Notre « cher et vieux pays » entretient des liens forts et spéciaux avec le Royaume du Maroc, sur lequel il a exercé un protectorat de 1912 à 1956, et la tragédie qui frappe un peuple ami doit impérativement nous inciter à rejeter toute polémique inutile, stérile et inepte en pareille circonstance. Le plus grand des respects pour sa souveraineté dans la conduite des opérations de lutte contre la catastrophe et la totale solidarité sont les seules réponses admissibles quand le malheur s’abat ainsi sur nos frères et sœurs en humanité… La mobilisation exemplaire et sans tapage médiatique du Roi, des autorités et du peuple marocains au lendemain du drame sont à relever dans une actualité où le fond a perdu de son sens au profit des réactions superficielles et de la recherche incessante des « coups de communication » sous couvert d’une empathie de façade au détriment des actes… Honneur aux files spontanées de Marocaines et Marocains accourus pour donner leur sang à la porte des hôpitaux des cités de leur pays meurtri, aux petites heures du matin le lendemain du tremblement de terre !
Le 21e siècle en son premier quart aura été marqué par des séismes d’une terrible amplitude et celui qui endeuille aujourd’hui le Maroc et le monde réveille la mémoire de ceux qui ont ravagé Haïti en 2010, la Turquie et la Syrie début 2023, avec des bilans meurtriers dévastateurs. Le 12 janvier 2010, un tremblement de terre d’une magnitude de 7 à 7,3 avec une réplique de 6,1 le 20 janvier, causait la mort de 280 000 Haïtiens et en blessait 300 000, laissant 1,3 million de sans-abri dans un pays parmi les plus déshérités et vulnérables de notre planète, qui n’a toujours pas surmonté cette indicible épreuve 13 ans après. Le bilan de celui qui a frappé la Turquie et la Syrie le 6 février 2023 s’élève respectivement à 44 400 et 5 950 victimes, pour l’heure un des plus élevés du 21e siècle en termes de séisme. Des vies brisées et fauchées, des pertes accablantes au niveau individuel pour des millions d’êtres humains confrontés à un coup d’arrêt brutal de leur destinée par la force de secousses telluriques sur lesquelles nous avons peu si ce n’est aucune prise…
Dimanche 10 septembre 2023, à la demande du Roi Mohamed VI, la prière de l’absent a été prononcée dans toutes les mosquées du Royaume et ceux qui ne répondront plus à l’appel des survivants seront nombreux car le bilan n’est hélas pas définitif 72 heures après la catastrophe : plus de 2 800 disparus et presque autant de blessés, sans doute 300 000 habitants privés de logements dans un contexte géographique où le dégagement de l’accès aux zones sinistrées dans l’Atlas s’avère particulièrement difficile et l’architecture traditionnelle offre peu de résistance aux secousses des répliques. Les plus anciens se souviendront de la catastrophe d’Agadir le 29 février 1960 : 12 000 à 15 000 morts, 25 000 blessés lors d’un séisme d’une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter, moindre que celle de la nuit du 8 au 9 septembre 2023, mais dont l’épicentre se situait juste en dessous de la cité, déjà détruite en 1731 par un tremblement de terre alors qu’elle répondait au nom de Santa Cruz de Cabo de Aguer…
Yusuf ibn Tachfin des Almoravides a fondé la cité de Marrakech en 1062 et compte au rang des créateurs du Maroc. Ce trésor de l’humanité est aujourd’hui une cité meurtrie, dans ses quartiers anciens de la médina et plusieurs de ses monuments emblématiques tels le minaret de la Koutoubia, symbole de la puissance des Almoravides, cher à Sir Winston Churchill, amoureux du Royaume depuis la conférence d’Anfa en 1943, qui sut le peindre, séduit par la lumière des cieux du pied de l’Atlas, lors de ses séjours à la mythique Mamounia ou à la villa Taylor… Et au delà de cette cité qui attire tant de visiteurs du monde entier séduits par son aura unique au milieu des multiples joyaux du Royaume, tous ces villages détruits où la mort a frappé sans merci en cette nuit de septembre doivent mobiliser toute la compassion et la fraternité possibles en Europe et ailleurs pour surmonter cette tragédie qui intervient dans un contexte international laissant déjà peu de place à l’espérance et à l’optimisme.
Le Maroc est un grand pays et une nation fière de son histoire et de son patrimoine uniques. Il y a bien longtemps, un de ses Sultans, Moulay Ismaïl avait même demandé la main d’une fille de Louis XIV, c’est dire si la fascination mutuelle exercée entre la France et le Maroc remonte à loin, avant la découverte des particularités de l’Empire chérifien notamment à travers les aquarelles et somptueux tableaux orientalistes d’Eugène Delacroix, avant la période du protectorat et celle des liens tissés par les communautés mutuelles établies des deux côtés de la Méditerranée, avant l’heure des malentendus d’aujourd’hui dont on peut espérer qu’ils se dissiperont avec le retour un jour à un cap plus clair dans la conduite de la diplomatie française…
L’Afrique, l’Europe et le monde ont besoin du Maroc dans le concert des nations pour contribuer à l’équilibre universel bien compromis aujourd’hui et en conscience et sans mauvais procès d’aucune sorte ni leçons à donner en matière humanitaire, tout doit être fait pour l’aider à surmonter la tragédie qui s’est abattue sur lui et à reconstruire les infrastructures et logements démolis lors du séisme, à l’approche de l’hiver dans le massif de l’Atlas. Il y a longtemps que les lions de Barbarie ont disparu des pentes de cette zone montagneuse mais pas le courage légendaire de ses habitants…
La prière de l’absent revêt aujourd’hui une signification universelle particulièrement symbolique en ce temps de l’épreuve pour le peuple marocain, et mérite largement le partage au delà des limites du Royaume.
Eric Cerf Mayer