Bien que le débat politique se limite de plus en plus souvent à dénoncer les extrêmes et à imaginer un bloc central plutôt de centre droit opposé à des populistes irresponsables, il n’est pas interdit d’aller au fond des choses et de caractériser ce qu’est vraiment le macronisme, une version adaptée au gouvernement du logiciel de la France Insoumise.
Emmanuel Macron, authentique produit de la gauche d’Etat et du capitalisme de connivence a, comme Blair, Renzi ou Valls adopté un discours d’apparence moderne qui leur a tous été bénéfique, car il convient bien à la part de l’électorat de droite un peu honteuse et toujours soulagée de trouver des leaders de gauche modernes, mais qui lui a encore mieux réussi car son profil séduisait plus facilement les cadres supérieurs de centre-ville ou des banlieues riches. Ayant d’abord récupéré la quasi-totalité des cadres d’Etat socialiste, En Marche s’est assuré ainsi facilement les circonscriptions de la droite bourgeoise.
En Marche a ensuite multiplié les déclarations provocatrices de droite pour tuer toute concurrence des Républicains et les excès de LFI lui ont donné l’occasion de protestations faciles qui ont continué à faire croire à la droite que ce parti était de son côté et à conserver un vote bourgeois, un temps effrayé aussi par les blacks-blocks. La stratégie des LR ralliés au macronisme à l’égard des LR restés dans l’opposition ressemblait un peu aux procès de l’inquisition faits aux juifs : il s’agissait moins de les exterminer que de leur faire admettre que le christianisme était la vraie foi. Les Philippe, Copé, ou Darmanin brandissaient à chaque occasion Jacques Chirac pour convaincre les derniers irréductibles de rejoindre la nouvelle foi au nom de l’ancienne.
Cela ne signifie en rien qu’En Marche soit un parti de droite. De manière révélatrice, chaque fois que les macronistes ont voulu donner des signaux de droite, ils ont choisi des thèmes d’extrême droite. C’est justement le propre des gens de gauche de haïr tellement la droite, que d’exclure la possibilité d’une droite républicaine et d’imaginer que ses thèmes sont ceux de l’extrême droite. Emmanuel Macron a d’abord montré sa fascination pour Philippe de Villiers. Il y eut les coups de menton sécuritaires de Gérald Darmanin affirmant même sur un plateau de télévision devant Madame Le Pen qu’il avait repris son programme. Il y eut l’interdiction symbolique de l’Abaya à l’école qui a suffi à peu de frais d’examen de passage à Gabriel Attal qui n’avait eu pourtant de cesse de chercher à affaiblir son ministre de tutelle Blanquer, républicain laïc de stricte observance.
En revanche, on chercherait en vain des concessions substantielles à un programme de droite classique, disons à un fonds commun de conservatisme libéral de bon père de famille. Rien sur la propriété privée, rien sur l’immobilier, ni sur le logement, rien sur la famille ni sur la transmission familiale du patrimoine, rien de significatif sur les PME-PMI, rien sur la diminution de la sphère publique et de la bureaucratie, rien sur la défense du patrimoine culturel, rien sur la nation. Si on regarde bien, la transformation de l’ISF s’analyse comme une stigmatisation du patrimoine immobilier des classes moyennes et comme une exonération des produits financiers qui, pour des raisons prudentielles sont majoritairement investis en emprunt d’Etat, pour financer la gabegie publique, et peut-être in fine moins un cadeau aux riches qu’un cadeau de l’épargnant de province vers le cheminot CGT. De même, la réforme des retraites, financièrement anecdotique et a été menée aux prix de concessions qui diminuent son impact, n’a été d’évidence conçue que comme un marqueur politique pour continuer à assécher l’électorat de centre-droit pour la droite. Et la suppression de la taxe d’habitation est un transfert des propriétaires vers les locataires, assortie de la suppression d’un moyen libéral de juger de la gestion municipale et de créer une émulation vertueuse.
Cette stratégie a été un succès politique total. L’électorat des cadres supérieurs et des retraités de Neuilly-Auteuil Passy ou Rambouillet est assez frivole pour s’en tenir aux apparences et se pâmer chaque fois qu’un homme de gauche tient des discours de droite. Et, comme c’est l’intérêt de la gauche de prendre au mot ces coup de mentons droitiers pour remobiliser son électorat, la droite se trouvait confortée dans cette croyance et l’opération macroniste de captation des électeurs bourgeois votant contre leurs intérêts a pleinement réussi. LFI, en fournissant à Renaissance des occasions quotidiennes de s’en distancer a été l’allié idéal de cette stratégie.
Cette supercherie a parfaitement réussi à masquer que le macronisme n’est que la forme gouvernementale présentable du logiciel de l’extrême-gauche. Dans les années 70 à 2000, nous avions un parti communiste ouvrier et stalinien marxiste et un parti socialiste qui en était, avec le même logiciel, une version diluée compatible avec l’économie de marché sous la condition d’une explosion des dépenses publiques. Aujourd’hui, le logiciel économiste marxiste subsiste mais il n’y a plus d’ouvriers qui ont été remplacés par les LGBT, les écolos-bobos ou les immigrés communautarisés. A l’extrême gauche, ce qui restait chez les communistes de défense de la République, de l’héritage nucléaire, a été remplacé par une composante plus trotskyste de destruction des fondements de l’Etat, répondant à la formule qu’a reprise Houellebecq de « l’extension du domaine de la lutte ».
LFI et une grande partie du PS incarnent ce nouveau logiciel et Emmanuel Macron, avec Edouard Philippe, Elisabeth Borne, Jean Castex ou Gabriel Attal n’ont cessé d’appliquer ce programme dans une version adaptée à l’exercice du gouvernement, dissimulée sous des provocations droitières pour faire illusion.
Sur le plan économique, quoiqu’en pensent les hommes de droite qui ont décidé de collaborer, il est difficile de trouver en quoi la politique de Macron et de ses gouvernements diffère de celle qu’auraient pu mener Hollande, Moscovici ou Hidalgo : explosion des dépenses publiques, explosion de la dette, accroissement du nombre de fonctionnaires, augmentation des prélèvements obligatoires, frénésie réglementaire. Aucune baisse de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes, aucune baisse de l’impôt sur les successions, aucun allègement de la fiscalité confiscatoire sur l’immobilier, dénonciation récurrente des « niches fiscales » comme cadeaux aux riches. Tous les réflexes sont des réflexes renvoyant au ressentiment à l’égard des riches : chaque fois qu’un avantage fiscal est imaginé, il est sous condition de ressources, chaque fois qu’une aide est décidée, elle est plafonnée et ne bénéficie qu’aux plus défavorisés. Les propriétaires restent des salauds et les riches de vaches à lait. L’affaire de l’absurde DPE qui retire du marché des millions de logements et revient à une expropriation de fait pour des motifs idéologiques et n’est pas moins monstrueuse et radicale que la plupart des propositions de LFI.
Quand un ministre des finances invente une usine à gaz pour rembourser les retouches des vêtements troués, est-on si sûr que LFI ferait pire dans l’absurdité et la démagogie soviétique ?
Il n’y a rien d’étonnant à cela. Dans un pays comme la France, il faut d’abord savoir lire la culture de l’État : tout l’appareil d’État qui a rejoint Emmanuel Macron est celui des fonctionnaires socialistes. Il peut bien rester un parti socialiste résiduel qui regroupe surtout ceux qui étaient déjà « frondeurs » sous Hollande, mais on chercherait en vain les hauts fonctionnaires socialistes qui auraient eu des problèmes de conscience à rejoindre Emmanuel Macron. La droite a assez bêtement ironisé sur le fait qu’Aurélien Rousseau, directeur de cabinet de Madame Borne, artisan de la réforme des retraites, se soit présenté sous l’étiquette du Front de gauche. Son erreur surtout est d’avoir refusé de voir qu’entre anciens cadres de la Hollandie, anciens collaborateurs de Delanoë ou d’Hidalgo, l’armature du pouvoir macronien et du véritable pouvoir administratif n’a jamais cessé d’être ancré solidement à gauche. Si l’on excepte le cas du ministère de l’Intérieur et de l’écosystème policier sarkozyste, partout ailleurs les fonctionnaires de droite, déjà minoritaires qui avaient un peu de responsabilité et qui les ont conservées sont ceux qui partageaient les valeurs de leurs collègues de gauche, tandis que les fonctionnaires de droite avec une colonne vertébrale gaulliste ou conservatrice n’ont cessé d’être blacklistés sous Macron.
Les élus LR peuvent être dupes du centrisme d’Emmanuel Macron, tous les hauts fonctionnaires de droite savent que partout sauf sans doute dans le complexe policier, l’idéologie qui concrètement inspire quotidiennement la quasi-totalité des dirigeants administratifs macronistes est une idéologie de gauche, souvent radicale.
C’est ainsi, que sur tous les sujets, les gouvernements Macron ont appliqué un agenda d’extrême gauche et pratiqué l’extension du domaine de la lutte qui se caractérise par la démolition délibérée des symboles de la droite et même par l’ébranlement de quelques-uns des fondements de l’État.
Le choix le plus lourd de conséquences et qui témoigne d’un choix idéologique extrême que François Mitterrand s’était bien gardé de faire, est la fermeture de Fessenheim et la décision de fermer une dizaine de centrales nucléaires. Même après que la crise énergétique a obligé Emmanuel Macron à changer de cap sur le nucléaire, il a donné tous les signes que ce revirement était contraire à son positionnement politique : refus idéologique de remettre en cause le mode de fixation européen du prix de l’électricité, refus de mettre de l’ordre dans les fake-news d’écologie radicale de l’ADEME, refus de remettre en cause les projets économiquement et économiquement absurdes d’énergies renouvelables éoliens à La Baule, en Bretagne ou à Dunkerque et solaires dans des zones où il faudra même raser des forêts au nom de l’environnement. Parce qu’En Marche est un partir de gouvernement, le cap a été légèrement redressé mais l’inconscient surgit à chaque instant et prouve que le logiciel et le système de valeurs est ancré à l’extrême gauche.
Le fait révélateur de cet ancrage est que la macronie n’a rien dans son système mental qui lui fasse instinctivement penser que Jadot, Canfin ou Tubiana (encensée par Laurent Fabius) ne sont pas des leurs.
Mais les exemples de choix d’extrême gauche ne manquent pas. On sait qu’Emmanuel Macron était prêt à toucher gravement à l’édifice républicain en organisant le séparatisme législatif de la Corse. On sait qu’il a voulu absolument, malgré l’opposition du Conseil constitutionnel et du républicain Blanquer, donner un statut légal sur le territoire aux langues régionales avec le risque certain de faire éclater l’unité du cadre républicain.
Sur les nouveaux sujets sociétaux, le macronisme est du côté de l’extrême gauche dans le choix d’être du côté de la transgression de l’ordre ancien. C’est le cas sur les questions LGBT. C’est le cas sur l’écriture inclusive et les questions de genre. Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont certes pu faire une déclaration ou une circulaire contre ces pratiques. La vérité est que, sous Macron, tout fonctionnaire qui aurait l’idée d’arrêter de financer des études de genre, d’interdire l’emploi de l’écriture inclusive, de cesser de financer des associations qui l’emploient, aurait immédiatement été désavoué. Sous Macron, tout fonctionnaire qui oserait dire qu’on peut écrire « candidat » au lieu de « candidat ou candidate » ou « droits de l’Homme » au lieu de « droits humains » sait d’instinct qu’il n’est pas loin de ruiner sa carrière. Partout, il n’est question que d’inclusivité, de diversité, de genre et l’administration macronienne applique concrètement l’agenda de l’extrême gauche. La dernière marche de l’extension du domaine de la lutte, combat destructeur symbolique particulièrement révélateur d’un agenda extrémiste est l’affaire de l’euthanasie.
Ce ne sont pas des Insoumis mais des députés Renaissance qui ont défendu des amendements pour permettre jusqu’à l’euthanasie des enfants.
Puisque la politique étrangère en direction du monde arabe est devenue un marqueur, on peut relever qu’en dehors des outrances et des propos antisémites désinhibés, rien ne sépare sur le fond Macron et Mélenchon. Dans la grande tradition de gauche, Macron a choisi l’Algérie contre le Maroc, notamment dans l’affaire dans le règlement de la question du Sahara marocain. Puisque l’affaire du Hamas est devenue centrale, il est évident que rien ne sépare réellement la diplomatie du Président Macron des positions de LFI. A la différence de l’Italie, de l’Allemagne, de la Hongrie, de l’Autriche ou de la Grande-Bretagne, la France a voté sans y être obligée des résolutions arabes qui n’exigeaient pas la libération préalable des otages et a reçu les félicitations du Hamas et de l’Iran. Il suffit de lire les communiqués quasi quotidiens de condamnation d’Israël par le Quai d’Orsay pour que cela saute aux yeux. On ne trouvera pas une ligne de doute sur les liens entre l’UNRWA et le Hamas et la diplomatie française a même offert à l’UNRWA les services de Catherine Colonna pour aider à la blanchir et reprendre son financement. De manière pavlovienne, la France, à chaque incident, condamne Israël et exige un cessez-le feu immédiat et inconditionnel et appelle à accélérer la solution à deux États. Sans doute, à la différence de quelques agités d’extrême-gauche, la France de Macron évite-t-elle les propos antisémites mais les résultats et les objectifs sont les mêmes : prouver aux arabes fanatisés que nous sommes de leur côté, que les Israéliens sont forcément des salauds puisqu’ils doivent s’arrêter, donc que l’attaque du 7 octobre n’est plus le sujet, et qu’elle doit être récompensée par une victoire politique et l’octroi d’un État. La communauté juive – à rebours des officiels du CRIF et du grand rabbin de France qui passent souvent à ses yeux pour des courtisans- et ne s’y est pas trompée puisqu’elle vote Zemmour, Le Pen ou LR et très rarement En Marche.
Sur tous les sujets de politique étrangère, Emmanuel Macron est sur une liste gauchiste, alignée sur la gauche démocrate américaine dans un combat haineux contre tous les dirigeants de droite, qu’il s’agisse de Boris Johnson, de Meloni, de Milei, de Trump. La détestation de Trump qui a dénoncé l’accord passé par Obama avec l’Iran amène même la France à tout faire pour faire revivre cet accord avantageux pour les Mollahs. Peu importe ce que l’on pense de ces gouvernements, l’essentiel est de relever que la France de Macron se place toujours du côté que choisirait LFI, parce que son identité étant le « progressisme », elle ne peut que tomber à gauche qui reste l’ultime boussole.
Chaque jour, qu’il s’agisse des choix artistiques pour les JO (Aya Nakamura ou Boucheron) ou de ceux des ministères dans leur action quotidienne, c’est bien le parti au pouvoir et non LFI, cantonnée à la provocation, qui fait des choix symboliques répondant à la grille d’analyse de l’extrême gauche.
Il y a une chose que les analystes peinent à voir quand ils dénoncent les extrêmes, c’est que c’est la complaisance des centres qui fait la force des extrêmes. Les opinions ont tendance à se répartir sur une courbe de Gauss. La tendance naturelle de la plupart n’est pas de s’écarter trop du consensus, et cela ne concerne en général que les personnalités excessives ou en colère. Mais on ne voit pas que si les opinions extrêmes se répandent, c’est surtout parce que le discours officiel les légitime. Une idée n’est extrême et donc risquée pour celui qui bascule vers elle qu’en fonction de son écart avec le discours central. Plus cet écart est faible, plus l’extrémisme est légitimé. Si les partis de gouvernement de droite parlent de sécurité et d’immigration, sauf à être plus crédibles dans la répression qu’elle, ils légitiment l’extrême droite. Symétriquement la macronie fonctionne comme une instance de légitimation de l’extrême gauche dont elle partage au fond l’analyse. Si les loyers doivent être encadrés et l’immobilier surtaxé, Piketty n’est pas loin ; si les Israéliens sont des salauds qui commettent des crimes de guerre au point que le Président Macron exige un cessez-le-feu inconditionnel, Rima Hassan a-t-elle vraiment tort ? Les juifs français ont bien compris que c’est l’antisémitisme et antisionisme souterrain de la politique étrangère de Macron et la complaisance de LR à l’égard des orientations de Macron qui légitiment autorisent et permettent ceux de LFI.
Si l’urgence climatique est telle qu’il faille défigurer le paysage par des éoliennes, retirer un million de logements du marché par le DPE en expropriant les propriétaires, les zadistes et décroissants sont-ils vraiment condamnables ?
Si la solution à la crise financière est la fuite en avant par des emprunts massifs européens et des impôts européens, en quoi cela diffère-t-il vraiment de la pensée de Tsipras ou Mélenchon ? En tout cas, toutes ces pensées ne sont plus objectivement extrémistes et le tabou à leur égard tombe.
Le macronisme doit donc être vu pour ce qu’il est, la version gouvernementale d’un agenda d’extrême gauche. Il n’y a rien que de naturel à cela et cela correspond à l’évolution que l’on observe aux Etats-Unis. Entre Obama, Biden, Bernie Sanders et les agités woke des campus, il y a juste une différence de degrés. A travers la défense des minorités, la diversité, l’Europe (que le patronat a cru à tort libérale alors qu’elle conduit à un programme qui ne peut qu’être social-démocrate et à terme à une fuite en avant budgétaire et fiscale) et surtout l’écologie, la gauche a trouvé de nouvelles idéologies porteuses. La force de celles-ci, et en particulier de l’écologie, est qu’à la différence du stalinisme, elles plaisent aux bobos de droite et pénètrent très facilement les tenants habituels d’une société libérale. Il suffit de se promener sur LinkedIn pour voir les cadres du CAC 40, des personnes qui sociologiquement en 1978 auraient été barristes, poster des contenus décroissants, des maximes de Greta Thunberg ou de Pierre Rabhi, et cautionner des contrevérités scientifiques alarmistes sur les dangers des pesticides ou le changement climatique. L’affaire du lycée de la région Ile-de France qui devait porter le nom contesté d’Angela Davis et que Valérie Pécresse a finalement appelé Rosa Parks alors qu’elle pouvait choisir Pompidou ou Romain Gary, est révélateur de la force dominante du logiciel d’extrême gauche jusqu’au centre droit.
Contrairement à ce qui se dit, la gauche a complètement gagné la bataille culturelle et elle est nettement majoritaire dans le pays. En matière économique, en dehors de David Lisnard, on ne trouve presque personne qui soit sur un autre logiciel que celui de Bruno Lemaire dont la place aurait pu tout aussi bien être occupée par un Éric Woerth ou un Jean-François Copé ou un Sapin. En matière sociétale, le comportement de Juppé, de Bertrand ou Pécresse, montre qu’entre le conservatisme et le progressisme, ils choisiront toujours le progressisme. Ce qui joue surtout, c’est la peur de ne pas être adoubé par les médias, et par les élites médiatiques de centre-ville. Ce n’est presque jamais par conviction que les hommes de droite disent « je suis européen » ou « je ne pactiserai jamais avec le RN » mais par peur du risque et le peuple s’aperçoit bien du caractère mécanique et faux de ces proclamations.
A cause de cette fausse opinion publique déformée des centres-villes, la classe politique a perdu ses capteurs et c’est pour cela que les Républicains n’ont pas su voir qu’une grande partie des gilets jaunes, petits artisans ou entrepreneurs était leur ex-électorat du parti radical et du RPR, celui de Barre et Monory. Le rassemblement national a donc capté, mais de manière purement négative, le ras-le bol libéral, le ras-le bol sociétal, le ras-le bol conservateur, le ras-le bol à l’égard de l’Europe et de l’écologie, tous justifiés et profondément républicains essentiellement parce que la droite, fascinée par la gauche, n’a pas eu le courage de s’opposer à l’extrême gauche présentée aujourd’hui sous le visage attrayant du macronisme.
Pour cette raison, on peut penser qu’il y aurait aujourd’hui aisément une majorité absolue assez cohérente qui irait de LFI au PS en incluant la totalité de la macronie incluant Horizons qui poursuivrait peu ou prou la politique d’Emmanuel Macron, probablement avec une fuite en avant budgétaire plus grave encore. On a vu qu’aucun LR rallié à Macron, n’a rendu son tablier après la fermeture des centrales nucléaires et, récemment qu’Edouard Philippe a appelé à voter pour les plus extrémistes des Insoumis. Seuls les querelles internes et les excès médiatiques du Front de gauche et la peur de Renaissance de perdre ses électeurs de droite naïfs empêchent cette alliance naturelle entre Renaissance et le Front de gauche que les transfuges de LR approuveraient d’ailleurs sans trop d’états d’âme. Parce que tous ces transfuges se sont construits dans la rupture avec la droite (on se souvient des campagnes des juppéistes contre Fillon, des attaques de la droite se réclamant de Chirac contre Bellamy et Wauquiez), il n’y a dans leur esprit pas de retour possible et leur identité politique est devenue le progressisme irrigué par l’extrême-gauche. Peu importe que LR évolue. Nous pouvons être certains que partis Ciotti, Wauquiez ou Bellamy, quel que soit le candidat de LR, ressemblerait-il au portrait-robot du candidat que les transfuges avaient dessiné au moment de quitter LR, ils le nazifieront de la même manière.
Personne n’imagine Estrosi, Olive ou Bournazel soutenir un candidat de la « droite républicaine » quel qu’il soit face au candidat de Renaissance. Le cas de figure le plus probable est que les notables LR décident plutôt de faire accepter à leurs électeurs la version gouvernementale de LFI en croyant combattre leurs idées en dénonçant les outrances des LFI canal folklorique.
Le fait est que nous avons basculé dans une situation plus proche du paysage américain avec la conversion de la bourgeoisie diplômée aux thèmes de l’extrême-gauche et l’incapacité de la droite classique à trouver un discours pour les ramener au fonds commun de la droite de conservatisme, de réformisme modéré, de respect de liberté du commerce et de l’industrie et de la propriété privée, et de respect du patrimoine et de la famille, de croyance dans le mérite, la science et l’industrie (menacés aujourd’hui par l’écologie et le déclinisme obscurantiste) qui caractérisaient peu ou prou la droite.
Dans ces conditions, dès lors que l’on prend conscience que Renaissance s’abreuve en fait au logiciel de l’extrême-gauche (communautarisme, atteinte à l’unité de la République, destruction de l’appareil industriel souverain, wokisme…) on peut se demander où passe la limite de l’arc républicain et si Renaissance en fait partie. Le sentiment républicain « old school » se trouve probablement davantage chez des élus socialistes mitterrandien ou de tradition radical-socialiste ancrés dans des traditions, chez des communistes qui restent attachés au vieux modèle, chez une minorité des républicains n’ayant pas peur de déplaire aux bobos de centre-ville, et parmi la grande majorité des électeurs RN dont le vote est probablement éminemment républicain en ce que ce vote de colère est au fond d’abord motivé par une nostalgie de la République « old school » : une autorité paternaliste, une école des hussards noirs qui apprend à lire et à écrire, des élites et services publics au service du peuple, la récompense du travail et du mérite des gens simples, le respect de la famille et des symboles de la nation, un attachement à un bons sens populaire, le primat de la loi et de l’ordre.
La responsabilité première de cette dérive appartient au parti des Républicains
Tombant dans la facilité de critiquer les outrances de LFI, ils ont implicitement donné un brevet de respectabilité à Renaissance et l’ont aidé à détruire les repères de la scène politique. Par facilité bourgeoise, ils ont eu tendance à être dupes du discours pro-business d’Emmanuel Macron. Par faiblesse intellectuelle, ils ont été incapables d’analyser la sortie de la macronie de l’arc républicain et son agenda aligné sur celui de l’extrême gauche ni de s’adapter en conséquence. Tous les députés de l’ouest parisien ont bien constaté que la peur de Mélenchon dans les duels LR-EM profitait de fait au candidat macroniste.
Tant que l’ex-électorat LR n’aura pas compris que Renaissance est la version gouvernementale de LFI, et que la droite républicaine n’aura pas compris que son adversaire prioritaire est Renaissance et non LFI qui n’est que le laboratoire d’idées, les idées de l’extrême gauche continueront à dominer à travers Renaissance et Horizons la scène politique, privant la France de toute perspective de redressement. A l’inverse, les Républicains ont un boulevard devant eux à condition de faire un minimum de travail intellectuel. C’est peut-être historiquement ce qui lui a toujours été le plus difficile !
Roger Scrutant