Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
La dissuasion créative, mardi 24 mars
Bien fait !
Je ne suis pas surpris. Ce n’est pas parce que l’on veut se situer dans une perspective de transformation radicale et nécessaire qu’on évite les réactions convenues.
Lundi, dans ma chronique quotidienne libre et prospective, je m’étais autorisé cette bifurcation : “Les modes de production devront aussi être plus plastiques, plus agiles. L’intégration de la valeur adaptation dans les processus de production agira comme des gains de souveraineté par dissuasion”.
L’idée était simple, pour certains simplistes, pour d’autres inaccessibles. Pour moi, l’économie n’est que politique. Le verbe précède le nombre. L’épidémie avait fait ressortir d’importantes contraintes, habituellement masquées. Premièrement, le désir collectif de souveraineté entrait en percussion avec une mondialisation construite sur une interdépendance concurrentielle qui annihilait la volonté politique, l’exercice démocratique et une véritable coopération. Deuxièmement, l’interdépendance criait plutôt, au moindre bobo, celui de dépendance économique.
Alors pourquoi ne pas calquer une défense nationale qui protège la nation et proposer une défense créative de souveraineté ?
Pas bâtie sur des replis et des frontières refermées mais sur l’intelligence et l’agilité. Sur le principe de la dissuasion nucléaire, qui est payer pour ne pas utiliser, créer une dissuasion créative de souveraineté économique.
Il n’est pas l’heure ni le lieu d’aborder les difficiles enjeux d’un tel objectif. Pourtant, si on dépasse le conformisme intellectuel, beaucoup de choses sont sur la table. Les infrastructures de production pourraient être pensées pour supporter des adaptations rapides. On pourrait fouiller et développer des choses qui existent marginalement comme le travail fusionnel de recherche entre industrie et artistes. Pourquoi ne dit-on pas que cela fait l’objet de brevets convoités, souvent classés secret défense ? Par exemple dans la coopération entre magiciens et industries du virtuel. Il y a, aussi, beaucoup à faire dans l’organisation des transferts de technologie.
Cela suppose, c’est vrai, une mutation profonde de l’action publique dans ses comportements et dans sa vitesse de réaction.
Mais tout autant dans l’esprit qui prévaut dans l’activité industrielle. Il faudrait, pour cela, modifier les relations entre industriels et acteurs publics dans la proximité des territoires.
Tout cela peut être perçu soit comme une gentille utopie, soit comme l’émergence d’une évidence. C’est un imaginaire qui demande à être symbolisé diraient les mathématiciens. Est-ce souhaitable et donc possible ?
L’Europe pourrait-elle en faire une espérance partagée ? L’enjeu climatique pourrait en dessiner le principe, entre responsabilité et créativité.
A suivre…
Pour le dire crûment…, mardi 24 mars, suite
Les réflexions disruptives, que je lance parfois, comme dans ma chronique sur l’adaptabilité créative de nos organisations, tire sa légitimité de l’absence de choix.
On ne s’en sortira pas en prenant l’option d’une continuité adaptée.
La question de cette période est sa vitesse. Et, en contrepoint, l’inertie. Cette société est en tension extrême. Dans son organisation et dans l’intime collectif. La fragilité est forte. L’hôpital est là, hélas dans ces conditions, pour nous le rappeler.
Si nous ne pouvons ou voulons choisir les réponses autoritaires, il faut opter pour le courage. Une sortie de “guerre” ne laisse pas de temps. Les vainqueurs se servent, les autres pleurent, transigent mais se soumettent.
Seule la vitesse de la créativité peut combattre celle de la puissance coercitive.
En fait, nous le savons et tout le monde a peur. C’est vrai pour l’heure sur le niveau de confinement et les principes de précaution. C’est vrai, très vite, pour l’appréhension du futur.
Nous sommes structurellement fragiles et socialement aux portes de la rupture. Après les “gilets jaunes”, le conflit des retraites, l’épidémie éclaire l’injustice croissante dans ce si beau pays. C’est, paraît-il pire ailleurs. Peut-être, mais ce n’est pas ce qui constitue la fierté de l’imaginaire français.
Les inégalités sont criantes devant la crise actuelle – le logement, l’incertitude financière, les moyens éducatifs, la santé… bref ce qui donne la confiance ou produit le sentiment de précarité. Ce qui vient interroger la dignité.
Les fluctuations, autour de la rigueur du confinement, sont les résultantes de notre relation ambigüe à l’autorité.
Est-ce que ça va tenir ?
A minima, que nos responsables actuels et futurs rompent avec les normes de leur “quant à soi” soporifique et de leurs urgences immédiates de continuer leur route, à court terme.
La suite du journal, d’ici quelques jours, y sera confrontée.
Pour le futur et l’économique, il en va de même. Il faut rompre avec la doxa.
Pour ceux qui voudraient… Oskar Morgenstern, le concepteur avec John Von Neumann de la Théorie des Jeux, en 1965, a commis un article sur la compressibilité des systèmes1. C’est ancien, mais d’une grande actualité, pour comprendre la nature et les contraintes de la mutation d’une économie de guerre.
Il faut des mesures de court terme, économiques et sociales, mais, tout autant, imaginer le futur proche et ses possibles pour éviter la soumission nationale ou européenne et la révolte citoyenne.
En fait, Terra Incognita, est bien un journal éphémère, libre et prospectif mais, tout autant, projectif. Plus que jamais il faut comprendre l’état de l’inconscient collectif, avoir des intuitions puis se projeter.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste
- La compressibilité des systèmes économiques, Oskar Morgenstern, Princeton 25 octobre 1965 ↩