Jean-François Sabouret ne m’écrira plus. Souvent au lendemain de l’un de ces éditos hebdomadaires, il m’adressait un message, par mail ou texto, afin d’approuver ou de questionner le contenu de l’un de mes articles.
Ce mardi, Jean-Francois s’est éteint, terrassé par un accident cardiaque sur une plage du Vietnam dans cette Asie dont il était l’un des plus éminents connaisseurs.
Jean-Francois Sabouret était tout à la fois chercheur, voyageur, éclaireur, conteur, animateur, découvreur… Berrichon, mais homme du grand large aussi, n’oubliant jamais ses racines mais happé par une civilisation à laquelle il s’acculturera pour s’en faire un explorateur des plus avertis et des plus aptes à en transmettre les arabesques parfois compliquées pour un esprit d’Occident. Comment peut-on être Japonais ? Sans doute jamais ne s’est-il posé cette question tant avec le temps et l’expérience polie par la vie il était devenu lui-même le plus Japonais des Français et peut-être le plus Français des Japonais. Sociologue, il l’était mais sa sociologie avait la force de la patience ; en d’autres termes elle était observation et non proclamation, elle était aiguisée par la modestie et l’empathie du regard, éloignée de la tentation d’un surplomb par trop désincarné et académique. Car Jean-François était tout sauf conforme dans une société qui ploie sous les injonctions des spécialistes et autres experts. Sa disponibilité au monde était totale et il pouvait tout à la fois animer une collection, chroniquer pour un public profane, être homme de radio et d’écrit, coordonner des politiques scientifiques et manager des équipes de recherche, rédiger des ouvrages accessibles comme son désormais classique Besoin de Japon et publier des sommes collectives comme l’indispensable L’Asie-monde.
Il avait dirigé un temps la communication du CNRS, institution à laquelle il vouait une piété presque filiale et dont il défendait avec ferveur l’indépendance. Des sciences humaines et sociales, il avait été proche de nombre des figures tutélaires et capitales de ces dernières décennies : Pierre Bourdieu, Maurice Godelier, Edgar Morin entre autres, mais cette proximité était d’abord humaine et amicale, loin de tout esprit d’école mais emplie d’une admiration aussi amicale qu’intellectuelle. L’humain est sans doute ce qui caractérisait au mieux ce chercheur qui ne se prenait pas au sérieux, mais qui travaillait sérieusement, qui pratiquait la gouaille d’une autre époque, mais qui déployait également des trésors d’une culture tout autant classique que populaire et soucieuse de découverte.
La triste ruse du destin a voulu qu’il nous quitte près d’un an après un autre amoureux du Japon et ami de la Revue, Jean-Jacques Beineix. Les deux hommes, qui s’étaient rencontrés à mon initiative voici une quinzaine d’année partageaient la même passion pour un pays qui les aimait beaucoup aussi l’un et l’autre. Je veux imaginer que là où ils sont ils auront repris leur conversation, loin des ingratitudes dont ils avaient été parfois et injustement l’objet dans leur milieux respectifs, mais en accord avec des convictions qui auront témoigné de l’audace et de l’ardeur toujours créatrice que fut leur existence.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne