Le Syrien Joulani, considéré comme terroriste par l’ONU et l’UE, a troqué son nom de guerre contre son vrai nom : Ahmed Al-Charaa. Et il a troqué le nom de son organisation al-Nosra, branche d’al-Qaïda et de Daesh, contre celui d’HTS (Hayat Tahrir al-Cham). Il a troqué ses vêtements de djihadiste contre le costume-cravate. Et il a pris des manières onctueuses.
Les chefs d’État occidentaux ont donc dit qu’il a changé et se sont mis à lui envoyer des émissaires, nonobstant les rapports de leurs ONG qui racontent comment Al-Charaa a transformé le département d’Idlib sur lequel il règne depuis sept ans, en mini-califat, l’alcool ayant disparu, les églises ayant perdu leurs croix et ne sonnant plus les cloches, les femmes étant vêtues de noir, et les voleurs étant mutilés (sauf quand ils appartenaient à HTS). Une police des mœurs relève les transgressions et envoie les coupables en prison. Dans le secret des commissariats et des prisons, la torture est brutale, féroce. Les prisons sont pleines de gens ayant commis des délits qui pour l’Occident n’en sont pas, comme de s’être trouvés seuls avec une personne de l’autre sexe ou d’avoir émis une opinion jugée non conforme, ou simplement, d’être soupçonné d’en avoir une. Et les familles qui manifestent pour obtenir leur libération, ou au moins, pour savoir s’ils sont encore vivants, sont ignorées ou molestées.
Al-Charaa fait fouetter publiquement les hommes qui ne ferment pas boutique à l’heure de la prière du vendredi.
Le premier vendredi après son occupation de Damas, il y a ainsi eu deux flagellations publiques.
Ses hommes massacrent les minorités en ce moment, mais on continue à dire du bien de lui en Occident. Quand il a annoncé un congrès avec toutes les composantes du pays, les plus optimistes ont même déclaré que les femmes pourraient continuer à voter et à participer à la vie publique.
Mais Al-Charaa n’a jamais dit qu’il a changé dans le fond, et il vient de la mouvance frériste syrienne. Or les Frères Musulmans syriens se sont battus durant des décennies pour empêcher les femmes d’avoir le droit de vote. Ils rejettent d’ailleurs le système parlementaire, et Al-Charaa a déclaré qu’il n’y aurait pas de Constitution avant trois ans, et pas d’élections avant quatre.
Les femmes doivent donc attendre trois ans pour savoir si elles pourront voter.
En réalité, Al-Charaa a toujours milité pour le califat. Et dans le califat, il n’y a pas d’élections, Allah étant considéré comme le seul législateur. On peut donc douter qu’il y ait des élections, même dans quatre ans.
Les défenseurs d’Al-Charaa en France sont fiers de raconter qu’il a nommé Maysaa Sabrine, une femme, à la tête de la Banque Centrale. Mais en Syrie, la Banque Centrale n’est pas indépendante du pouvoir. Al-Charaa donnera les ordres, et Maysaa obéira. Et comme la Syrie est un État en faillite, elle sera accusée de l’échec. Un échec aggravé par les ordres qu’elle aura reçu d’Al-Charaa. Car il a décidé d’augmenter de 300% les salaires des fonctionnaires, ce qui servira sa popularité mais aggravera la crise financière et monétaire. Quand le pire arrivera, c’est Maysaa Sabrine qui sera tenue pour responsable de l’aggravement de la crise, pas son chef.
Al-Charaa a également nommé une femme druze, Mohsena al-Maithawi, gouverneure de la province de Sweida, majoritairement druze. C’était le 31 décembre 2024. Et quelques heures plus tard, pendant que les druzes de Sweida se réjouissaient de cette nomination et festoyaient, il a envoyé une troupe pour les massacrer pendant la nuit, alors que l’Occident fêtait la nouvelle année et ne risquait pas d’entendre leurs cris de détresse et leurs appels au secours.
Aussitôt, les druzes ont pris les armes et ont vaincu la troupe d’Al-Charaa, lui causant des morts et des blessés. Aussitôt, il leur en a envoyé une autre. Ils l’ont vaincue. Puis ils sont allés manifester en plein Damas pour exiger le fédéralisme.
On a également dit en France qu’Al-Charaa avait nommé une femme ministre. Ce n’est pas vrai. Pour ne pas nommer une femme ministre, Al-Charaa a rétrogradé le ministère des Affaires de la Femme au rang de simple Bureau. Et la directrice de ce Bureau est Aïcha Debs, femme de la mouvance des Frères Musulmans, et qui parle comme eux.
En décembre, aussitôt nommée, elle a recommandé à chaque femme de « ne pas outrepasser les priorités de sa nature originelle telle que l’a créée Allah, à savoir son rôle d’éducatrice au sein de sa famille… La femme syrienne, par nature, possède beaucoup de capacités. Si nous lui assurons une formation de qualité et des sessions de commandement, elle sera capable, si Allah veut, de participer au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif ».
Mais comment la femme syrienne pourra-t-elle jamais participer au pouvoir législatif s’il n’y a pas d’élections ? Ou au pouvoir exécutif si la route lui est barrée d’office et que Mme Debs elle-même n’a pas obtenu de portefeuille ministériel ?
Et Mme Debs d’ajouter : « Quant au pouvoir judiciaire, je ne vais pas faire de commentaire à ce sujet, car la Constitution va décider de cela. Nous avons un fondement, et c’est la charia islamique. Nous n’abandonnerons pas la charia islamique. »
Donc la Constitution qu’Al-Charaa prépare pour les Syriens – qui ne l’ont pas élu – sera une adaptation stricte de la charia, et il n’y aura pas de femmes juges, et le témoignage féminin vaudra la moitié du témoignage masculin.
Selon la charia[1], en effet,
il faut deux témoignages de femmes pour valoir celui d’un homme,
et les femmes ne peuvent pas être magistrates. Car si elles ne peuvent pas être témoins à égalité avec les hommes, il va de soi qu’elles ne peuvent pas les juger, ni les exécuter : seuls des hommes ont vocation à être magistrats ou justiciers.
Pour les islamistes, les femmes doivent rester à la maison. Elles peuvent être fouettées si, célibataire, l’une d’elles a eu une relation avec un homme. Si elle est mariée, elle doit être tuée.
Idem si elle a des mœurs légères, qualifiées par les islamistes de « daara » (prostitution). Des vidéos de l’exécution de deux de ces femmes à Idlib ont circulé récemment. Elles montrent que le cadi qui prononçait les fatwas avant ces féminicides, était Shadi al-Waisi, ministre HTS de la Justice en Syrie.
Durant des années, Al-Charaa et ses hommes ont tué, violé ou enlevé les femmes qui portaient des vêtements courts ou moulants, ou qui montraient leurs cheveux. Le Coran, en effet, ordonne aux musulmanes de se voiler « pour qu’on ne leur fasse pas de mal[2] ». Les islamistes en concluent qu’ils peuvent sans problème leur faire du mal si elles ne sont pas voilées. Durant la guerre de Syrie, les islamistes, notamment Al-Charaa et ses terroristes, violaient ou tuaient les femmes qui ne se voilaient pas, sauf si elles étaient défendues.
Le comble, c’est quand, pour leur plaire, des femmes se mettent à persécuter les autres femmes.
Daesh avait ainsi des harpies qui guettaient les femmes insuffisamment voilées pour leur couper des morceaux de chair comme avertissement.
Cela vous choque ? Al-Nosra, pourtant, ce n’est qu’une branche de Daesh, fondée à la demande du chef de Daesh, par son lieutenant Joulani. Et vous n’avez pas encore tout vu.
Une fois les sanctions levées par les grandes puissances, et l’argent et les aides à la reconstruction arrivés, Al-Charaa n’aura plus besoin de plaire, et alors, on en verra bien davantage.
Lina Murr Nehmé
Historienne et islamologue
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[1] Pour plus d’informations dans ce domaine, lire : Lina Murr Nehmé, « L’Islamisme et les Femmes », Salvator, 2017.
[2] Le Coran, 33,59.