médias internationaux et les populations du monde entier, afin de renverser le sens des responsabilités et des culpabilités, et de mettre en exergue la cruauté des Israéliens qui auraient décidé d’exterminer la population gazaoui.
« Combattants » ou « terroristes » ?
A cet égard, les termes utilisés par les médias, les agences de presse et, par ricochet, les militants de la cause palestinienne, ne sont pas neutres. Faut-il parler de « combattants du Hamas » ou de « terroristes » ? Les membres de cette organisation militent-ils en faveur de la « libération » de leur territoire comme l’a fait valoir le président turc Recep Tayyip Erdoğan, ou pour la destruction d’Israël qui est devenu l’Etat-nation du peuple juif selon la dernière révision constitutionnelle votée le 19 juillet 2018. Les propos du président turc ont pour conséquence immédiate le rappel, par Israël, de son ambassadeur et d’une bonne partie de son équipe diplomatique à Ankara. La terminologie a des conséquences immédiates, dans les rapports entre Etats, mais aussi et surtout sur les opinions publiques au Proche-Orient et dans le monde occidental, notamment en Europe et aux Etats-Unis.
« Génocide » un mot usurpé ?
Plusieurs exterminations de peuples ont été qualifiées de génocide : on peut parler du génocide du peuple arménien en 1915 qui fit plus d’un million et demi de morts au sein de l’Empire ottoman, ordonné par le mouvement des jeunes Turcs, la Shoah avec six millions de juifs exterminés durant le nazisme (1933-1945), enfin celui des Tutsis du Rwanda en 1994 avec un million de morts. On a également beaucoup accolé cette expression pour les crimes perpétrés par les Russes depuis le début de la guerre en Ukraine.
Le terme de « génocide » est ainsi de plus en plus usité à propos des opérations d’Israël à Gaza, terme repris par des pays hostiles, mais aussi par des nombreuses associations propalestiniennes en Europe, voire des partis politiques représentés dans les parlements européens.
Or, ce terme a une signification extrêmement précise sur le plan juridique. Le génocide est défini par plusieurs textes internationaux, en premier lieu la Convention pour la répression du crime de génocide adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948 et, en second lieu, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998. Sur la base de ces textes, le crime de génocide se définit par « l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
Le monde de l’irrationnel
Sur le fondement de cette définition, on constate que ce terme est totalement inapproprié pour qualifier l’action entreprise par Israël à la suite de l’attaque terroriste du Hamas. Il ne s’agit en aucun cas d’exterminer un peuple à raison de son existence, mais d’exercer un droit légitime de se défendre face à une organisation qui est terroriste et dont les meurtres et assassinats monstrueux du 7 au 8 octobre 2023 ont montré que leur volonté était bien d’exterminer des ressortissants au motif de leur religion.
On constate donc une discordance totale entre l’acception rationnelle d’un mot ou d’une expression et sa définition juridique. Mais l’impression qui demeure est que la rationalité n’existe plus. Ainsi la maîtrise des mots est-elle essentielle pour les uns, négligeable pour les autres.
Le gouvernement israélien a, quant à lui, également utilisé des termes qui ont pu susciter des interrogations. Le Premier ministre israélien a employé l’expression « vengeance puissante » laissant entrevoir une application rigoureuse de la loi du talion (« œil pour œil, dent pour dent », Pentateuque, Exode 21, 23-25 par exemple) sur laquelle les experts en judaïsme divergent d’ailleurs. Lors d’une conférence de presse, Benyamin Netanyahou a utilisé l’expression « seconde guerre d’indépendance » pour qualifier les interventions terrestres à Gaza, laissant place à des critiques selon lesquelles en utilisant une telle qualification, se trouvant en très mauvaise posture politique, il chercherait en réalité à se hausser au niveau de la stature de l’homme d’Etat fondateur de l’Etat d’Israël (14 mai 1948), David Ben Gourion.
La guerre des mots et des nerfs à l’ONU et en Europe
Les termes employés sont aussi loin d’être neutres en ce qui concerne les journalistes. L’AFP a été sévèrement critiquée pour avoir refusé de qualifier précisément le Hamas d’organisation terroriste, ce à quoi cette agence de presse a répondu que sa déontologie et le rappel des faits lui interdisent de qualifier telle ou telle organisation de terroriste.
La bataille des mots se retrouve également au sein des organisation internationales.
A l’ONU la semaine dernière, après que toutes les résolutions du Conseil de sécurité ont été rejetées soit par la Russie, la Chine, les Etats-Unis ou la France, par l’application de la règle du veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, l’assemblée générale a, le 27 octobre 2023, par 120 pays pour, 14 contre et 45 abstentions, adopté une résolution demandant une « trêve humanitaire immédiate durable et soutenue menant à la cessation des hostilités. » Cette résolution contre laquelle ont voté Israël et les États-Unis, a suscité une réaction extrêmement violente de la part de l’ambassadeur israélien Gilad Erdan, lequel a crié « honte à vous ! » en qualifiant cette résolution d’ «infamie», expression extrêmement forte, qui a aussi résonné sur la scène internationale. Cette résolution a provoqué une critique du gouvernement français par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) en tant que cette résolution ne revendique pas de façon expresse la libération des otages détenus par le Hamas d’une part et, d’autre part, ne comporte aucune condamnation des terroristes du Hamas. Cette résolution a aussi entraîné une riposte très virulente de la part de la ministre tchèque de la Défense, Jana Černochová, appelant son pays à quitter l’ONU dont elle a dit avoir honte.
« Cessez-le-feu », « trêve », « couloir » ou « pause » humanitaires ?
Mais si l’enceinte de l’ONU a été le théâtre d’une bataille des mots, l’Union européenne a aussi été le lieu d’âpres négociations sur les termes à utiliser ou à éviter.
Le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, réuni le 26 octobre dernier à Bruxelles, a bataillé pour inscrire dans le communiqué final faisant office de conclusions du Conseil européen, les termes adaptés à la situation.
Il s’agissait de savoir s’il fallait employer l’expression « cessez-le feu », « pause », « trêve » ou « couloir » humanitaire, l’une comme l’autre suscitant des réactions controversées. Plusieurs pays se sont ainsi opposés à l’expression « cessez-le-feu » qui aurait été comprise comme déniant à Israël le droit légitime de se défendre. Il s’agissait de la position notamment de l’Allemagne, le gouvernement allemand ayant été l’un des plus ardents défenseurs du doit d’Israël d’intervenir à Gaza. La notion de pause qui a été retenue a en revanche permis de trouver un minimum de consensus quant à la nécessité de concilier les revendications légitimes, la libération les otages, la qualification de terroriste du Hamas, le droit d’Israël de se défendre, enfin la nécessité de protéger la population civile. A la demande de l’Espagne a été rajoutée la mention d’une conférence internationale pour la paix afin de relancer la proposition d’une solution à deux Etats.
Les opinions publiques, cibles de cette bataille des mots
Au final, ces batailles de mots sont essentiellement destinées aux opinions publiques internationales. En réalité, Israël ne s’intéresse pas plus que cela à ce que peut penser l’Union européenne qui n’a hélas qu’un rôle très limité sur le plan du processus politique s’agissant du confit israélo-arabe. Quant à la résolution de l’Assemblée générale des Nations-unies, elle n’a aucune force juridique contraignante. Mais elle emporte des conséquences très importantes sur les opinions et gouvernements du monde.
Enfin, la communication institutionnelle a ses limites. Les autorités israéliennes ont eu beau avoir convoqué des centaines de journalistes pour leur montrer des images des atrocités commises par le Hamas, l’impression générale qui en découle est que cette communication n’a pas reçu l’effet escompté sur les populations. D’une part, parce qu’il était impossible de diffuser de telles images dans les médias mais aussi, d’autre part, parce que l’information en continue oblige à parler de l’actualité immédiate, à savoir l’intervention de l’armée israélienne à Gaza.
La question est toujours de savoir de quel côté penche la balance communicationnelle. Force est de constater que, dans le monde, celle-ci est rarement favorable à Israël au-delà de l’émotion créée par l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. La communication est souvent cruelle, impitoyable et à géométrie variable.
Patrick Martin-Genier