La mairie de Paris a mis 14 gymnases à la disposition de l’Etat pour héberger des sans-abris. Pour Afred Spira ces regroupements constituent un risque épidémiologique majeur tant pour les personnes hébergées que pour toute la population.
Revue Politique et Parlementaire – La Ville de Paris a mis à la disposition de l’Etat 14 gymnases pour héberger des sans-abris. Que vous inspire cette mesure ?
Alfred Spira – Les deux premiers besoins de tous les êtres humains sont le domicile et la nourriture. Le confinement consiste à rester au domicile. Un gymnase n’est pas un domicile. C’est un lieu très vaste, qui peut accueillir plusieurs dizaines de personnes, sans aucune possibilité de confinement. Les lits sont au mieux placés à deux ou trois mètres l’un de l’autre. Les personnes se déplacent, pour utiliser les sanitaires (en nombre très réduit) et les rares sources d’approvisionnement en eau, pour entrer et sortir, travailler et faire des achats, pour préparer leur repas et se nourrir. La proximité, pour ne pas dire la promiscuité, y est forcément très importante. Or parmi les personnes a priori « non malades » qui y sont accueillies, un certain nombre ont déjà contracté le Coronavirus, sans avoir de symptômes cliniques, ce qui est le cas dans environ 80 % des cas des personnes infectées. Mais ces cas asymptomatiques peuvent transmettre le virus à d’autres personnes, qui à leur tour le transmettront aussi. Il s’agit donc potentiellement de véritables foyers épidémiques, qui vont concerner les personnes qui y sont hébergées, les personnes qui les aident et les assistent (personnels de service, associatifs), et également les personnes qu’elles pourront côtoyer à l’extérieur. Environ 3 500 personnes sont concernées à Paris.
On peut parler de véritables « concentrations épidémiques », à partir desquelles l’épidémie pourra se propager.
Ceci représente un danger réel qu’il ne faut pas prendre, qu’on ne peut pas prendre.
RPP – Pourquoi l’ARS a t-elle validé ce dispositif ?
Alfred Spira – L’Etat a entre autres missions celle de garantir à chacun un logement et l’accès à la santé. Il revient aux Agences régionales de santé de garantir l’exécution de ces missions, ce qu’elle a tenté de faire. La Ville se doit de mettre à disposition ses propres moyens disponibles pour les remplir. La Ville de Paris a mis à disposition de l’Etat 14 gymnases pour héberger des sans-abri “non malades du Covid19“. À ce jour trois gymnases ont pu être ouverts grâce à des associations. Ces gymnases ont été réquisitionnés par l’Etat avec l’accord de l’ARS qui « veille au respect des règles sanitaires » et a bien précisé les règles de distanciation et d’hygiène indispensables. Mais on ne peut bien entendu pas garantir le respect de ces règles, surtout en l’absence de tests de dépistage, de masques, de gants, de gels. Le risque zéro n’existe pas, particulièrement dans un tel environnement.
Ces regroupements constituent un RISQUE EPIDEMIOLOGIQUE MAJEUR pour les personnes hébergées et pour toute la population !
RPP – Que recommandez-vous de votre côté pour répondre à cette urgence ?
Alfred Spira – Tout d’abord, plutôt que de prendre des risques accrus en réunissant de grands nombres de personnes dans des lieux qui comportent des risques, il est préférable dans un premier temps d’accompagner les personnes en les laissant à la rue, en leur fournissant de la nourriture et des biens de première consommation. Mais surtout, il faut leur permettre de vivre réellement confinées. Paris dispose d’un grand nombre de résidences internationales, de vastes lieux d’accueil de type hôtelier (le FIAP par exemple), publics ou appartenant à des bailleurs sociaux. En outre de très nombreuses chambres d’hôtels et de logements en location saisonnière (type RBnB) sont vacants… On peut très rapidement prendre contact avec leurs propriétaires pour qu’ils les laissent à disposition.
Et s’ils ne le veulent pas, les réquisitionner pour la durée de l’épidémie.
La loi proclamant l’urgence sanitaire votée le 22 mars par le Parlement leur en donne la possibilité immédiate par décret. Elle doit être appliquée immédiatement, il en va de la santé de tous !
Alfred Spira
Professeur de santé publique
Membre de l’Académie nationale de médecine
Propos recueillis par Arnaud Benedetti
Photo : Tutti Frutti, shutterstock