La période, sous l’égide du Président de la République, restaure le vieux débat philosophico politique de la place de l’imaginaire dans les discours politiques qui se veulent consistants. Après les luttes fratricides entre tenants du marxisme, du structuralisme et ses bifurcations gauchisantes de ‘Socialisme ou Barbarie’ ou de Cornelius Castoriadis (‘’L’institution imaginaire de la société ‘’) assistons nous à une renaissance sous les oripeaux du ‘en même temps’ (mais aussi des woke ou des théoriciens du genre) alors que d’autres en viennent par une approche souverainiste à flirter avec le ‘corpus imaginaire’ du Rassemblement National auquel il a été souvent reconnu qu’il se trouvait le plus proche du ‘réel’ des gens ?
Face au mécano politique de la rentrée, il semble, à tout le moins, que Macron se procure un grand plaisir digne des arts de la table et de ses grands sauciers. Il le suggère lui-même, tout est sur la table, les recettes sont à inventer dans une politique imaginaire au pied des podiums des JO.
Les fins de troisième mi-temps réussies dépendent d’un socle de valeurs que l’on voulait, jusqu’alors dire ‘symboliques’.
Qu’en est-il du pays après tant d’agitation de drapeaux, de chant de l’hymne et de reprises des vieux tubes des années 70 ?
Quelle grammaire politique va venir structurer cet immense déploiement imaginaire ? Ivresse des sommets, ce furent donc deux semaines hors normes. Mais en altitude, l’oxygène vient à manquer
La période de ce mois d’août à Paris permet toutes les dérives imaginatives.
Jacques Attali dit, fort justement, que nous pourrons juger seulement dans dix ans ce à quoi nous venons d’assister (il évoque la cérémonie d’ouverture) – une expression publique devenue totalement intégrée aux nouvelles mœurs ou la datation d’une déchéance de civilisation ?
Il a raison, il en est ainsi de chaque grand choc de mutations psychosociologiques, quand les foules décrites par Gustave Le Bon qui a montré leur manipulation par un langage qu’on pourrait dire imaginaire, arbitrent entre leur résilience à celles-ci ou les exposent violemment dans une phase d’exorcisme.
On comprend l’inquiétude de la prochaine capitale d’accueil, Los Angeles, qui constate qu’Hollywood sur Seine vient de s’emparer pour un temps de la production onirique de la meilleure facture.
L’imaginaire est porté au pinacle au pays de Descartes, des Lumières et d’une quasi-arrogance de la détention de vérités universelles. Ce serait donc là la dernière prouesse d’un jeune Président de rupture, retour à celui que je décrivais quelques mois avant son élection comme un ‘Petit Prince’ de la politique française (‘Pilhan, de quoi est-il devenu le nom’ Ed Entremises 2016).
Toujours est-il que sur le constat d’une incontestable réussite et d’une ruche médiatique de la parole publique, le pays se retrouve dans un état de sidération face à cette ivresse des cimes – l’ivresse d’être confrontés à un Compossibles comme le décrivait Leibniz, un potentiel malgré les contraintes, dans lequel chacun trouvait sa médaille de bien-être – fierté, unité sous les oriflammes ambiguës de l’identité.
Hasard et (ou) nécessité, ce pays rebelle et soumis, en crise profonde et en mal à son futur vient de produire une sorte d’instant inéluctable et irréductible ; il vient de se confronter à lui-même, de tenter de résoudre l’énigme de ce qui le ronge et, in fine, de produire l’inédit du drame antique dans lequel soit on sombre soit bien l’on devient Phoenix.
Sublimation, exorcisme ou autodafé événementielle d’une espérance dans laquelle on n’espère plus dans cette France sentimentale (cf. mon prochain essai en cours d’édition ‘Les France ressentimentales’ Presses de la Cité) ? Où en est le pays ? Quels sentiments cachés, quelles émotions secrètes travaillent les sous-jacents subjectifs ? Insistons un peu ici. Je considère que la société est traversée et troublée par la soumission générale à l’injonction émotionnelle, on est ‘’émo-vertis’. Et ce alors qu’elle se cache pour pleurer le manque de sentiments, leur consistance et leur rassurante continuité. Comment croire que la raison puisse trouver dans le factuel et l’affect, qui font le charme des pulsions, le substrat solide des équilibres cohésifs des relations humaines et sociales ? Si l’on cherche la riposte à l’esprit de délation, au harcèlement et à la violence sémantique des réseaux sociaux, c’est là qu’elle se trouve dans le lien pacifié du ‘commun’ dont s’enorgueillissait la République en ses valeurs.
On est loin de la parenthèse olympique ? Pas du tout !
Je vais le dire avec d’autres mots, nous allons voir : parlons d’imaginaire, d’une politique rêvée – nommons là ‘Utopie – et prenons la terrible réplique du psychanalyste Charles Melman à propos d’un héros en ces terres : Jean Jacques Rousseau ; « Les utopies sont toutes organisées autour de la tentative d’escamoter le Réel. Elles s’accomplissent : soit par la tentative de symboliser l’Imaginaire en affirmant le pouvoir résolutif de la raison – et nous en avons toutes les traces dans l’histoire, avec le type de terreur politique qui a pu être exercée au nom de la raison – soit, en même temps et d’une façon apparemment parfaitement consistante avec la première, par la tentative d’imaginariser le Symbolique … il s’agit chaque fois de se mettre à l’abri du Réel –, cette réversibilité semble intuitivement admise et ces deux voies, ces deux tentatives apparemment contradictoires peuvent coexister et être admises sans trop de difficultés » ( Le Réel, Charles Melman, ‘Travaux pratiques de clinique psychanalytique’ 2013)
Et si nous en étions exactement là ! Nous aurions produit un scénario fiction de nos pulsions cachées pour sortir de scène avec panache dans un récit improbable et puissant, riche de la culture mythologique de ses conseillers pour l’écriture, du talent artistique incontestable de ses metteurs en scène, du mépris du consensus traditionnel pour celui du mainstream au prix de la prise de risque maximum décrite plus haut par Jacques Attali d’un lâcher prise collectif au plus près des doutes, des symptômes d’une société au bord des abysses.
Car tout cela ne serait rien si ce n’avait pas marché au-delà de ce que ses promoteurs pouvaient en espérer.
Tout se mit en mouvement fluide. Ça commence comme ça, un essai de Dupont (ça ne s’invente pas), du génial Dupont qui, de plus, incarne un esprit flamboyant adulé des Français. La machine à symboles peut se nourrir : des performances sportives, d’un public dopé à l’unité nationale, d’une organisation parfaite.
Imaginariser le symbolique ou symboliser l’imaginaire ? Qu’importe, ça fonctionne ! Le réel effacé et alors ? Le Président peut légitimer le Petit Prince, s’absoudre d’une dissolution hasardeuse ou contreversée et s’afficher garant de cet imaginaire tsunami qui s’arrange avec le réel. Il l’a dit d’emblée – disruptif et ‘en même temps’, voire hors du temps pour un maître des horloges -. Les financiers et banquiers sont ainsi entre imaginaire de leur monde et symbolique de la monnaie !
Le crime non mais le rapt est presque parfait. Le Rn privé de l’imaginaire porté sur lui après la communication à la hache des législatives où la crédibilisation recherchée dans l’appel au réel pour des électeurs qui ne le demandaient pas, un fiasco ! La gauche ringardisée, incapable de répondre à la démagogie imaginaire et coincée par la dérive communautaire de LFI.
Le Président-banquier va-t-il réussir son coup et faire signer les actes d’un nouvel élan politique déroutant devant des opposants jusqu’alors sidérés ?
Un signe – les experts en communication des think-tanks de gauche commencent à se mettre en ordre de marche derrière cette nouvelle manière d’être post-modernes à coup de grande maîtrise des études qualitatives de l’opinion émotionnelle.
La série s’annonce passionnante. Je voudrais après ces prémisses qui affichent mon incrédulité mais surtout ma prudence face aux anticipations dans cette situation – disons-le tout net : ça ne peut qu’imploser et provoquer le retour cruel du réel. Pourtant il y a un doute car le scénario adhère comme un gant à l’organisation actuelle de la société autour du virtuel, des émotions et des réseaux sociaux.
Ma thèse est qu’il n’y a que des propositions de politiques imaginaires accentuées par le déploiement massif de l’intelligence artificielle générative et par la place prise par le virtuel et la viralité des réseaux sociaux. Il s’avère dès lors très difficile d’aller à contre-courant tant la demande du nouvel individualisme est fort et va lui-même dans ce sens.
Ce sera l’épisode 2 de la saga ‘ La politique olympique imaginaire du Président’ (à suivre).
Pierre Larrouy