Lors des récentes consultations électorales, tant présidentielle que législative, les questions liées aux dépenses publiques ont été mises sous le boisseau par différents acteurs d’importance sociétale.
En moins de quinze jours, ces questions ont désormais jailli sur le devant de la scène sous l’impulsion des travaux nourris et documentés de la Cour des Comptes et du HCFP : Haut Conseil des Finances Publiques.
Quel paradoxe ! Alors que la dette et sa cinétique n’ont pas fait recette auprès de l’électeur, voilà que le citoyen partage l’alerte portée par la haute hiérarchie ministérielle et financière à valeur juridictionnelle.
Ce paradoxe du silence ouaté lors des votes et de la résurgence du débat postérieurement à la mise en ordre de marche du Gouvernement Borne II n’est pas un signe de bonne santé de notre démocratie.
Le mutisme de l’Exécutif durant la période électorale est certes habile mais in fine, il est un aveu de la gravité de la situation réelle. Un pan de la réalité a été occulté au détriment direct de la lucidité de nos compatriotes qui n’entendent parler de « cote d’alerte » (Bruno Le Maire) que fin Juin.
D’autant plus choquant que la dette est, par son importance, une donnée transgénérationnelle. Tant qu’à laisser une ardoise aux générations qui suivent, que celles qui sont aux commandes soient mises en mesure de prendre conscience des enjeux et notamment de la fiscalité à venir. Car comme l’a écrit un certain David Ricardo il y a deux siècles : « Les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain ».
Un président de la République en mode camouflage face à 2901,8 Mds de dette explicite n’est pas de bonne pratique démocratique ni même politique car l’Histoire enseigne qu’elle fait payer cash ce genre de subterfuge.
Michel Charasse aimait à rappeler qu’à force de prendre les « gogos pour des c**ns, ils se vengent tôt ou tard ».
Pour l’heure, la trajectoire des Finances publiques n’a pas fait l’objet de la communication explicitement prévue par l’article 46 de la LOLF. Donc, depuis la date du 1er Juin, l’Exécutif est en situation de violation législative.
La Cour des Comptes s’érige légitimement en lanceur d’alerte et, fait encore rare, a diffusé le tweet suivant : « Avec un déficit public de 6,4 points de PIB en 2021 et une dette supérieure à 110 points de PIB, la France sort de la crise sanitaire avec une situation des finances publiques parmi les plus dégradées de la zone euro ». Par la publicité donnée à ce message, les magistrats de la rue Cambon cherchent à aviser le plus grand nombre et, au passage, à tordre le cou aux comparaisons hasardeuses entre la France vue par nos gouvernants et la situation de nos partenaires.
Page 47, la Cour démontre qu’« entre 2017 et 2019, une nouvelle dégradation de la position de la France au sein de la zone euro » est à relever. Donc en amont de la crise du Covid-19 et du célèbre « quoi qu’il en coûte ».
La détérioration des Finances publiques a commencé, clairement, dès le début du premier quinquennat de l’actuel titulaire de la charge présidentielle.
Certains esprits vont même jusqu’à noter que l’aggravation de la dette – sur cette même période – a été supérieure, comme l’a dit le Sénateur Patrick Kanner, à la situation générée entre 2012 et 2014.
Pour qui prend le temps de lire les 171 pages du document émis le 1er Juillet 2022, nul doute possible, nos Finances publiques sont dans un état critique et les voies et moyens pour améliorer la situation demanderont des sacrifices et plus de rigueur : notion distincte de l’austérité.
Ce que confirme, avec un autre angle d’approche, le HCFP dans son document relatif « au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de Loi de règlement de 2021 ».
« L’évaluation du déficit structurel (4,4 points de PIB potentiel) présentée par le Gouvernement pour 2021 est supérieure de 3,1 points à la prévision retenue dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) du 22 janvier 2018 (1,2 point). Cet écart est très nettement supérieur à 0,5 point de PIB. Il doit donc être considéré comme important au sens de l’article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 ».
La qualité de la rédaction administrative, toujours teintée de retenue, ne saurait masquer la longueur de la dague qui perce les propos ministériels par trop lénifiants.
A jouer au marchand de sable de « Bonne nuit les petits » tandis que filent les déficits cumulés, il est patent que le décideur public s’éloigne de l’intérêt général et s’inscrit dans une pseudo-gestion de court-termisme.
Il se murmure déjà que l’interjection « ni dette, ni impôts supplémentaires ! » ne survivra pas au trou d’air escompté s’agissant de la croissance pour 2023. Encore un mot de trop, incompatible avec le malade de l’Europe qu’est devenue la France.
Comment prétendre que notre taux d’inflation est un des plus formidables d’Europe alors que l’on a inventé des boucliers « énergie » que le contribuable finira par payer ?
La moquerie serait-elle devenue répétitive comme dans le théâtre de Pirandello ? Combien de temps ce jeu de ficelles pourra-t-il tenir devant l’opinion et les oppositions parlementaires de l’Assemblée et du Sénat ?
Au demeurant se pose une question de sincérité des comptes publics que résume avec tact mais rectitude le HCFP : « Le Haut Conseil rappelle, comme dans ses précédents avis, que l’évaluation du solde structurel sur laquelle il est appelé à donner un avis est aujourd’hui fortement brouillée et que celui-ci ne rend pas compte de la situation réelle des finances publiques. »
Ces données étaient connues du candidat à la charge suprême ce qui induit un questionnement sur les modalités d’expression du suffrage universel. Chaque lecteur, en souvenir de sa qualité d’électeur du printemps dernier, est laissé juge de sa conclusion intérieure à la lumière de la situation aujourd’hui officielle.
C’est parce qu’il y a eu duperie qu’il faut parler de cinétique des Finances publiques et de la dette et non de la seule trajectoire nominale.
La Cour appelle, sans détour, à une meilleure définition de la Loi de programmation des Finances publiques et s’écarte des chiffrages prévisionnels gouvernementaux concernant l’année 2022.
Elle souligne l’ampleur de la dynamique de la dette : « L’ampleur des déficits a conduit à un fort accroissement de la dette publique depuis 2019, de 15,1 points de PIB, pour atteindre 112,5 points de PIB à la fin de l’année 2021. Si la croissance économique élevée en 2021 a permis de faire baisser légèrement la dette en points de PIB par rapport à 2020, son montant s’est accru de 165 Md€. Depuis le début de la crise, la dette des administrations publiques a augmenté de près de 440 Md€. » (page 45).
« Le solde structurel, qui permet de tenir compte de l’effet de la conjoncture, s’établirait dans l’évaluation de la Commission européenne à – 5,3 points de PIB potentiel en France en 2021, soit le deuxième plus élevé des principaux pays de la zone euro (derrière l’Italie) et près du double de celui de l’Allemagne. L’écart à l’objectif de solde structurel de moyen terme s’élève désormais à près de 5 points de PIB potentiel. » (p. 51).
« Ce chapitre décrit les développements en matière de finances publiques intervenus depuis le vote de la loi de finances initiale ( LFI ) pour 2022 et susceptibles de modifier sur l’exercice en cours, les niveaux de recettes, de dépenses, de déficit et de dette. Il tient compte des prévisions économiques récentes de la Banque de France, de l’Insee et des organisations internationales. Il rend compte d’un décret d’avance publié le 7 Avril 2022 dont les crédits devront être ratifiés par la prochaine Loi de finances. Il s’appuie également sur le projet de Loi de finances rectificative ( PLFR ) présenté au Conseil des ministres au début du mois de Juillet. »
« Toutefois, cette analyse ne peut faire état du programme de stabilité transmis habituellement à la Commission européenne avant fin avril. Le Gouvernement ayant sollicité un report auprès de la Commission européenne en raison des échéances électorales. »
La Cour poursuit en citant le HCFP dans son avis sur le PLFR :
Dans son avis sur le PLFR présenté début juillet, le Haut conseil des finances publiques (HCFP) a estimé que « la prévision de croissance pour 2022 du Gouvernement n’est pas hors d’atteinte mais est un peu élevée. L’inflation prévue pour 2022 paraît à l’inverse un peu sous-estimée. »
Donc, il sera soumis au Parlement un texte d’importance, à savoir une Loi de finances rectificative 2022 avec une prévision de croissance généreuse et un taux d’inflation sous-estimé.
Au fait, qui parlait sans cesse du « cercle de la raison » ?
Clairement, nous avons, à ce jour, trop de baratin au sujet de variables-clefs de notre situation macroéconomique. Les chiffrages empruntent systématiquement les chemins de confort politique.
Mais la microéconomie n’est pas en reste : ainsi, le cas d’EDF.
Récupérer les 16% de capital flottant va représenter une charge budgétaire tangible de près de 10 Mds d’€uros.
EDF nationalisée présentera un avantage massif : l’État pourra alors apporter sa caution intégrale au programme d’endettement requis de ce fleuron national.
Une première évaluation fait ressortir de sérieux besoins de financement : 50 Mds pour la poursuite de la maintenance et du grand carénage de l’existant, 65 Mds pour la construction des EPR reformatés, etc.
Lorsque l’État sera la caution pluriannuelle d’EDF, il pourra glisser une large partie de cette somme en engagements financiers : donc dans la dette dite hors-bilan qui représente plus de 4500 Mds dont environ la moitié est totalement certaine puisqu’elle vise le paiement des pensions des fonctionnaires.
Dette explicite de près de 2960 Mds à fin 2022 et dette implicite de près de 5000 Mds soit des années de pression fiscale.
Au risque de paraître « old school » je ne prends pas seulement le ratio dette sur PIB mais le ratio dette sur potentiel fiscal.
C’est bien plus illustratif de l’état de santé d’un pays. Songeons que la crise Covid et ses près de 500 Mds, c’est plus que les recettes de TVA et de l’impôt sur le Revenu.
Comme l’a récemment écrit l’ancien ministre Alain Lambert, la situation est vraiment préoccupante. J’ajoute : et bien trop opaque.
Pendant ce temps-là, le Gouvernement se préoccupe, à raison, de la question du pouvoir d’achat, thème primordial depuis les élections.
L’équation n’est pas aisée mais chacun a pu noter que les promesses énoncées par la Première ministre lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement constituent plus de 20 milliards d’€uros.
Décidément, la facilité budgétaire est ancrée dans l’ère présente de notre politique économique mais risque de rencontrer un nouvel obstacle à savoir la préservation de la zone €uro. Le spread entre l’Allemagne et la France et la dépréciation de la monnaie unique (à quasi-parité avec le dollar U.S) ne sont pas des signaux faibles. D’autant que la stagnation (inflation + récession) s’annonce avec insistance à court terme.
Pour citer le titre de l’émission du regretté François-Henri de Virieu, « L’heure de vérité » approche. A vos chéquiers !
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique