Le Président de la République s’est offert mercredi soir un privilège dévolu exclusivement à sa fonction : monopoliser la première chaîne entre 21h et 23h pour exposer et défendre le bilan de son quinquennat. Exercice d’autopromotion d’un proto-candidat à l’élection présidentielle 2022 ? Le CSA le dira. La véritable question, politique, est plutôt : Quel bénéfice ?
Nous sommes obligés, par honnêteté intellectuelle, de le confesser d’entrée de jeu : Nous nous apprêtons à analyser une interview que nous n’avons pas regardée. Pas intégralement du moins. Nous n’avons tenu que 20 petites minutes. Le temps que le train présidentiel soit mis sur les rails médiatiques et qu’il ait entamé son trajet ultra-linéaire. Et nous sommes revenus à 15mn de l’entrée en gare, à la fin de l’interview. Entre temps ? Une série sur Netflix, bien plus punchy ! Qu’avons-nous manqué ? Les inconditionnels de la parole présidentielle diront : A peu près tout. Le politologue expérimenté dira : vu la topologie du parcours prévu par les journalistes – extrêmement lisse, plat, uniforme, sans obstacle, sans brume, sans écueil –, un parcours qu’il était possible de survoler d’un coup d’œil depuis le point de départ, probablement pas grand-chose. Pour preuve : le train est arrivé à l’heure dite, de façon très convenue, égal à lui-même, sans bruit, sans coup de frein, dans une molle décélération jusqu’à son point mort, en butée, comme on aurait pu s’en douter.
Un exercice léché donc, au point d’avoir été mis en boîte quatre jours plus tôt, et puis scruté attentivement, découpé, réassemblé, à plusieurs reprises. Un de ces cadeaux de Noël dont on ne comprend pas, une fois l’emballage ouvert, en quoi ça nous concerne.
De fait, ce n’était pas un cadeau du Président aux Français, mais un cadeau du Président à lui-même.
Offert avec l’aimable participation de TF1 ! Le moment qui nous a fait tout lâcher au profit d’une série Netflix américano-australienne sur les sous-marins nucléaires ? L’incroyable mise en abîme initiée par Darius Rochebin : « Entrons dans le cerveau d’Emmanuel Macron. Comment ça se passe quand on a un tel poids sur les épaules ? » Complaisance de midinette ? Non, journalisme introspectif, nous dit-on. Il est tout de même intéressant de se repasser les images pour déceler dans les yeux de Rochebin la flamme de l’admiration et, par contraste, la gravité de circonstance, sourcils froncés, regard fixe, de ce Hussard sur le toit qui est si admirablement parvenu à porter un tel poids sur ses épaules : « Nous étions conscients que ce virus était redoutable ! […] On a vu ce virus arriver en Italie. Je me suis moi-même rendu à Naples. On voyait vraiment la mort rôder… »
On passera sur les incohérences, comme celle relative au déplacement présidentiel « en Seine-Saint Denis durant le premier confinement pour voir la vaccination… » Sauf que durant le premier confinement, il n’y avait pas de vaccination ! On passera sur la lecture gauchisée qu’il effectue du même évènement, relatant avec emphase la difficulté, pour ces habitants prisonniers d’appartement exigus, de supporter les conditions du confinement. Sauf que les images de cette période ont abondamment montré que ces quartiers s’étaient dispensés assez librement des obligations de confinement, d’où des taux d’incidence souvent plus élevés qu’ailleurs ; sans parler des attaques répétées contre la police, laquelle avait ordre de ne pas intervenir pour éviter un embrasement ; sans parler des rodéos sauvages, des trafics, des coups de feu tirés dans les rues, parfois à l’arme automatique. Bref, une mystification woke de l’histoire récente que les deux journalistes ont écoutée benoîtement, comme il existe des mystifications de l’histoire plus ancienne, celle de la guerre d’Algérie par exemple, où la présence française était assimilable, dit-on, à un crime contre l’humanité.
La véritable question est : Pourquoi un tel exercice ? Et surtout : Quel bénéfice ? Le pourquoi est simple.
Le pouvoir élyséen a été pris d’une crise de panique face aux sondages en hausse de Valérie Pécresse
Il fallait répondre, sans attendre. Car s’il est possible de disqualifier les opposants rêvés d’Emmanuel Macron : Marine Le Pen ou Eric Zemmour, en les excluant du champ républicain grâce à cette étiquette mortifère : « extrême droite », il est impossible de le faire avec un candidat LR. Pèse désormais sur Emmanuel Macron la menace de se voir rangé dans l’arrière-boutique de la politique, sous la même étiquette que les deux précédents présidents : « Non réélu ». D’où la nécessité de flatter son bilan, de recréer de la cohérence idéologique et politique entre toutes les séquences du quinquennat, de tracer des perspectives économiques et politiques pour l’après 2022. Sauf que le lissage obsessionnel de ce bilan s’est apparenté à une aseptisation excessive, soporifique y compris pour l’électorat de gauche largement ciblé. Le bénéfice ? Probablement assez maigre.
Frédéric Saint Clair