A la grande satisfaction du gouvernement, le nombre de demandeurs d’emploi a nettement diminué en 2019 selon les chiffres publiés hier par Pôle emploi. Mais pour Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie Politique, il convient d’être méticuleux. Explications.
La tendance se confirme : le chômage régresse. Pour les femmes et les hommes qui viennent de retrouver le chemin de l’emploi, on imagine aisément une forme d’allégresse tant la vie de chômeur est une épreuve aux contours aigus et une plongée récurrente dans l’inconnu.
Si le chômage recule, il faut toutefois être méticuleux car on se focalise essentiellement sur la catégorie A (moins 1,7 % au quatrième trimestre 2019 soit – 3,3 % sur un an en France incluant l’Outre-mer mais hors Mayotte (soit – 120 700 au total) et on oublie – communication étatique oblige – de traiter la question de la catégorie B (travail partiel à hauteur de moins de 78 heures par mois ) et les personnes en formation (catégorie D).
Ainsi, d’un assez remarquable – 3,3 % (catégorie A) pour l’année civile 2019, on tombe à une baisse de 2,9 % si l’on prend toutes les catégories ce qui représente des milliers de personnes.
Or, il faut se souvenir de la pertinence de la loi d’Okun qui a permis d’établir un lien solide entre le taux de croissance et la dynamique du chômage. Concrètement, on situait ainsi les choses : le chômage ne pouvait qu’augmenter, en France, si la croissance atteignait moins de 1,4 %. Les années récentes (et la future année 2020 projetée à 1,1 % de croissance du PIB) ont démontré que la trop fameuse ” inversion de la courbe ” pouvait intervenir avec seulement 1,2 % de croissance.
C’est là que surgit un point que je souhaite souligner. Il s’agit du halo du chômage qui est un concept détecté par les statisticiens de l’Insee. ” La définition et la mesure du chômage est complexe et extrêmement sensible aux critères retenus. …/… Certaines personnes souhaitent travailler mais sont classées comme inactives soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (2 semaines) soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi. Ces personnes forment ce qu’on appelle un halo autour du chômage “.1.
Selon des études non partisanes mais étayées, le halo représenterait près de 600 000 personnes que l’appareil statistique ne détecterait pas.
Effectivement la France est traversée, de part en part, par une vague de plus de 9 % de chômeurs qui se situe entre un point de départ du quinquennat (9,5 %) et l’affichage actuel de 8,4 % qui pose question car exclusif du fameux halo que certains auteurs vont jusqu’à placer autour du million de personnes rendant ainsi peu crédible l’hypothèse d’un taux de 7 % à la fin du présent mandat présidentiel.
Rester méticuleux est une obligation de méthode tout autant que de lucidité. S’agissant de cette dernière, elle conduit à lever le voile sur une France dont le marché du travail est dual. Nombre de personnes frisent l’exclusion sociale tandis qu’il est avéré que bien des entreprises rencontrent des difficultés de recrutement. Ainsi, selon les sources, entre 300 à 400 000 postes resteraient non pourvus au grand dam de l’efficacité recherchée de notre appareil productif. Au plan territorial, la Vendée n’est pas la Seine Saint-Denis. Autrement dit, le chômage est la pire des machines en matière de tri sélectif. Il coagule une dimension structurelle qui frappe surtout les jeunes déclassés (18 % de sans-emploi) et porte en lui un essor de l’emploi des cadres qui est presque au plein-emploi (3,5 %). Des travaux universitaires viendront éclairer, dans un avenir proche, une question cruciale : la perception par les exclus de la réussite des autres est-il un combustible vivace de la protestation sociale ? Est-il le siège de la crainte des parents pour le devenir de leurs enfants ?
La France s’expose à une position singulière en zone Euro avec ce que l’on nomme, sans fard, le chômage de masse. Nous avons vu que celui-ci est au-dessus des affichages quantifiés mis sur la place publique par les différents gouvernements. De Michel Sapin à François Rebsamen ou Muriel Pénicaud, l’opinion publique a toujours été traversée par une onde de méfiance concernant les chiffres du sous-emploi dont le doyen Henri Bartoli disait qu’il ” représentait avant tout un gâchis humain et sociétal “2.
A cet égard, le gâchis sus-dénommé a une horloge en guise de béquilles. En effet, notre pays demeure caractérisé par un chômage de longue durée. Près d’un chômeur sur deux est inscrit depuis plus d’un an soit 2,8 millions de personnes.
Encore plus préoccupant, la durée moyenne du chômage s’est accrue de 35 jours depuis l’amorce du quinquennat du président Macron.
En moyenne, la durée d’inscription à Pôle Emploi est désormais de 323 jours, soit 10 de plus que l’année précédente.
Notre Nation est dotée d’une main d’œuvre qui veut travailler mais qui en est empêchée par la détérioration pluri-décennale de la compétitivité de la plupart de nos secteurs économiques. La meilleure preuve de cette appétence pour l’activité professionnelle se trouve dans l’essor du travail dissimulé. Preuve que, là, l’offre et la demande savent se rencontrer et comment s’entendre, au détriment du processus socialisé qu’est le labeur dans une économie occidentale contemporaine.
Jean-Yves Archer
Economiste
Membre de la Société d’Economie Politique