S’il fallait un exemple pour démontrer à minima l’immense défaillance dirigeante de ce pays, il suffirait d’entendre deux anciens responsables du secteur nucléaire en France : Jean-Bernard Lévy d’un côté, ex-PDG d’EDF et Yves Bréchet, ex Haut-Commissaire du CEA de l’autre côté.
L’un et l’autre, à quelques mois de distance, ont pointé les incohérences du pouvoir politique, seul et unique responsable des difficultés énergétiques auxquelles le pays se confronte. Le premier devant le MEDEF en septembre dernier a rappelé les ordres et contre-ordres dont l’Entreprise a été l’objet depuis près de dix ans, des « injonctions paradoxales » données en parfaite méconnaissance du fonctionnement de l’activité. Ainsi tour à tour, les exécutifs auront demandé à EDF de se préparer à fermer les centrales, puis quelques années plus tard de se préparer tout autant à en rouvrir : entre temps le réel aura fait sans doute son retour mais ignorant superbement que les tâches respectives impliquent nécessairement des compétences différentes.
Les responsables de cette sortie de route sont pour la circonstance les deux derniers Présidents de la République qui l’un et l’autre, sous la pression du lobby vert, n’auront eu de cesse, ou presque, que de complaire à ce dernier.
Le second à faire autorité dans ce débat est un brillant physicien, membre de l’Académie des sciences, Yves Bréchet, dont l’audition, voici quelques jours devant la commission d’enquête parlementaire visant à faire la lumière sur les raisons ayant présidé à la perte de la souveraineté énergétique de la France, délivre un propos sous forme de réquisitoire sans appel. Sur l’arrêt du programme « Astrid » dont l’objectif consistait à développer la nouvelle génération de réacteurs du futur, décision actée en 2018 faut-il le rappeler, l’ancien dirigeant du CEA évoque « une décision emblématique de la disparition de l’Etat stratège et de la transition d’un État stratège vers un État bavard ».
Les positions exprimées par Jean-Daniel Lévy et Yves Bréchet témoignent d’une même « défaite » : absence de vision rigoureuse de l’état de l’art dans le domaine nucléaire, abandon d’une politique qui a nourri notre indépendance depuis des décennies, indexation sur le court-termisme politicien à des fins de clientélisme électoral, concession à l’air du temps, etc.
Comment ne pas voir dans cet enchaînement tous les éléments constitutifs de notre déclin ? A l’heure où l’on prépare l’opinion à de possibles coupures d’électricité durant l’hiver et où l’exécutif tergiverse, contrairement à l’Espagne et au Portugal, à prendre ses distances avec le carcan du marché européen de l’énergie, il est difficile de ne pas établir le constat de dix années d’errements dont les gouvernements successifs de François Hollande et Emmanuel Macron portent une part évidente et exclusive de responsabilité. Un pièce supplémentaire et lourde de conséquences à porter, nonobstant les éternels prophètes du « tout va bien », au dossier de notre grand déclassement…
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne