Notre « cher et vieux pays » est en état de choc et de sidération devant l’effondrement pourtant prévisible, observé après plusieurs nuits d’émeutes consécutives au drame survenu à Nanterre, suite au refus d’obtempérer et à la mort d’un mineur de 17 ans en ce début de ce qui aurait pu peut-être augurer l’amorce d un bel été…
Mais est-ce vraiment une surprise ? La maison France est dans un tel état de délitement et incarne aujourd’hui aux yeux du reste du monde un homme malade depuis tant d’années que la violence de la déflagration ne surprend plus vraiment personne en dépit du déni d’un pouvoir rattrapé par la sombre réalité et incapable de prendre toute la mesure de l’ampleur du naufrage, persistant à confondre communication creuse et action performante en terme de résultats tangibles.
Ce n’est pas un hasard si la cité phocéenne, Marseille « en grand », s’est révélée un des endroits les plus emblématiques du pourrissement délétère généralisé au cours d’un épisode de la décadence française, épilogue sinistre de ces 100 jours de renaissance promis par une macronie en vaine recherche de souffle et en situation d’échec spectaculaire un an à peine après sa reconduite aux affaires.
La deuxième métropole de France s’est trouvée réduite à l’état de coupe-gorge où deux policiers en civil ont été roués de coups par une horde de très jeunes pillards, quelques jours après un exercice d’illusionniste, brillant en apparence, sur la capacité supposée des pouvoirs publics d’enrayer son déclin et son abandon au fil des derniers quinquennats… Pour le reste de l’hexagone, peu de zones auront été épargnées par l’embrasement à la stupeur de populations traumatisées par un réveil sur une réalité de la fracture nationale occultée à dessein, faute de pouvoir la réduire, par des dirigeants dépassés devant l’urgence de la tâche de redressement nécessaire pour renflouer la barque en train de couler.
Les observateurs étrangers avaient déjà pu constater au moment des événements prémonitoires du Stade de France, imputés à tort sans doute sciemment aux supporters britanniques pour masquer la vérité dérangeante de notre dérive sécuritaire, l’extrême volatilité d’une situation où la violence a fini par s’inscrire dans la vie des Français au quotidien pour éclater de moins en moins sporadiquement et de plus en plus fréquemment à la moindre étincelle. On l’a vu également très récemment dans les inquiétants débordements de colère qui ont émaillé le mouvement social de rejet de la réforme des retraites…
Le coup de semonce adressé aujourd’hui à notre société toute entière dans ce déchaînement de pillages et de saccages n’est malheureusement probablement qu’un début et signe indéniablement la faillite des politiques en trompe l’œil appliquées aux maux qui rongent la France depuis des décennies.
De 2005 à aujourd’hui la situation n’a fait finalement qu’empirer. On se souviendra de la marée de drapeaux étrangers qui avait salué – comme un rejet d’une certaine idée de la France-le début du désastreux quinquennat socialiste en 2012, et on gardera à l’esprit qu’à chaque soirée de réveillon, on s’est habitué à ce que des véhicules flambent dans nos rues pour célébrer la nouvelle année et l’avènement d’un monde sans repères ni limites, oublieux de ses racines, dans l’indifférence relative des jours qui passent tant qu’on n’est pas soi même victime de ces déprédations mortifères renvoyant l’image d’un pays sombrant peu à peu dans le chaos si on continue sur cette pente là : des signaux qui ne trompent pas sur l’échec patent en matière de lutte contre le fossé économique, social et moral qui s’est creusé entre territoires et périphéries marginalisés et zones moins défavorisées, nonobstant les investissements massifs en terme d’équipements au détriment des moyens humains nécessaires pour assurer un minimum de cohésion face aux assauts de courants destructeurs liés à la drogue ou à la dérive islamiste, en particulier dans les cités et quartiers en lisière des grandes métropoles où se concentrent les inégalités les plus criantes et les diversités communautaires les plus visibles…
Les paliers franchis dans une insécurité paroxystique, niée par ceux qui se sont révélés incapables de la juguler au fil de la dégradation inexorable de tous les domaines régaliens, donnent de plus en plus le vertige et interrogent sur le point de non retour : jusqu’où va-t-on encore aller dans la descente aux abysses et la démission collective avant de réagir pour inverser la situation ?
Ce qui est advenu à L’Haÿ-les -Roses est un électrochoc dont on ne mesure pas encore toute la portée dans la lame de fond de l’émotion et des réactions de l’opinion publique exposée aux formes de récupération politique les plus discutables, reflétant un degré de décomposition rarement atteint dans notre histoire récente.
Est-ce que la mort déplorable de Nahel en appelle d’autres à titre de vengeance et justifie un tel déchaînement de destruction et de violence ? Non bien sûr, sauf à entériner un retour en arrière à des temps barbares et à cautionner l’attaque de symboles et instruments de démocratie élémentaire régissant le vivre ensemble en société civilisée, au delà de toute considération communautaire et autre…
Peut-on encore s’illusionner sur le partage et la défense de valeurs de la République quand la haine bien plus que la colère l’emporte sur la raison ? Les mots ont un sens à ne pas dévoyer sous peine de basculer dans le chaos le plus total et la recherche des causes et responsabilités dans ce désastre ne devrait pas autoriser à dire n’importe quoi sans mesurer l’impact des inepties que l’on a pu entendre proférer dans les médias, sur les réseaux sociaux voire dans les hémicycles parlementaires. A force de jouer avec le feu, on déclenchera l’incendie final qui emportera tout, ce qui reste de notre démocratie dans un pays où les électeurs se détournent des urnes scrutin après scrutin et la capacité de survivre les uns avec les autres dans un monde périlleux qui ne nous fera aucun cadeau…
Les émeutes de ce début d’été 2023 ne sont pas une révolte mais bien plutôt un effondrement dans lequel chacun porte sa part de responsabilité.
Il est grand temps d’ouvrir les yeux sur une faillite qui nous concerne tous quand 30% des émeutiers sont des jeunes mineurs, 60% inconnus des services de police – ce qui souligne que 40% le sont déjà !- et que par conséquent une partie de la jeunesse de France rejette le cadre dans lequel elle est appelée à devenir adulte et bâtir son chemin de vie.
Le constat est implacable sur un échec éducatif et moral, le dos tourné d’une génération à une intégration qui n’apparaît plus comme une opportunité ni une aspiration à mieux vivre dans un ensemble susceptible de rassembler et fédérer des énergies positives pour améliorer la condition commune…
La France est-elle condamnée à un face à face entre populations clivées qui tournera vite à un mortel duel -« Eux ou nous »- si collectivement on ne prend pas conscience qu’il est plus que grand temps de réviser de fond en comble un logiciel politique éculé en matière de justice et réponse pénale réelle à toute atteinte à l’ordre, d’éducation dans toute son acception, de maîtrise de l’immigration et de capacités réelles d’accueil face à des flux migratoires appelés à croître et non diminuer, de sécurité à tous les sens du terme y compris économique dans un environnement où la répartition de la richesse globale pose de plus en plus question ? Peut-on encore continuer à se voiler la face en avançant que la décrue dans les émeutes reflète le passage d’un pic désormais surmonté dans ce qui ne serait qu’un accès de fièvre temporaire et non pas une maladie mortelle en passe de nous détruire ? « Dormons tranquilles, l’été revient, tout va très bien Madame la Marquise, les feux d’artifices du 14 juillet viendront bientôt faire oublier les tirs de mortier qui ont ravagé nos installations collectives… ». Jusqu’à quel point va-t-on encore chercher à nous endormir et nous inciter à regarder ailleurs, au delà des décombres de l’édifice qui s’écroule, par des discours fallacieux auxquels plus personne ne croit ? Quels boucs émissaires va-t-on pouvoir désigner pour détourner notre attention d’un constat d’échec sans appel, sur fond d’accusations mutuelles frisant l’indécence vis à vis des victimes de ce qui préfigure le dernier arrêt avant le plongeon définitif dans le chaos absolu ?
L’extrême gravité d’une situation que l’on ne déplorera jamais trop certes mais qui se reproduit inlassablement crise après crise, marches blanches après rassemblements derrière des bannières qui ne protègent plus de l’intolérable, requiert l’action -rien que l’action-, le courage des actes et non plus le simulacre d’un verbiage sans prise sur le réel dans sa froide cruauté car les digues ont commencé à s’effondrer en dépit de la résilience et du courage exemplaire des forces de police et de gendarmerie, accusées à tort de tuer alors qu’elles sont là pour nous préserver du pire et du sang-froid de l’immense majorité de ceux qui respectent encore le « cher et vieux pays » et veulent croire encore à son avenir.
A quelques jours du 14 juillet 2023, l’inquiétude est palpable car l’apaisement ne se décrète pas par des artifices de communication ou des réprimandes et accusations de recherche de division dans l’hémicycle quand on n’a pas été capable de prévenir depuis des années d’exercice du pouvoir l’effondrement moral et matériel de l’ensemble national auquel on assiste.
Ce ne sont pas les airs de musique de la fête nationale (fut-elle celle du talentueux Elton John !) qui dissiperont les craintes légitimes de voir l’incendie reprendre de plus belle à la première occasion si la réaction des dirigeants n’est pas proportionnelle à la gravité du mal qui ronge la France.
Le temps des bateleurs est passé : le « cher et vieux pays » a un besoin urgent de reconstructeurs pour exorciser le retour des temps barbares et le plus tôt sera le mieux..
Eric Cerf-Mayer