Lors de son discours de la Bibliothèque nationale de France, le 5 octobre 2023, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, annonçait sa volonté de mettre en œuvre un « choc des savoirs » pour élever le niveau de l’école.
Alors que les derniers sondages montrent que 60 % des 16-25 ans ne savent pas quand a eu lieu la chute du mur de Berlin, qu’à peine un tiers de nos concitoyens connaîtraient le nom du président de l’Assemblée nationale ou encore que seule la moitié des élèves de 6e sait répondre à la question : « Combien y a-t-il de quarts d’heure dans 3/4 d’heure ? », la question du niveau en culture générale des Français se pose.
Des résultats qui s’expliquent notamment par les sources d’information des jeunes : les réseaux sociaux sont loin devant les chaînes de télévision. Et seulement 8 % s’informent grâce à la presse écrite. Au pays des Lumières et de l’Encyclopédie, notre culture générale serait-elle en déclin ?
La culture générale, dite culture « G », fait beaucoup couler d’encre ces derniers temps. Quel sens donner à ce concept ? Quels en sont les enjeux ? Ces derniers sont de taille pour que l’on parle d’une « bataille des savoirs » à mener.
« La culture est l’âme de la démocratie. » déclarait Lionel Jospin. Voyons cela de plus près.
Le concept de culture générale a-t-il un sens ?
« Ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. » Voici la définition de la culture proposée par L’UNESCO.
Reliant les systèmes de valeurs aux modes de vie, les arts et lettres aux traditions, les connaissances technologiques et scientifiques au savoir-être, la culture générale est multiple et protéiforme.
Si certains philosophes préfèrent à « culture générale », le terme de « culture générique », cela laisse ouvert la question d’une convergence possible de toutes les cultures sociales particulières en une culture humaine dont l’universalité serait la finalité. Mais force est de constater que la notion de culture G ne va pas dans ce sens. Loin d’être universelle, la culture se construit de façon singulière, du lettré de l’Antiquité grecque à l’honnête homme du XVIIe siècle, en passant par le citoyen instruit de l’époque moderne, chaque époque engendre un rapport à la culture qui lui est propre. Si la culture s’affranchit de la notion d’espace, celle du temps en revanche laisse son empreinte.
« La culture française est la seule culture capable de séduire tout le monde. Pourquoi ? Parce que c’est le seul empire qui ait invité les autres cultures à venir dans sa capitale pour s’y exprimer. » proclamait Emir Kusturica, cinéaste serbe et lauréat de deux Palmes d’Or au Festival de Cannes.
La culture générale se veut « cultura animi », culture de l’âme, nécessaire à sa fertilité comme l’agriculture est nécessaire à la fertilité d’un champ, selon une métaphore qu’on peut faire remonter à Cicéron.
Du polymathe qu’était Léonard de Vinci ou l’écrivain Isaac Asimov aux lettrés de nos différentes Académies (française, des sciences ou encore des beaux-arts), la culture générale ne se limite pas aux esprits les plus brillants.
« La culture c’est un peu comme le bonheur, ça se partage. » rappelait Georges Pompidou. Et c’est là, le rôle de l’école, de la famille, de l’environnement professionnel que de partager les connaissances, de les faire s’infuser dans les esprits et de les offrir à ceux qui en sont demandeurs.
Notre société, plus technologique d’année en année, fait ressortir par effet de contraste, la nécessité de développer la culture G. Cette dernière est tout d’abord un perfectionnement de soi.
Elle permet de développer une gymnastique intellectuelle et une ouverture sur le monde. Par la création de connecteurs logiques, elle favorisera la compréhension, tel un cercle vertueux d’apprentissage. C’est ce qui en fait une ressource précieuse aux yeux des entreprises.
Enjeu de la culture générale dans notre Société et dans les sociétés
« Être cultivé, c’est disposer d’un minimum de connaissances émanant d’origines extrêmement diverses, et être capable de les faire communiquer entre elles. C’est se nourrir d’examen et d’auto-examen. C’est ne pas se fier au jugement d’autorité. » Voici une définition intéressante du sociologue Edgar Morin.
Plus que le savoir en lui-même, les sociétés et la Société en générale, ont besoin de savoir-être et d’ouverture d’esprit, de capacité d’adaptation et d’écoute active.
Élément vital d’une société (avec un « s » minuscule comme majuscule) dynamique, la culture s’exprime dans la relation aux autres mais surtout dans sa façon d’aborder une situation, un problème.
Atout essentiel, elle permet de développer à la fois son intelligence, ses centres d’intérêts et son sens critique.
« La culture ce n’est pas avoir le cerveau farci de dates, de noms ou de chiffres, c’est la qualité du jugement, l’exigence logique, l’appétit de la preuve, la notion de la complexité des choses et de l’arduité des problèmes. C’est l’habitude du doute, le discernement dans la méfiance, la modestie d’opinion (…) ». L’écrivain Jean Rostand met le doigt sur ce qui fait de la culture « G » une véritable plus-value, que ce soit pour sa progression personnelle, ou pour contribuer à une émulation collective.
Des études, au cours desquelles la culture générale permet de se démarquer, à la vie active dans laquelle elle permet d’alimenter un échange, gagner ses galons, amener l’argument décisif auprès d’un client, en passant par le quotidien au cours duquel, entre autres, les parents jouent un rôle de succession de savoir et de partage de culture. Cette dernière est donc un atout essentiel à chaque étape de la vie. Il s’agit d’une véritable boite à outils pour la vie personnelle comme professionnelle.
Mais se constituer cette boite à outils nécessite une démarche, une volonté, des efforts.
Mener la bataille des savoirs… ou subir le syndrome de Saint Denis
« La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » clamait André Malraux. En effet !
La difficulté du développement de la culture générale consiste dans le fait qu’elle soit justement « générale », et le meilleur allié pour la développer est la curiosité.
La culture générale peut se développer dans la vie de tous les jours, de 1 000 façons. Grâce à un film, un livre, une exposition, un voyage, une émission, une discussion, une visite de musée, une conférence… bien loin du cliché selon lequel seul un livre ennuyeux de 500 pages cultive son lecteur. Mais l’endroit par excellence pour amorcer et étoffer sa culture G est l’école.
La « bataille des savoirs » appelée de ses vœux par G. Attal, commence par l’exigence, la lisibilité et la qualité du cadre des apprentissages. Cela implique une ambition pédagogique, une exigence dans la mise en œuvre des moyens, un environnement propice et, bien sûr, une volonté d’apprendre de part et d’autre, que l’on soit enseignant ou apprenant.
Le philosophe et historien des sciences Michel Serres, s’amuse dans un petit essai, Petite Poucette, de la dextérité du pouce chez les plus jeunes, accrochés à leur portable, et estime que nous sommes face à un bouleversement intellectuel radical : la fin de l’ère du savoir
Selon lui, « plus besoin de se goberger de connaissances puisqu’elles sont disponibles partout, tout le temps, à portée de clic. Internet soulage notre mémoire et rend notre cerveau plus disponible pour l’intuition novatrice et vivace ».
« On ne peut plus évaluer un élève sur sa faculté à stocker des connaissances », ajoute l’économiste Dominique Meurs, chercheuse associée à l’Institut national d’études démographiques (INED). Selon cette vision des choses, être cultivé aujourd’hui reviendrait simplement à savoir où et comment trouver l’information. Cela se limiterait donc à être capable de se repérer dans le savoir, évaluer sa valeur et être capable de la relier aux autres. Tel le syndrome de Saint Denis, tenant sa tête dans ses mains, vouloir échanger la possession de connaissances à une simple aptitude à savoir cliquer sur le bon site, revient à revendiquer des têtes moins pleines, mais sachant où chercher. Vive les encyclopédies en ligne et aux professeurs de s’adapter !
Cette idéalisation pédagogique suscite inévitablement quelques sarcasmes. Ce qu’on trouve sur Internet, ce sont des informations, pas des connaissances ! Sans le savoir de base, sans des connaissances solides, les élèves n’ont plus d’ordre de grandeur : il leur suffit de tomber sur une coquille de Wikipédia pour situer Archimède à la Renaissance, ou encore illustrer une présentation sur Shakespeare avec la photo de l’actrice Anne Hathaway (homonyme de l’épouse du dramaturge anglais) !
La culture générale n’est donc pas qu’un amas de connaissances. Elle joue un véritable rôle dans l’aptitude à raisonner, dans le comportement humain et dans la qualité des relations avec les autres.
Gymnastique intellectuelle, ouverture sur le monde, la culture générale permet d’accéder à un esprit critique, à une aptitude supérieure de raisonnement et elle reste un élément déterminant dans la vie en société. Comme le résumait Friedrich Nietzsche : « La culture, c’est avant tout une unité de style qui se manifeste dans toutes les activités d’une nation. »
Alors, ce combat pour renouer avec une culture générale de qualité n’est pas qu’un combat d’ordre idéologique, c’est un enjeu de société. Vouloir redonner un bagage culturel aux écoliers ou collégiens, se donner comme priorité la démocratisation du savoir, comme défi l’élévation par les connaissances, c’est vouloir former des citoyens avec du recul et une mémoire. Bref, la science sans la conscience… on en revient toujours aux classiques et aux humanités, ceux-là même qui sont régulièrement brocardés !
Pour conclure, n’oublions cette phrase de la sociologue Nathalie Bulle qui résume à elle seule tout ce qui a été dit : “La culture générale, c’est moins quelque chose que l’on a que quelque chose que l’on est ».
Floriane Zagar
Enseignante à l’Université Paris-Est-Créteil – UPEC