L’innommable agression d’Annecy a frappé de stupeur un pays qui n’en finit pas de se confronter à une lente imprégnation quotidienne de violences diverses et variées. Il faut évidemment à ce stade demeurer prudent quant aux motivations de l’auteur d’actes aussi barbares, même s’ils posent néanmoins pour une part la question de notre politique migratoire, enjeu qui ne cesse pas depuis des décennies de tarauder notre société et le débat public.

Ce qui est caractéristique de notre temps relève de ce qu’imparfaitement le Président de la République a qualifié voici quelques jours de “décivilisation”, suscitant de la sorte l’une de ces controverses dont l’espace politico-médiatique hexagonal est coutumier. D’aucuns y verront une expression triangulant du côté de la droite identitaire par référence au titre d’un ouvrage de Renaud Camus, quand d’autres y référeront aux théories de l’un des plus grands sociologues du XXè siècle, Norbert Elias. Sans doute faut-il y pressentir surtout la conséquence d’une atmosphère de dégradation continue de la paix civile où l’Etat, nonobstant ses promesses de fermeté d’un côté et ses constats d’indignation de l’autre, ne parvient toujours pas à contenir la marée montante, voire la banalisation de violences de nature diverse, mais dont toutes mises bout à bout, renvoient l’image d’une collectivité en proie à une anomie profonde et accélérée.
Le hasard des événements aura donné lieu à l’un de ces télescopages qui opère comme un révélateur des dérèglements de l’époque.
Au moment où le Parlement était le théâtre d’une énième illustration de la crise démocratique, le drame d’Annecy, lui, délivrait l’extrême béance dans ses missions fondatrices de la puissance publique dans laquelle toutes les polémiques n’ont pour la circonstance pas manqué de s’engouffrer, à commencer par cette image gênante de la présidente d’un groupe parlementaire de la majorité s’efforçant d’effacer ou de hacker le déni de démocratie par l’instrumentalisation douteuse d’une tragédie. Au-delà d’une scène particulièrement gênante, la congruence des débats houleux à l’Assemblée et de la sauvagerie se déchaînant sur des enfants, loin du contraste entre accessoire d’une part et essentiel de l’autre, suscitera probablement le sentiment que du démocratique au régalien il y a décidément quelque chose qui fonctionne de moins en moins bien dans notre pays.
Une démocratie qui ne peut plus protéger et qui ne débat plus est bien une démocratie malade.
Cette situation n’est rien d’autre que le résultat de décennies d’abandons et de renoncements à tous les niveaux… Le fait d’une responsabilité collectivement partagée devrait inciter à une prise de conscience et à une volonté d’agir commune, sous réserve que nous sortions des conformismes de pensée installés dans le mainstream dirigeant depuis la fin du siècle dernier et qui sont autant d’obstacles à notre redressement…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne