L’exécutif peut jouer et espérer le pourrissement du conflit social, il en active même toutes les figures, nourrissant une communication dont il ne peut ignorer qu’elle entretient une tension certaine dans le pays; il n’en demeure pas moins que c’est bien une ” crise démocratique” que nous traversons pour reprendre la juste formule utilisée entre autres par le leader de la CFDT, Laurent Berger.
Les dénégations de plusieurs responsables de la majorité n’y changeront rien, la crise est là et bien là, quand bien même viendrait-elle de loin, de plusieurs décennies de perte de souveraineté, d’abandon des principes républicains et de dépossession citoyenne. Le macronisme a surgi sur cette toile de fond, pour régénérer comme il le prétendait la cité mais au final pour défendre principalement ce qui générait le grand malaise politique : une pensée élitaire pour laquelle la globalisation est une nécessité, le peuple un obstacle et la démocratie une variable d’ajustement.
La bataille des retraites est l’énième épisode de cette longue et lancinante crise, à laquelle Emmanuel Macron répond par une indifférence aussi hautaine que risquée.
La question de la suite se pose déjà alors que le Conseil constitutionnel n’a pas encore délivré sa décision tant attendue. Là où le Président tend à faire preuve d’une forme de légèreté, c’est bien évidemment dans l’appréciation de la situation qu’il relativise, considérant que parce qu’il n’est pas bloqué, le pays n’en est pas au point de rupture que d’aucuns paraissent y entrevoir… De Chine, le chef de l’Etat aura entre deux rendez-vous officiels glissé sa lecture du moment.
Le problème de cette interprétation est qu’elle n’engage pas que le locataire de l’Elysée mais la nation dans son ensemble.
Cette marche forcée pour une mesure dont la dimension réformatrice est pour le moins discutable laissera immanquablement des traces.
Macron sacrifie sa popularité, c’est un fait qu’il assume, mais avec l’impopularité qu’il condense il crée les conditions d’une fracturation toujours plus aggravée de la société française.
Contre les corps intermédiaires, contre l’Assemblée nationale, contre l’opinion et in fine contre le peuple, on ne peut gouverner, sauf à jouer avec le feu et ce d’autant plus que sans majorité explicite au Palais-Bourbon, les institutions pourraient à brève échéance se gripper. Le Président ne peut circonscrire la démocratie au seul moment de son élection, feignant d’ignorer la consultation législative qui par la suite en vint à l’enjoindre à la tempérance dans son exercice du pouvoir, et semblant oublier qu’il n’existe pas de légitimité sans un consentement sans cesse revivifié et sans ce « plébiscite de tous les jours » dont Renan faisait la matrice du sentiment national…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne