Dorothée Reignier, maîtresse de conférence en droit public à Sciences po Lille et au CERAPS explore la vision de la démocratie et du référendum par le RN à travers ses initiatives législatives.
Même si le RN ne pourra pas mettre en œuvre son programme, puisqu’il n’apparait que comme la 3e force de l’Assemblée élue le 7 juillet dernier, les propositions de loi que ses élus ont pu déposer au cours de la 16e législature demeurent riches d’enseignements. Certaines de ces initiatives ont trait au referendum et révèlent comment le parti d’extrême droite perçoit le peuple et la démocratie.
La Constitution de la Ve République consacre plusieurs référendums : national, local, législatif ou constitutionnel. Il est toujours décisionnel. Un référendum peut intervenir en matière constitutionnelle, selon la procédure prévue à l’article 89 de la Constitution. Le texte sur lequel portera le referendum doit être voté en termes identiques par les deux assemblées. C’est ainsi que le 24 septembre 2000, le peuple a porté la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans, Jacques Chirac ayant préféré le referendum à l’adoption de la révision par le Congrès. Le référendum peut également être législatif. Son champ, soit les domaines sur lesquels il est possible d’interroger le peuple, est alors habituellement limité de manière à éviter les entreprises démagogiques. L’article 11 de la Constitution prévoit ainsi que le Président de la République demande au peuple d’approuver un projet (ou dans le cadre du RIP une proposition) de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, une réforme relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent. Ce referendum peut également être utilisé afin de ratifier un traité qui sans être contraire à la Constitution aurait des incidences sur les institutions. Cette possibilité a souvent été utilisée pour légitimer la construction européenne. Le Général De Gaulle a également utilisé cette voie pour réviser la Constitution et instaurer l’élection du Président au suffrage universel direct en 1962. La procédure du référendum législatif est en effet plus souple que celle du référendum constitutionnel qui offre aux chambres un droit de veto. Enfin, la Constitution consacre le référendum local portant sur les questions relevant de la compétence d’une collectivité territoriale (article 72- 1 al. 2 de la Constitution). Ou en cas de cession, échange ou adjonction de territoire, l’article 53 al. 3 prévoyant alors la consultation des populations concernées.
Le référendum est concédé aux préceptes du régime représentatif qui confie le pouvoir de décision aux représentants chargés de vouloir pour la Nation, quand le peuple chercherait à défendre son intérêt immédiat. La place du peuple est donc limitée : il répond par oui ou non à la question posée qui lui propose d’approuver le texte soumis. La Constitution ne prévoit aucun mécanisme permettant aux citoyens de présenter une alternative, ils n’ont pas l’initiative et ne maîtrisent pas le contenu. Les partis s’appuient sur ces insuffisances et sur les aspirations démocratiques pour promouvoir un recours plus fréquent au référendum. C’est le cas des députés RN à travers certaines propositions de loi.
Certaines propositions de loi du RN visent ainsi à consacrer un référendum local. Cela peut paraître incongru d’introduire une proposition de loi en la matière alors que la Constitution et la loi organique consacrent déjà le mécanisme et avec une certaine souplesse. Mais la Constitution limite la capacité des collectivités territoriales à organiser un référendum puisque celui-ci doit porter sur un « projet de délibération ou d’acte relevant de [leur] compétence ». Il faut donc consacrer d’autres instruments permettant d’interroger le peuple si la question que l’on veut lui soumettre dépasse la compétence d’une seule collectivité territoriale. C’est le cas lorsque le législateur et non la collectivité organise le referendum ou le rend obligatoire. Ainsi, l’une des propositions de loi soumet-elle l’installation des éoliennes à un double accord de la commune, à travers une délibération du Conseil municipal et une consultation de la population 1. De même, les lois visant à supprimer les grandes régions2 créent-elles un referendum automatique qui peut acter le retour à l’organisation antérieure à la loi du 16 janvier 2015. Dans les deux cas, les référendums ne peuvent être organisés sur le fondement de la Constitution ces questions ne relevant pas des compétences d’une seule collectivité. Ainsi, l’implantation d’éoliennes relève de la compétence de l’Etat. Dans les deux cas, les PPL visent donc à contourner une prescription constitutionnelle. Mais la possibilité reconnue aux électeurs de contester une décision politique les intéressant permet aux députés RN de se présenter comme attachés à la démocratie. Une démocratie qui valorise la parole du peuple contre les élites. Ils entendent ainsi s’appuyer sur le peuple pour légitimer le contournement du droit.
Les mêmes enseignements peuvent être tirés de la proposition de loi constitutionnelle citoyenneté-identité-immigration3 qui fait une place particulière au référendum. Le texte propose en effet de réviser la Constitution via le référendum afin d’y consacrer la priorité nationale, un droit très restrictif des étrangers qui repose sur la préférence nationale et la consécration de devoirs des étrangers, l’abandon du droit du sol au profit du droit du sang.
L’identité constitutionnelle de la France y est également consacrée afin de s’opposer au droit européen et à la jurisprudence de la CEDH notamment.
Thématiques qui laissent difficilement envisager que 3/5 des élus les soutiennent en cas de révision de la Constitution par le Congrès. Le référendum est donc tout indiqué, d’ailleurs s’agissant d’une proposition de révision, l’article 89 consacre le monopole du peuple dans l’étape de ratification. Encore faut-il cependant que l’Assemblée et le Sénat votent le texte en termes identiques. Ce qui demeure improbable. Aussi, le texte ouvre-t-il, dans ses dispositions finales une révision de la Constitution par la voie de l’article 11. Il prévoit en effet que toute modification future ne pourra être adoptée que par référendum, « procédure prévue à l’article 11 et aux 2 premiers alinéas de l’article 89 ». Exit le Congrès et l’adoption du texte soumis au referendum par les chambres, mais ouverture d’une voie de révision parallèle via l’article 11. Déviation pourtant fermée depuis 1969 et l’échec du référendum visant à réformer le Sénat.
La vision du référendum développée par le élus RN est donc finalisée. Le référendum n’y est que secondairement un moyen de donner la parole au peuple, il est d’abord un moyen de contourner les institutions et de limiter le poids des contre-pouvoirs. Il ne vise pas à améliorer le fonctionnement de la démocratie mais à la pervertir.
Formulation peu claire, modification des principes essentiels du droit sous couvert de protéger l’Etat ou les citoyens. Nos voisins hongrois sont habitués à cette instrumentalisation du référendum devenu un mécanisme habituel de l’illibéralisme4. Le régime conserve une apparence démocratique puisque le pouvoir trouve toujours sa source dans le suffrage universel. Pour autant, cette démocratie n’est pas libérale. Le pouvoir y est utilisé par les représentants contre les droits : des étrangers et des minorités, catégories extensibles. La majorité s’appuie sur la légitimité démocratique du droit pour l’utiliser comme une arme de domination. La Constitution est ainsi révisée afin de limiter les contre-pouvoirs et notamment l’indépendance de la Justice. Cette méfiance à l’égard de la Justice est également présente dans la proposition de loi constitutionnelle des députés RN : « Le juge constitutionnel, gardien de la Constitution, est le gardien des droits du constituant, c’est-à-dire du peuple. Il appartient à celui-ci de combler les lacunes ou de modifier une disposition de la Constitution s’il n’approuve pas l’interprétation qui en est faite ». Tout est résumé ici : toutes les institutions libérales au sens où elles protègent nos libertés doivent être soumises à la volonté populaire. Elle-même ne peut s’exprimer qu’à la demande des représentants, la proposition constitutionnelle n’apportant aucune rénovation du processus référendaire.
Les différentes propositions de loi du RN traitant ou ayant recours au référendum trahissent la perception illibérale de la démocratie que le parti défend. Le référendum y est détourné afin de légitimer les atteintes aux droits. L’illibéralisme instrumentalise le peuple pour faire céder le droit et le referendum se retourne ainsi contre le peuple.
Dorothée Reignier,
Maître de conférence en droit public à Sciences po Lille et au CERAPS
- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1499_proposition-loi# ↩
- Par exemple : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N46449 ↩
- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2120_proposition-loi# ↩
- https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/07/la-ou-s-abime-la-democratie_5311194_3232.html ↩