Le discours de politique générale d’Elisabeth Borne sur le fond était sans surprise. Il ne pouvait en être autrement tant la cheffe du gouvernement est confrontée à un système de contraintes dont elle ne peut pour être tenue responsable. Seul le président de la République est comptable de la situation post-législatives.
Pour autant, le plus intéressant dans cet exercice n’est pas dans son contenu, mais dans sa réception. Force est de constater qu’une partie du mainstream médiatique y a décelé la trace d’une prestation réussie. C’est bien cette appréciation qui interroge, car à y regarder de près, ni le style oratoire, encore moins le détail des mesures annoncées ne sauraient justifier ce quitus médiatique dominant.
Cette impression positive est à rechercher ailleurs, et sans doute préalablement au sens littéral dans une forme d’appréhension d’ensemble, quant à la situation qui se dessine.
L’ébullition qui opère à la surface du champ politique déstabilise les conforts de pensée, pour ne pas dire bouscule les paresses et induit une incertitude inquiétante qui n’est autre que l’expression anxiogène d’un instant qui échappe à nombre de professionnels du commentaire. Ces derniers n’avaient pas lu, ni anticipé le contexte parlementaire assez exceptionnel dans lequel nous sommes entrés, imaginant une adaptation mécanique de la majorité législative à la majorité présidentielle. Rien de cette projection ne s’est accompli et dés lors ce sont bien nombre des cadres opérationnels de l’interprétation qui s’en trouvent perturbés. A ce réflexe s’ajoute le charivari volontairement tout autant qu’artificiellement pré-révolutionnaire à laquelle la gauche insoumise s’est adonnée durant tout le discours de Madame Borne et par contraste l’attitude apparemment imperturbable de la Première ministre a conforté les observateurs dans un jugement à la hâte inspiré d’abord par le pressentiment d’imprévisibilité d’un contexte qui se dérobe. Quand tout vous échappe, il faut se rassurer.
L’insoutenable incertitude du politique induit des mécanismes cognitifs de protection qui n’en demeurent pas moins des biais de compréhension.
Il s’agit là d’une mésinterprétation en guise de réassurance encore une fois. Somme toute ne faut-il pas confondre une disposition psychologique collective avec une analyse réaliste du moment. Car tout laisse à penser que rien désormais ne sera plus comme avant. Le monde a changé et il va falloir aussi revisiter de fond en comble notre appropriation du réel.
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne