Dédale et Icare perdus dans le labyrinthe de la proposition de loi pour une retraite “universellement juste”… Depuis quelques jours, le “cher et vieux pays” donne aux observateurs étrangers l’impression qu’il est sur le point de basculer dans une situation insurrectionnelle – 6 nuits de débordements de violence assortie de pillages et d’incendies du fait de casseurs issus principalement de l’ultra-gauche depuis le recours au 49.3 pour l’adoption de ce texte objet du rejet majoritaire de l’intersyndicale unitaire et dénoncé en vain à travers 9 journées de manifestations inscrites dans la légalité, massives et intenses à travers tout le territoire national-.
Sous le choc des images de chaos diffusées en boucle par les chaînes télévisées d’information et relayées par les réseaux sociaux, la presse internationale est littéralement sidérée par l’ampleur de la crise déclenchée par ce qui devait être la Mère des réformes de la deuxième mandature sous l’égide du “En même temps”, en réalité l’illustration des insuffisances et limites d’une méthode de gouvernance ambiguë générant malentendus et désillusions et débouchant sur l’impasse dramatique de ce début de printemps 2023, crise de régime et embrasement social, comme pour confirmer cette sorte de malédiction française des mandats reconduits où l’état de grâce et les espoirs suscités lors d’une première élection se fracassent dans l’usure de l’exercice du pouvoir et où la déception des promesses non tenues aboutit au divorce avec les électeurs…
La fiction du dépassement du vieux clivage droite/gauche et les tours de passe-passe où la communication habile pouvait encore camoufler le manque de fond et de ligne lisible de persévérance, en résumé de cap clair dans l’action politique, ont atteint, au lendemain de l’intervention du Président de la République le 22 mars 2023, leurs bornes dans les circonstances les plus dangereuses pour notre pays à la fracture aggravée depuis le 24 avril 2022…
Plus rien ne semble sous contrôle ni rattrapable au train où augmentent les tensions avec, fait nouveau, l’apparition progressive d’une atmosphère de lutte de classes en arrière plan très préoccupante, provoquée en bonne part par une macronie déboussolée et ses relais d’opinion qui ont attisé imprudemment la révolte avec des interventions et déclarations intempestives dans les médias, singulièrement en décalage avec l’exaspération montante des protestataires par la maladresse insigne de leur contenu (La victoire revendiquée dans ce qui restera un cas d’école de fiasco politique pour un texte lacunaire “voté” dans les conditions que l’on connaît, étincelle de départ de l’incendie actuel, 9 voix manquant à la motion de censure transpartisane ayant recueilli 278 soutiens sur les 287 requis, un 49.3 pour éviter une dissolution de l’Assemblée nationale, etc…) au lieu de faire profil plus bas et moins provocateur, si tenté désormais qu’il soit encore temps et possible d’apaiser la colère en passe de muer en rage de la “foule” depuis le 20 mars au soir.
La “familia grande” enfermée dans sa condescendance habituelle pour “ceux qui ne sont rien” et autres “sans dents”, imbue d’elle-même dans sa certitude de personnifier la caste apte à guider les “bons amis” transparents et interchangeables qui font tourner les rouages de la société au quotidien, les commentateurs professionnels distillateurs de l’insipide doxa dominante, les experts autoproclamés et cabinets de mauvais conseil concoctant les éléments de langage officiels -pseudo-élite au rabais et technostructure hors-sol- n’ont visiblement pas pris la mesure de l’épreuve de force qui secoue le pays et fournissent à ceux qui veulent profiter de cette tempête pour envenimer la situation et renverser définitivement la table tout le carburant qu’il leur faut afin d’installer durablement le désordre et dresser les Français les uns contre les autres dans la violence et la discorde haineuse…
Ce jeu malsain et irresponsable, en passe de nous détruire, est imputable à cette terrible et mortifère illusion semble-t-il partagée entre les dirigeants de l’heure et ceux, personnifiés dans la poignée de Black blocs insaisissables saccageant méthodiquement les rues de la capitale et de nos métropoles en marge des cortèges, qui veulent mettre à terre nos institutions, que le pourrissement paroxystique à tous les sens du terme finira par provoquer soit un retournement providentiel de l’opinion contre les opposants à cette réforme en qui plus personne ne croit réellement, soit la chute de l’édifice vermoulu dans la violence de l’insurrection.
L’incendie est là, nuit après nuit, et passera insidieusement des poubelles à l’ensemble de la société si un coup d’arrêt n’est pas donné par ceux qui l’ont initié à ce sinistre sabordage collectif dans les plus brefs délais. Le tout se déroule dans un climat d’insécurité, d’incivilités et de délitement cumulatif de la cohésion sociale, il faut le rappeler à des dirigeants politiques en responsabilité pour reprendre leur jargon qui n’ont eu de cesse de minimiser un “ressenti plus qu’une réalité” de cette violence que les forces de l’ordre finiront par ne plus pouvoir contenir si on ne prend pas la décision immédiate de suspendre la cause de l’explosion à laquelle on assiste en ce début de printemps de tous les dangers.
Les jours et les heures ont passé et on a laissé sciemment ou pas la France s’enfoncer dans une confrontation dont l’issue est de moins en moins perceptible tant le déni de la gravité du bras de fer aura fait de mal à la recherche de voies de sorties autrement plus crédibles que l’absence de réponse de l’exécutif.
On est passé, par défaut de débat et d’écoute, du bras de fer au bras d’honneur qui est en train de virer au drame d’un autre temps avec une invraisemblable inconscience de la volatilité de la situation. Il est trop tard ou trop tôt en l’absence d’annonces et de perspectives de changements tangibles et sérieux de cap pour les appels à discussion et retour à la table de discussion et négociation, sans révision drastique du logiciel gouvernemental qui ne répond plus à la dégradation spectaculaire de la situation depuis le début de la semaine et après les réactions à la prise de parole du Président de la République, observées en cette 9ème journée de mobilisation contre le fruit du processus parlementaire.
Et il arrive que la “foule” s’empare de la “légitimité” dans des soulèvements violents ; l’histoire de France regorge d’exemples de ces accès de fièvre où le peuple excédé par la dégradation de ses conditions de vie a balayé les certitudes infondées de sa classe dirigeante dépassée sur les réponses à apporter aux crises traversées à ces moments précis de bascule dans le chaos tels que celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui.
Il est minuit moins dix et plus, temps pour se perdre dans une fuite en avant et des justifications désormais inutiles quand une proposition de loi devient une contrainte insupportable pour des raisons dépassant largement son contenu, et déclenche à ce point une haine au delà de la simple impopularité. Elle n’en vaut pas la peine et il est peut-être encore temps s’il reste une once de lucidité aux acteurs de ce gâchis invraisemblable dans une démocratie digne de ce nom pour calmer ce jeu ridicule avec le feu.
Quand le dialogue de sourds atteint un tel pic d’incompréhension et tourne au pugilat entre le pouvoir et le peuple, il faut savoir reconnaître qu’il est grand temps d’ abandonner le jusqu’auboutisme conduisant à la catastrophe et de renoncer aux “leçons” inaudibles.
Prévoit-t-on encore de recevoir le Roi Charles III d’Angleterre pour sa première visite officielle en France depuis son avènement, d’assurer sa sécurité et le bon déroulement du programme annoncé, dans la perspective d’une 10ème journée de mobilisation prévue le 28 mars et d’actions quotidiennes de maintien en pression de la contestation/révolte contre le projet de réforme des retraites jusqu’au jour de l’arrivée du monarque, après les scènes de chaos vécues ce 23 mars 2023 dans la capitale et à Bordeaux ? La raison voudrait qu’on envisage une autre alternative pour le déroulement d’une telle visite afin d’éviter un motif de honte supplémentaire au “cher et vieux pays” saisi de convulsions sous l’œil ébahi de ses voisins et au delà. A Moscou en guerre contre l’Ukraine et au ban de l’Union européenne, des États-Unis et des membres de l’Otan, la visite du dirigeant de 1,412 milliard de Chinois à son homologue russe isolé et sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, ramène à de glaçantes proportions le psychodrame français dans un monde où le déclassement ne pardonne pas.
Qui donc aujourd’hui peut prendre le risque de jouer le rôle d’Icare avant de sombrer au fond des flots dans le fil d’une histoire indéniablement tragique ?
Eric Cerf-Mayer
Photo : Alexandros Michailidis/Shutterstock.com