L’année 2022 aura été caractérisée par une réapparition de l’inflation en amont du séisme que constitue l’invasion de l’Ukraine et ses conséquences sur les marchés de l’énergie. 2022 aura été le signe violent du retournement de conjoncture et 2023 sera la poursuite du temps des périls économiques. Comme il serait agréable de vous présenter, chers lecteurs, d’autres messages de vœux et des perspectives plus radieuses.
A rebours d’une approche intuitive, le phénomène d’inflation n’est pas encore totalement intégré dans l’indice des prix à la consommation (+ 6,2 % sur un an ) car les producteurs n’ont pas – selon les secteurs – répercutés des hausses fort substantielles (supérieures à 20 %) qu’ils subissent.
L’inflation mal appréhendée
Autrement dit, les sources Insee sont fiables mais ne peuvent prétendre faire apparaître, au temps t 0, la pleine ampleur de l’inflation qui saute, comme la puce du chien, d’un secteur à l’autre. Les statisticiens publics, parfaitement en ligne avec le consensus des instituts de prévisions, ont démontré l’existence de hausses spectaculaires s’agissant des prix de production agricoles ou de ceux issus du secteur du bâtiment.
Ce sont ces hausses intra-sectorielles qui vont éclore, notamment dans l’alimentation, en 2023. De même, le secteur des intrants de la construction va demeurer inflationniste.
Le net repli des mises en chantier traduit la crainte des acquéreurs : devis révisables, hausse des taux d’intérêt. Et ceci constitue une mauvaise nouvelle. Sur le littoral, pourtant prisé, les refus de financements de dossiers dépassent désormais 40 %.
L’inflation en amont du drame ukrainien
A ce stade, il est fondamental de retenir que cet essor inflationniste a débuté lors de la surchauffe de 2021 et que l’agression subie par l’Ukraine le 24 février 2022 a généré une autre dynamique haussière, particulièrement dans le domaine de l’énergie. Il y a eu en 2022 superposition de trois poussées inflationnistes : celle découlant des pénuries et du choc d’offre du deuxième semestre 2021, celle découlant de la crise géopolitique affectant l’énergie et notamment le gaz.
L’inflation d’origine monétaire
Enfin, celle issue de l’inflation monétaire car il est avéré que l’injection de sommes spectaculaires (« quantitative easing ») a fini par déboucher sur un niveau excessif de liquidités en circulation. Ce point est peu développé par d’éminents spécialistes pour des motifs d’intérêt personnel et de soumission intellectuelle. La vitesse de circulation de la monnaie ne cesse de progresser depuis 2022 et atteste de l’existence d’anticipations inflationnistes que nous pouvons constater, de Fécamp à Montpellier, chez les distributeurs qui demeurent très fidèles à la fameuse phrase de Bernardo Trujillo : « Un îlot de pertes dans un océan de profits ».
L’inflation masquée
Effectivement les opérations coups de poing sur les prix – objet de campagnes publicitaires insistantes – ne visent que quelques têtes de gondole à l’opposé du reste où se niche parfois la pratique de l’inflation masquée : même prix pour le produit mais contenu diminué.
L’inflation escamotée ou la grande arnaque intellectuelle
En référence aux travaux ô combien précurseurs – 1966 – de Serge Christopher Kolm sur la « justice sociale », je ne peux que saluer l’initiative des Pouvoirs publics qui ont instauré un bouclier énergie et des dispositifs anti-crise (« chèque »). Toutefois, cette pratique a pour effet de plafonner la vraie vigueur de l’inflation d’au moins 4 à 5 %. Par ailleurs, aucun financement n’est mis en face de cette initiative de plusieurs dizaines de milliards qui va donc aboutir à un alourdissement d’une dette publique qui frôle désormais avec le seuil symbolique et risqué de 3.000 milliards d’euros au moment où la charge d’intérêt s’élève à plus de 40 Mds.
Conséquence de l’inflation, les banques centrales ont en effet estimé requis de relever les taux d’intérêt. La FED étant plus tonique que la BCE qui ne saurait rester longtemps sous le régime du découplage transcontinental ne serait-ce que pour calmer l’inflation – ce qui est pleinement son mandat – et donner une vraie chance au ralentissement de la dépréciation préoccupante de l’euro.
2022 aura vu le triomphe du dollar U.S comme valeur refuge tandis que l’effort de plusieurs pays au regard de cette guerre internationalisée, à défaut d’être mondiale au sens classique, vient aggraver le niveau des dépenses publiques.
Le terme d’ « économie de guerre » a même été utilisé par le chef de l’État. Qui oserait dire que 2023 ne sera pas l’approfondissement du conflit en Ukraine ? Il suffit d’écouter les analyses du Professeur Bertrand Badié pour être convaincu que le pire est devant nous, Occident en voisinage du concept de cobelligérance.
L’inflation et les profiteurs de guerre
2023 sera donc une année d’épreuves pour bien des populations et la France croisera hélas des comportements d’agents économiques soucieux de la progression de leurs marges d’exploitation… ou de l’exploitation de leurs marges.
Certains secteurs mériteraient une taxation exceptionnelle comme la « serisette » du nom du talentueux collaborateur du président Giscard d’Estaing (Jean Serisé) en 1975.
Ladite serisette ayant été votée mais jamais appliquée à l’instar de la taxe sur les superprofits votée récemment par le Sénat et bloquée par un Exécutif soumis aux multinationales.
L’écologie est par ailleurs un superbe prétexte pour justifier – souvent dans l’abus – les hausses de prix. Certes la transition écologique a un coût, mais il sera intéressant de lire, en 2028 (dans cinq ans donc) les conclusions des études de l’OFCE ou de Rexecode. Là encore des opportunistes ne manqueront pas de déployer leurs talents de prédateurs.
La fable du pic de l’inflation
En avril dernier, il y a plus d’un semestre, le Gouverneur de la Banque de France affirmait doctement que « la bosse de l’inflation » était passée et par conséquent que le pic de l’inflation était derrière nous. A la même époque, paraissait dans la RPP un texte démentant cette approche, texte issu du présent économiste.
Puis, il y a eu la fable du ministre Le Maire qui a affirmé que le pic était passé. Très récemment, ce responsable de l’alourdissement de la dette publique française a dû convenir que le pic de l’inflation serait atteint au cours du premier semestre 2023.
Les trois fables à valeur de sinistres farces
L’État aura raconté trois fables à l’opinion : celle consistant à proclamer, avec des trémolos dans la voix, que l’inflation était plus basse que chez nos partenaires européens en se gardant de préciser que la dette publique avait été sollicitée à hauteur de près de 40 Mds pour financer le bouclier énergétique !
Quand on casse le thermomètre, il est clair que des résultats soi-disant favorables émergent.
Deuxième fable : la prévision gouvernementale de + 1 % de croissance relève d’un chiffrage volontariste comme l’a démontré un récent Avis du Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) à condition de bien comprendre que la crise de 2022 frappe avec une forte disparité les secteurs. Se méfier des agrégats macroéconomiques issus d’une vision globale est donc de bon raisonnement et de bonne foi.
Ledit HCFP est désormais une institution dans le paysage budgétaire et financier et son analyse de la trajectoire probable de nos finances publiques est préoccupante. La démarche est chimiquement pure autant que peu relayée par une majorité de médias ce qui ne cesse d’interroger.
Troisième fable : les inflations espagnole et allemande ont marqué une pause dans leur rythme d’évolution en décembre 2022 ce qui fait espérer le trop célèbre bout du tunnel à nos dirigeants qui refusent d’appréhender que la spirale d’une inflation B to B est vivace en France et que, dès lors, les situations ne sont pas comparables. Au demeurant, si notre économie se portait si bien, elle n’aurait pas vu le taux des OAT à dix ans franchir le cap des 3 %… Le mur des vérités sur les Finances publiques se rapproche.
Le désordre parlementaire ne sert pas le redressement national
2022 aura été l’année où un budget s’est vu adopter sous le régime juridique de l’article 49-3, idem pour le PLFSS. C’est constitutionnel autant qu’amer à condition qu’il n’y ait pas eu un panachage hasardeux parmi les différents amendements adoptés pendant la discussion à l’Assemblée nationale. Sous une telle hypothèse, la constitutionnalité du PLF 2023 a été admise par le Conseil constitutionnel.
Le vrai déficit budgétaire 2022 et 2023
Un point est acquis, le déficit budgétaire affiché de 155 Mds (500 Mds de dépenses, 344 Mds de recettes) ne tiendra pas face à la succession d’épreuves qui s’annonce. La reconduction, fût elle ciblée, du bouclier énergie et l’effort de guerre représentent des milliards qui rendront plausible et nécessaire l’élaboration d’un PLFR dans le premier semestre 2023.
Compte-tenu de la configuration politique que présente l’Assemblée nationale (notion de majorité relative), il y aura vraisemblablement un nouveau recours aux dispositions de l’article 49-3.
Et un concours Lépine des soutiens aux artisans (boulangers, maçons, etc) dont les comptes explosent sous la violence de la hausse des factures énergétiques. Comme l’a dit le 3 janvier courant Bruno Le Maire : « nous ne laisserons tomber personne ». Ce n’est plus de l’interventionnisme ciblé cher à Raymond Barre, cela devient de l’économie de 1982 à la mode de Pierre Mauroy dont Jean Peyrelevade (acteur éminent de l’époque) a récemment montré les dangers.
Les limites de l’action du Président
La question-clef est simple en sa formulation : comment un président de la République réélu avec un brio certain a-t-il pu être aussi lointain dans la campagne pour les élections législatives ? Et si la loi sur le pouvoir d’achat (votée en juillet) avait mieux été explicitée aux citoyens. En amont du scrutin.
École, police, défense, budgets sociaux, comptes publics et autres : 2022 n’a pas trouvé le rythme de réformes structurantes.
La France a de sérieux défis mais n’a pas les moyens parlementaires d’une politique audacieuse et conforme à ses intérêts vitaux.
Quant au rythme de travail soutenu du président Macron, il est fondamental de le glisser en parallèle avec la notion de rendement. Des opposants iraient aisément vers la notion de com’ et de gesticulations loin des futures angoisses des artisans face à la facture d’énergie de début 2023.
Bien des sujets sont parfaitement documentés mais le chahut des uns renforcé par les procès en illégitimité présidentielle sont deux périls d’où peuvent éclore des mouvements sociaux de type Gilets jaunes ou grèves sectorielles jusqu’au-boutiste.
Le divorce franco-allemand avéré et assumé outre-Rhin
« C’est effrayant. L’oubli pousse sur l’Histoire comme la mousse sur les tombeaux. Le projet européen est fragile, il nous appartient de le faire vivre et de le défendre lorsqu’il est menacé ». Cette phrase de François Baroin (ndlr : Journal de crise, J.-C. Lattès, 2012, page 62) me semble parcourir l’année 2022 qui a vu surgir de sérieux désaccords entre Berlin et Paris. Un mot de confiance ultime a disparu de l’agenda franco-allemand et ce n’est objectivement pas une bonne nouvelle.
Même le germanophile Bruno Le Maire a considéré qu’il fallait « redéfinir » (sic) la relation franco-allemande ce qui atteste du fossé que la vie et les épreuves ont insufflé.
Berlin et EDF
Dans son audition devant les députés, Henri Proglio a clairement indiqué que l’Allemagne n’avait eu de cesse de démanteler EDF. Loïk Le Floch Prigent est du même avis.
Les pressions de Berlin face à EDF laissent de quoi être stupéfait et parfaitement plongé dans un courroux consistant pour peu que l’on prenne le temps d’examiner les auditions de la Commission d’enquête parlementaire relative au fiasco nucléaire.
Les analyses détaillées du président Henri Proglio démontrent que notre voisin d’outre-Rhin a eu, via la machinerie de Bruxelles, mille opportunités de limer jusqu’à l’os les fondements politiques de notre programme électro-nucléaire. Nous nous sommes faits bernés.
Quant aux paramètres techniques, ils ont notamment été rapportés par le président Gadonneix. Ainsi, alors que nous étions en surcapacité de production, (et largement exportateurs ce qui soulageait alors notre commerce extérieur…), EDF a décidé de « moduler » (sic) sa production. Autrement dit de réduire la puissance fournie par les réacteurs alors en service. Les experts considèrent désormais que cette décision technique a généré une « fatigue thermique » des centrales et conduit à une accélération de leur vieillissement.
Une question : qui a fait prendre cette décision de modulation à EDF ?
Quels décideurs politiques ?
A l’heure où le chef de l’État vient de confirmer la décision de remplacer, à terme, le PAN Charles de Gaulle, il va être instructif de voir comment notre pays va déployer son reliquat de savoir-faire en matière de propulsion nucléaire loin des ambitions crédibles du ministre André Giraud. La carence humaine frappe chez votre restaurant du coin (le monde des pénuries) tout autant que dans une filière où nous étions une Nation d’excellence.
Or, en mer, comme l’a souvent écrit l’estimé Jean-François Deniau, l’erreur peut avoir de très lourdes conséquences. Un porte-avions avec des aléas de propulsion est une maxime irrecevable.
Le risque de récession en 2023
Développé, ici, dans un texte antérieur, je ne reviens pas sur mon analyse et suggère au lectorat de se rapporter au texte de la Directrice Générale du FMI.
Madame Kristalina Georgieva considère que « la moitié de l’Europe va être en récession ».
Quand on voit William Saurin qui suspend l’activité de quatre sites représentant 80 % de son volume de production du fait des hausses brutales des coûts de l’énergie, de l’aluminium etc et quand on apprend que 1 600 emplois sont en jeu chez Toupargel (décision à venir concernant la possible mise en liquidation judiciaire de « Place du marché »), on peut mesurer la grande faucheuse qui rôde autour de notre potentiel productif. Et ce n’est pas la légère décrue des prix du gaz qui va suffire.
Dans son Point de conjoncture du 12 octobre 2022, la Banque de France écrit : « Pour le mois de septembre, notre indicateur d’incertitude progresse de nouveau, et cette hausse est portée par la problématique énergétique (hausse des prix et disponibilité à court/moyen terme). La situation de trésorerie des entreprises industrielles continue de se dégrader alors qu’elle évolue peu dans les services. »
Le coût social, le coût industriel
Alors que l’État a depuis plusieurs années engagé une politique visant à la réindustrialisation de notre pays, la forte hausse des coûts de l’énergie engendre une crise du sens pour les industriels.
Ceux-ci voient leur compétitivité s’effondrer tout autant que s’estompent leurs capacités à honorer les dernières factures gazières.
Les fonderies, les verriers (Arques, Duralex) sont dans l’obligation de suspendre leurs productions faute de trésorerie.
Ces arrêts de production sont une alarme pour notre croissance et pour nos finances publiques 2023 qui vont porter le coût d’opérations du type chômage partiel total.
Tout concourt désormais à l’apparition d’une récession en 2023 surtout qu’il serait illusoire de ne pas comprendre que le réveil violent du Covid en Chine va induire un nouveau paramètre toxique pour l’économie mondiale.
Mais cette phase urticante pour notre modèle social risque fort d’être pénalisante pour l’industrie. Clairement, un mouvement de délocalisation risque de s’enclencher vers l’Amérique du Nord (Safran).
Il serait loisible d’ajouter que le facteur capital n’aime pas les terres en guerre, mais je veux demeurer prudent face à cette affirmation historiquement avérée.
En revanche, il serait déplacé de nier la vigueur de la tentation de Venise, par référence à Alain Juppé, qui étreint plus d’un capitaine d’industrie.
Cette tentation de l’exil forcé va totalement à l’encontre des efforts de la Puissance publique pour réarmer notre potentiel productif industriel.
Pour Agnès Pannier-Runacher et désormais pour Roland Lescure, la conjoncture est ingrate au regard de l’énergie déployée.
2022 a vu la courbe des faillites prendre, hélas, de la vigueur et nul doute que 2023 suivra ce sillage.
A moins que la France, à l’instar de l’Allemagne (plan de 200 Mds), ne construise un rempart contracyclique mixte, donc aidant les ménages mais aussi les entreprises.
C’est une voie, cela peut être une solution sauf pour la santé écornée de nos finances publiques et de notre endettement. Question d’arbitrage et de volonté.
2023 portera son lot de joies et de peines mais, sur le strict plan économique et social, nul ne saurait nier qu’il y aura beaucoup de houle voire de vagues scélérates consécutives, par exemple, à une réforme des retraites aussi baroque que peu prisée par les corps intermédiaires et par nombre de citoyens.
Il faut une réforme des retraites à la France mais manifestement le Pouvoir n’a pas retenu grand-chose de son vibrant échec survenu pendant le premier quinquennat.
Apprendre, comprendre et intégrer les fruits de l’Expérience
Cette faiblesse d’apprentissage et de captation du retour d’expérience sont la marque de l’Exécutif actuel. Hélas pour notre pays dont bien des atouts sont bridés par un système administratif ahurissant et par des décisions politiques contraires aux intérêts de l’économie.
2023 ? Sans nul doute : le temps des épreuves.
Jean-Yves Archer
Economiste, Membre de la Société d’Economie Politique