Pour la première fois, un souverain pontife se rend en Irak. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Fadi Comair analyse cette visite. Aujourd’hui nous en publions la seconde et dernière partie.
Quand les religions se font la guerre…
Le calvaire des chrétiens d’Irak était à l’origine des conflits en permanence, et vu que les États Unis n’arrivaient pas à contrôler la situation dans ce pays, l’Irak a sombré dans le chaos de la guerre sans aucun repère, ce qui a engendré des conflits militaires meurtriers entre les sunnites et les chiites, ces deux grandes familles de l’Islam qui sont jumelles mais antagoniques adverses depuis la fondation de l’Islam. Les chrétiens d’Orient n’ont cessé en fait d’être tributaires de cette guerre interne à l’islam chiite contre l’islam sunnite, pris entre le marteau et l’enclume, ils étaient toujours les boucs émissaires du soulèvement de la violence et de la vengeance.
Cette instrumentalisation de la violence par Daesch pour asseoir leur puissance par la terreur a fait que tous les groupes islamiques idéologiques et fanatiques qui s’opposaient dans cette région du monde, se réunissaient pour aller frapper les chrétiens parce que cette communauté n’avait pas de protection internationale et n’avaient pas de milices (à part les maronites du Liban). Les chrétiens et les yézidis irakiens n’ayant jamais pratiqué la culture de la résistance armée à l’instar des maronites du Liban étaient dans l’incapacité de procéder à des représailles.
La situation en Irak après l’invasion américaine a fait que les 2 millions de chrétiens présents auparavant ont été réduits à 300 000 mille voire même 150 000 chrétiens aujourd’hui.
L’Irak est un pays perdu pour le christianisme oriental et c’est la mission de récupération que le Pape François a entamé dernièrement.
Depuis 1979, les Américains, dans leur lutte obsessionnelle contre l’Iran, ont malencontreusement permis la formation d’un arc chiite qui va désormais de la Méditerranée à l’Océan Indien. Ce monde chiite qui a émergé suite à la révolution iranienne, qui lui-même est en guerre ancestrale contre les sunnites, c’est-à-dire l’islam représenté par l’Arabie Saoudite, les Émirats et l’Égypte, pôles et piliers du sunnisme arabe et récemment représenté aussi par la Turquie ;cet islam qu’on connait le plus fréquemment en Europe, se heurte à cet arc chiite protégé par la puissance militaire iranienne qui tente de se transformer en puissance nucléaire.
C’est dans cette guerre de religions que les chrétiens se sont retrouvés aussi, pris en étau en Irak, en Syrie et actuellement au Liban dans la tourmente et la souffrance.
La tragique marginalisation des chrétiens d’Orient
Aujourd’hui, l’Irak étant désormais un désert pour le christianisme, la Syrie étant à feu et à sang et perdant chaque jour ses chrétiens et le Liban pays connu pour sa culture de résistance chrétienne depuis les Mamelouks en 1291, jusqu’à la fin de la guerre avec l’adoption de l’accord de Taef, signé le 22 octobre 1989, destiné à mettre fin à la guerre « civile », se voit actuellement se vider de sa communauté chrétienne.
C’est en fait à cause de la crise économique sévère qui paralyse le pays depuis le 17 octobre 2019 et à la récente explosion meurtrière du port de Beyrouth survenue le 4 août 2020 que les chrétiens du Liban ont décidé de reprendre le chemin de l’exode.
Ce grand peuple chrétien du Moyen-Orient qui compte actuellement plus de 6 millions de personnes installées en Occident, ne reviendrait plus pour se réinstaller dans le territoire où leurs grands-parents ont été exterminés, que si une volonté internationale soutenue par la diplomatie vaticane ne soit assurée.
Cette population de chrétiens d’Orient présente actuellement dans les quatre coins du monde signale la fin de la présence des minorités religieuses en Orient.
L’initiative du Pape François en Irak augmentera le désir de cette communauté à se réinstaller surtout qu’ils restent accrochés à leurs églises orientales, leurs sanctuaires et à leur culture. Ce message du Pape en Irak et ces empreintes qui en découleront renforceront cette culture islamo-chretienne en danger de disparition.
Ces chrétiens d’Orient, qui ont été victimes du premier génocide du 21eme siècle, ont choisi le chemin de l’exode du fait de l’indifférence, du suicide moral et de l’aveuglement politique de l’Occident. Ils ne connaîtront pas de sauvetage possible, sans la participation active de la Diplomatie vaticane, le réconfort des dignitaires religieux des diverses communautés chiites et sunnites et aussi celle de la diplomatie de la France initiée par le président Emmanuel Macron au Liban.
La France qui a été la protectrice des chrétiens d’Orient ou s’est voulue l’être depuis Saint Louis, reprend son devoir historique par rapport au Liban et prépare un nouvel avenir pour le pays du Cèdre, ce qui va se répercuter positivement sur la réinstallation des chrétiens d’Orient dans cette région. C’est à partir de cette récupération lancée par le Vatican et la France, des chenaux médiateurs culturels que furent les chrétiens d’Orient, que les liens essentiels entre l’Orient et l’Occident vont se renforcer.
C’est une occasion d’ouverture pour les chrétiens et pour les musulmans, leurs compatriotes sur cette terre d’Orient, de se retrouver ensemble face aux fanatiques.
C’est également une opportunité pour admettre que la biodiversité des cultures est possible au Mashrek. C’est aussi une occasion pour le monde occidental de signaler que ces idéaux humanitaires valent pour tout le monde y compris pour les chrétiens d’Orient. Dans ce contexte, L’Europe ne devrait elle pas récupérer ses racines et son identité pour qu’elle reprenne son rôle perdu face aux puissances émergentes en Asie et au Proche-Orient ?
Ce nouveau positionnement stratégique permettra à l’Occident de reprendre l’étendard du développement durable et de la modernité dans cette région du monde déjà façonnée par les accords de Sykes-Picot le 16 mai 1916. Il va sans dire qu’avec la visite du Pape François, marquée par la force du « vivre ensemble ” , par la vitalité des générations irakiennes futures et par la capacité de conciliation et de réconciliation entre les différentes communautés, le Proche- Orient connaitra une nouvelle richesse marquée par la paix dans ce monde conflictuel. C’est ce que le Pape François est en train actuellement de sceller pour maintenir les chrétiens d’Orient là où ils sont nés, là où ils ont voulu vivre en paix. En définitive, les chrétiens d’Orient se trouvent toujours au milieu d’un combat infini qui est celui de la survie et la lutte permanente pour la pleine citoyenneté en terre d’Arabie.
Toutes les données avancées tout au long de l’histoire et toutes les actualités contemporaines montrent, encore une fois de plus, la nécessité de nous mobiliser entièrement pour porter secours aux minorités persécutées dans le monde.
La charte du droit au retour des chrétiens d’Orient
Compte tenu de l’extrême gravité de la situation des chrétiens, notre objectif est de nous pencher sur une charte mettant fin à la démarche de disparition des minorités en général et des chrétiens en particulier ; facilitant ainsi la coexistence en vue de retrouver la paix qui prévalait antérieurement.
Cette charte est une des perspectives qui pourrait être envisagée pour organiser le retour des chrétiens d’Orient dans la région et qui serait adoptée par le Vatican, les différentes églises orientales réunies, avec l’appui et le soutien des Nations Unies et de la Communauté européenne, et sa réalisation serait par la suite confiée au Conseil des Patriarches et des Évêques Orientaux.
Cette charte intégrerait plusieurs volets, à savoir :
1- Un volet humanitaire : le retour des chrétiens et la restitution de leurs possessions et statuts
2- Un volet sécuritaire : le retour à un environnement en pleine sécurité
3- Un volet éducatif : assurer la pérennité des bonnes relations intercommunautaires par le biais d’une « éducation à l’autre ; » indépendamment de sa confession, chaque enfant devrait se voir enseigner l’Histoire et les coutumes des religions de son pays, car on ne craint que ce que l’on ne connait pas.
4- Un volet financier : réunir les fonds garantissant le retour et l’installation des minorités chrétiennes au sein d’un « Fond pour la protection des chrétiens d’Orient ». Ces fonds pourraient être financés par les pays qui auraient contribué à la création et au soutien de Daech activement ou par leur indifférence.
5- Un volet socio-économique : financer la réintégration des rapatriés dans la société qu’ils ont dû fuir.
6- Un volet politique : assurer la stabilité à long terme de la situation des rapatriés (égalité de droits, de statut, liberté de culte et d’expression)
7- Un volet militaire : afin d’assurer les conditions optimales pour le retour des chrétiens d’Orient, les Nations Unies et l’Union européenne doivent sécuriser le retour des chrétiens, sans oublier que les pays qui ont laissé libre cours à la barbarie des groupes djihadistes et les Etats ayant financé Daech en premier lieu doivent apporter le financement du retour des minorités religieuses en question.
Les articles de la Charte du droit au retour des Chrétiens d’Orient
Article premier
Vu que les chrétiens d’Orient ont connu des persécutions si ciblées et d’une ampleur telle qu’elles peuvent raisonnablement être qualifiées de génocide, et ont dû fuir les conquêtes des différents mouvements djihadistes réunis sous l’appellation « Etat Islamique », ils disposent d’un droit fondamental au retour.
Article 1.2
Vu que les conditions de sécurité dans les régions d’origine des réfugiés à rapatrier laissent aujourd’hui encore à désirer, il est impératif que les rapatriés persécutés soient réintégrés dans leurs pays d’origine dans des conditions de sécurité idoines, et jouissent par la suite de leurs droits fondamentaux et de la restitution de leurs possessions, positions et statuts.
Article 2
La création d’une commission de réconciliation régionale et nationale (Irak, Syrie ….) pour le retour des chrétiens se montre absolument incontournable pour assurer la réinstallation des chrétiens dans les conditions les meilleures.
Article 3
Vu que des conditions de sécurité précises doivent être atteintes afin de permettre le retour des minorités religieuses tout au long des différents trajets suivis et ce, quels que soient leur destination finale et leur pays d’arrivée, il est impératif de réunir les ressources humaines et financières nécessaires à la rencontre de ces conditions de sécurité optimales.
Article 4
Comme l’exige la situation actuelle, la suppression du désordre établi passe par une volonté de changement et par l’élaboration d’un processus permettant d’atteindre l’objectif qui n’est autre que le retour des chrétiens d’Orient assuré par les mécanismes d’application suivants :
– La création d’un observatoire qui aurait pour mission d’établir une base de données pour le recensement des chrétiens éparpillés dans le monde avec pour objectif l’organisation du retour et la surveillance y relative.
– La mise en place d’une agence qui s’occupe de la logistique nécessaire afin d’assurer l’intégration des chrétiens.
– La prévision d’une feuille de route qui pourrait être présentée aux Nations Unies afin d’être promulguée dans le but de garantir le retour des chrétiens, protégés par un état de droit.
Article 5
Vu le traumatisme subi, une fois réinstallées, les minorités devront continuer à jouir au quotidien des conditions de sécurité qui étaient les leurs en exil, et devront obtenir de leurs gouvernements respectifs l’assurance que toutes les mesures nécessaires à leur sécurité seront mises en œuvre tout au long de la durée de leur réinstallation.
Article 6
Des campagnes de sensibilisation aux droits humains, à l’égalité religieuse et à la tolérance, devront être organisées, ciblant toutes les strates des sociétés des pays concernés dans le but de faciliter la réintégration et la vie en bonne intelligence de toutes les catégories socio-culturelles.
Article 7
Dans la continuité des dispositions de l’article 5 et dans le souci de propager une culture de tolérance, les établissements pédagogiques de tout type et de toute confession, du primaire comme du secondaire, devront assurer la mise en place d’une éducation à l’Histoire de toutes les Religions afin de sensibiliser les citoyens en devenir au respect de leurs compatriotes d’obédiences différentes.
Article 8
Conscients que les chrétiens d’Orient sont les victimes secondaires de leurs affrontements politiques avec l’Iran, les Etats d’Arabie Saoudite, du Qatar, du Koweit et de Turquie s’engagent à partager la charge financière du retour des minorités persécutées vers leur pays d’origine ainsi que pour toute ou partie la charge matérielle de leur réinstallation.
Article 9
Consciente que la sécurité de ces minorités requiert des mesures extraordinaires, la communauté internationale s’engage à soutenir les Etats d’origine dans leurs dépenses de sécurité afférentes.
Article 10
Les signataires reconnaissent le caractère vital que joue la promotion de l’inclusion des chrétiens dans les actions humanitaires et le renforcement de la « doctrine » de la réintégration des minorités religieuses dans des conditions d’accueil dignes et cohérentes. Conséquemment, ils s’engagent a les défendre.
Article 11
Une stratégie d’intégration fondée sur une politique sociale ambitieuse et sur le respect des conditions minimales d’accueil sera mise en place, permettant un retour « en harmonie » des chrétiens d’Orient vers leurs pays respectifs.
Article 12
Vu que les conditions minimales de stabilité à long terme ne sont pas remplies et que la complexité de la situation des rapatriés freine leur réintégration, une volonté de changement est indispensable au niveau exécutif et législatif afin de céder le passage à une stabilité continue instaurant les conditions favorables à la réintégration des minorités religieuses.
Article 13
Il est évident que la stabilité perpétuelle de ces régions ne peut être atteinte que par le biais de la défense et la promotion des droits civiques, économiques, politiques, culturels, ainsi que la liberté de culte et d’expression la plus large.
Les Nations Unies seront chargées de la répartition équitable de la responsabilité financière entre les pays qui ont financé l’Etat Islamique.
Article 14
Afin de garantir l’application des articles précédents, les Nations Unies, en coopération avec la congrégation des Patriarches d’Orient, surveilleront le déroulement de cette initiative dans ses conditions optimales.
Article 15
La levée et l’entretien de ces objectifs seront à la charge de l’Union européenne, en coopération avec les Nations dont l’inaction criminelle a permis l’émergence et l’installation durable de la situation décrite plus haut. A savoir, les Nations d’Europe et d’Amérique du Nord en pleine possession des moyens de faire cesser les massacres dès leur prémisses mais n’ayant pas, par intérêt ou indifférence, réagi. Si aujourd’hui, ces pays accepteraient de participer au financement d’un fond pour la protection des chrétiens d’Orient, cela constituerait un signe de paix et d’espoir pour le monde entier.
L’urgence du rétablissement d’un état de droit régional
En se basant sur ce qui précède, nous proclamons impérative l’organisation du retour des chrétiens par le biais de la Charte du droit au retour des minorités ce qui rend indispensable, dans cette perspective, le rétablissement d’un état de droit dans la région.
Cet état de droit pourrait être garanti sous l’autorité du gouvernement irakien et la surveillance des Nations Unies.
Nous affirmons la culpabilité à divers degrés des Nations ayant, pour des raisons religieuses et stratégiques, apporté un appui moral et financier aux islamistes génocidaires de Daech.
Les églises chrétiennes d’Orient pourrait par le soutien du Vatican entamer des mécanismes d’application mentionnés ci-dessus (observatoire, agence et feuille de route) et prendre l’initiative d’appliquer cette charte, créant ainsi une occasion rêvée d’entamer une démarche de rapprochement des églises d’Orient dans le cadre d’une mission humanitaire en harmonie avec les vocations initiales de toutes les entités religieuses de cette région.
En conclusion, nous tenons tous une cause humanitaire entre nos mains ” mettre fin au spectre de la persécution des minorités chrétiennes en Orient “, et partant de là nous avons un rôle très important à jouer au service du bien-être de ces communautés religieuses sous le ciel de la cohabitation et du dialogue inter-religieux.
Les chrétiens d’Orient sont le miroir des doutes les plus existentiels et c’est cette même réflexion historique qui nous incite à nous engager en faveur de cette communauté religieuse menacée.
Aujourd’hui, le Pape François se mobilise dans l’optique d’une mission humanitaire globale qui n’est autre que « la perpétuité du christianisme » visant à protéger les chrétiens d’Orient !
Le Pape François dans ces visites successives est entrain de redessiner la voie de paix et de prospérité du Moyen-Orient !
Fadi Comair
Président du Programme hydrologique intergouvernemental (PHI) de l’Unesco
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