Dans cette analyse, que nous publions en six parties, Mariame Viviane Nakoulma interroge le lien entre laïcité et aumônerie.
II – Laïcité-aumônerie : un équilibre…fragile
La figure de l’aumônier se décline selon les cultes mais, au fond, reste expressive des implications de la laïcité, qui, on l’a vu, est inscrite dans une histoire pluriséculaire. Il en est de même de l’aumônerie pour laquelle la loi du 9 décembre 1905, entre autres textes, cristallise une étape marquante (A). Au demeurant, la neutralité laïque et la liberté religieuse constituent un équilibre à la fois délicat et sous tensions (B).
A – La figure de l’aumônier et son cadre juridique
La réciprocité de non-influence des institutions religieuses envers l’État et de l’État envers les institutions religieuses implique une séparation rigide.
Seulement, la laïcité implique aussi que c’est maintenant l’État qui garantit la liberté de conscience et de religion, l’égalité de droits sans distinction ni discrimination.
En le rappelant, c’est relever que l’existence de l’aumônerie aujourd’hui encore en France prouve que la spiritualité et la religion n’ont pas disparu. Le cadre juridique des aumôneries est, dans une grande partie, issu de la loi du 9 décembre 1905 dont les articles 1 et 2 sont, in extenso, ainsi énoncés :
Article premier. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2. La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.
Premièrement, cette loi, « séparatiste », affirme l’interdiction pour l’État et ses administrations de subventionner le culte ; deuxièmement, elle met fin aux charges religieuses des établissements publics ; troisièmement, si elle n’oblige pas à la création de services d’aumônerie, elle reconnaît, au reste, la possibilité pour l’État ou les collectivités locales de supprimer (pas de façon absolue), de créer, voire de conserver ces services. L’interprétation de la loi 1905 a souvent fait l’objet de controverses juridiques[1]. Il est rappelé une jurisprudence judicieuse du Conseil d’État (CÉ) français à propos d’une décision du 6 juin 1947 relative à l’excès de pouvoir. En l’espèce, le Conseil général de Seine-et-Oise avait interdit aux ministres du culte de célébrer les cérémonies religieuses dans les établissements publics d’assistance administrés par le département. Le CÉ a jugé que « cette interdiction a pour effet de priver les hospitalisés, qui ne peuvent pas sortir de l’établissement en raison de leur état de santé ou des prescriptions de règlement en vigueur, de la possibilité de continuer les pratiques de leur culte […] »[2]. L’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 garantit le libre exercice dans les limites de l’intérêt public et prévoit la mise en place d’aumôneries dans certains établissements.
L’aumônerie a également, à l’image de la laïcité, un parcours historique assez riche. La présence religieuse en termes d’aumônerie, en France, est ancienne. L’aumônier est le ministre d’un culte (catholique, protestant, musulman, bouddhiste, etc.) chargé d’en assurer l’instruction et le service religieux, auxquels pourraient s’additionner l’animation des groupes de détenus en vue de la réflexion, de la prière et des études de textes religieux.
Il n’en demeure pas moins que cette intervention se déroule dans le cadre d’une institution laïque et républicaine. Il faut à l’aumônier des qualités et des qualifications. L’exigence d’un diplôme universitaire s’accentue de plus en plus (cf. décret n° 2017-756 du 3 mai 2017 relatif aux aumôniers militaires, hospitaliers et pénitentiaires et à leur formation civile et civique). L’aumônier peut exercer son ministère dans un établissement (prison, hôpital, école) ou auprès d’un corps (armée). En assurant ce service d’ordre spirituel et moral, les aumôniers, hommes ou femmes, peuvent être assistés dans leur mission par des auxiliaires bénévoles d’aumônerie. L’analyse s’attardera sur l’aumônerie des prisons, des armées et de l’hôpital[3].
Conformément à la loi du 9 décembre 1905 qui garantit le libre exercice des cultes, l’administration pénitentiaire doit organiser l’accès au culte. Elle est tenue de permettre aux personnes détenues de « pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle »[4] et « d’exercer le culte de leurs choix selon les conditions adaptées à l’organisation des lieux »[5]. C’est pourquoi les personnes détenues croyantes peuvent pratiquer leur religion en détention et respecter ses préceptes par la pratique de la prière, de la lecture, ou lors d’offices collectifs[6].
Elles sont informées de leur droit de recevoir la visite du ministre d’un culte et assister aux offices religieux. Ainsi, le nom des détenus arrivants qui ont déclaré leur intention de pratiquer leur religion est communiqué à l’aumônier.
Il en est de même pour les détenus qui, au cours de la détention, en manifestent le désir. Les détenus peuvent correspondre librement et sous pli fermé avec les aumôniers agréés auprès de l’établissement[7]. Ils sont autorisés à recevoir ou à conserver les objets et les livres nécessaires à leur pratique religieuse et leur vie spirituelle[8].
Comme le laisse voir les données de la Direction de l’Administration pénitentiaire, sept aumôneries sont agréées : l’aumônerie catholique (la plus ancienne), l’aumônerie protestante, constituée en 1945, l’aumônerie israélite, l’aumônerie musulmane, dont la présence a été formalisée par la constitution d’une aumônerie à partir de 2006, l’aumônerie orthodoxe qui remonte à 2010, l’aumônerie bouddhiste, créée en 2012 et l’aumônerie du culte des Témoins de Jéhovah, créée en 2014. Selon les chiffres encore disponibles en 2022[9], au 15 août 2017, on dénombre 1 585 intervenants d’aumônerie agréés, répartis comme suit : culte bouddhiste : 19 aumôniers, culte catholique : 695 aumôniers, culte israélite : 76 aumôniers, culte musulman : 224 aumôniers, culte orthodoxe : 54 aumôniers, culte protestant : 347 aumôniers, culte des Témoins de Jéhovah : 170 aumôniers.
Aux États-Unis d’Amérique, toutes les religions sont représentées au sein des aumôneries de prisons, où 90 % des détenus déclarent prier régulièrement.
La liberté de religion, garantie par le premier amendement de la Constitution, se pratique donc dans les prisons, visitées par un grand nombre d’aumôniers de diverses confessions.
Un tel rôle est qualifié d’important dans la prévision de la récidive dans le système carcéral. À cela s’ajoute un programme de formation pastoral (tous les États exigent au moins 400 heures de formation), indispensable avant de postuler dans une prison et de pourvoir à leur mission spirituelle « de soutien et de réconfort »[10].
[1] CÉ, X et autres, 1er avril 1949.
[2] CÉ, Assemblée, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles, 6 juin 1947.
[3] L’assistance religieuse et spirituelle, dans certains pays, peut être étendue aux aéroports et aux espaces sociaux comme les centres commerciaux, grandes surfaces, clubs sportifs, services d’urgences.
[4] Article R351-2 du nouveau Code pénitentiaire du 1er mai 2022 (version), anciennement article R. 57-9-3 du Code de procédure pénale.
[5] Article 26 de la loi pénitentiaire de 2009.
[6] http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/la-vie-en-detention-10039/culte-12002.html, consulté le 10 août 2021.
[7] Article D352-1 du Code pénitentiaire (partie réglementaire) :
« L’agrément des aumôniers est délivré par le directeur interrégional des services pénitentiaires après avis du préfet du département dans lequel se situe l’établissement visité, sur proposition de l’aumônier national du culte concerné. Lorsque la demande d’agrément porte sur des établissements pénitentiaires situés dans plusieurs départements, le préfet de région exerce la compétence dévolue au préfet de département […]. En vue de leur permettre d’assurer les missions qui leur sont confiées, une indemnité forfaitaire peut être allouée aux aumôniers agréés ». Cf. aussi les articles D352-2 à D352-6 du même Code.
[8] La Croix, « Qu’est-ce qu’un aumônier de prison ? », https://www.la-croix.com/Actualite/France/Qu-est-ce-qu-un-aumonier-de-prison-_NG_-2012-10-18-866059, 18 octobre 2012, consulté le 2020.
[9] http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/la-vie-en-detention-10039/culte-12002.html, idem.
[10] Flore GEFFROY, « Aux États-Unis, les aumôniers offrent « soutien et réconfort » aux détenus », La Croix, 18 octobre 2012.
Mariame Viviane NAKOULMA
Dr en Droit/diplômée en Sciences politiques.
Enseignante universitaire
Chercheure associée au CLÉSID Lyon 3-Jean Moulin
Fondatrice Conseil Droit international pénal-Gouvernance politique (https://dipen-gouvernance.com)
Auteure