
L’avenir le dira, mais nous savons déjà que la disparition de cette silhouette toute de retenue, de bonne distance, de détermination à tenir et à conserver avec ténacité et subtilité ouvre la porte vers quelque chose, un autre monde gorgé de rumeurs inquiétantes et d’incertaines évolutions.
Il existe des marqueurs, des bornes dans le déroulé de la marche de l’histoire, des instants précis où ce qui s’est accumulé dans les alluvions des sociétés prend subitement sa forme.
C’est dans ce corridor étroit que nous entrons vraisemblablement, non pas que la Monarque ait disposé d’une quelconque influence sur le cours des choses, mais se dessine comme une correspondance entre ce qui s’agrège aujourd’hui et l’écho d’un départ qui incarne tout un passé qui paraît enseveli dans le sépulcre des temps.
Car Elizabeth II, de par la longévité d’un règne qui la statufia de son vivant, scandait en quelque sorte les grandes vignettes d’une chronologie où de la seconde guerre mondiale à la guerre froide et jusqu’au terme de celle-ci, en passant par les décolonisations dont la grande nation britannique avait été aussi le théâtre, toute une scène avec ses repères, y compris les plus conflictuels, s’était imposée comme notre univers de référence. C’est au moment où la bascule du monde sur ses grands axes hérités du « bruit et de la fureur » du XXème siècle paraît s’accélérer que ce bloc d’histoire fait femme et souveraine s’en va, nous laissant tout à la fois à l’épreuve d’une forme d’indépassable nostalgie et de questionnements préoccupants quant à la suite à venir…
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne