Le drame de Nanterre est un révélateur d’une société décomposée. Rien ne saurait justifier que l’on abatte à bout portant un enfant de 17 ans. Rien ne saurait tout autant justifier que l’on puisse se résigner à ce que des gamins de 17 ans par absence d’éducation se retrouvent dans une situation telle de défi à l’autorité républicaine qui mécaniquement les expose à se mettre en danger. Rien enfin ne saurait justifier que la sécession émeutière se propage suite à une tragédie sur laquelle s’efforce de capitaliser de manière particulièrement malsaine des courants politiques radicalisés. Rien dans tout cela n’est républicain car tout ce qui concourt au maintien de la République doit d’abord concourir à la nécessaire sauvegarde de la paix civile et du contrat social. Ni l’acte d’un policier, ni le refus d’obtempérer, et encore moins les instrumentalisations militantes d’une partie de la gauche qui a perdu la boussole du républicanisme.
Nous en sommes là parce que tout a été abdiqué depuis des décennies. A commencer par le moteur de l’assimilation enrayé par le choix implicite d’un paradigme américanisant, mais même si ce renoncement demeure une des causes racines de la crise du « vivre-ensemble » que nous traversons, il ne saurait à lui tout seul rendre raison de cette dernière. D’autres facteurs comme la mise en question permanente de toute forme d’autorité, l’abandon de la transmission éducative d’une morale citoyenne, la complaisance lâche ou intéressée pour des clientèles sécessionnistes, mais encore aussi des politiques économiques qui hypertrophient l’ossification sociale, source d’inégalités, ont évidemment leur part dans ce dérèglement civique.
Les émeutes auxquelles nous assistons depuis 48 heures sont aussi en profondeur le résultat amer d’une mondialisation mal maîtrisée, portée par des vents contraires à un modèle français qui avait par le passé permis une solide agrégation de sa société.
Cette réalité a été niée par des générations dirigeantes qui ont préféré finalement « laisser filer » au nom d’une tranquillité politique dont il pensait qu’en les servant elle servait aussi la France. Erreur d’analyse, faute morale, naufrage politique s’ensuivent désormais. Et ce ne sont pas les postures ministérielles qui rattraperont les effets nocifs de cet enchaînement. Plus le menton se fait autoritaire, moins il incarne l’autorité car moins il s’astreint à, in fine, faire respecter l’autorité : de Sarkozy à Darmanin en passant par Valls, on aura vu des ministres de l’Intérieur flairaient la demande de fermeté mais leur action s’en trouver réduite à un grossier filet de communication comme si entravés par les normes, la bienséance médiatique et la mise en sourdine de l’éducatif d’un côté au nom du libertaire sociétal, l’économique de l’autre au nom d’une imprégnante dérégulation, ils en venaient à mimer des politiques dont ils étaient sur le fond incapables, ombres spectrales d’un temps où l’Etat n’en était pas réduit à ne plus être qu’un avatar démonétisé de sa puissance passée. Sur ce terreau en jachère se sont multipliées les pousses de notre malheur. Le Président de la République a beau tenir un discours optimiste sur la situation française, il se révèle être surtout le président-témoin d’un mal qui ne cesse de nous ronger. A l’instar de nombre de ses prédécesseurs il est surtout le greffier des impuissances du pouvoir. Ce qui se passe dans nombre de nos cités reflète un basculement commencé il y a plusieurs décennies mais dont l’évidence apparaît de moins en moins dissimulable.
Le tissu social se déchire à mesure que l’Etat-nation n’est plus protégé dans ses attributions, encore moins dans sa philosophie.
N’étant plus protégé, il ne protège plus, à commencer dans ses attributions génériques que sont les attributions régaliennes. Les cités, mises en coupe réglée par des petites bandes affranchies de tout respect pour l’ordre public et qui parasitent la vie collective de leurs habitants, sont la pointe la plus visible de cette dépréciation de l’Etat-nation. Il est évidemment temps de rétablir l’ordre ; encore faut-il pour rétablir ce dernier, cesser de démanteler la clef de voûte de cette organisation historique que constitue l’Etat-nation. Tout est lié, de la conception que l’on se fait de la Nation à la paix civile, et c’est de la première que découle la seconde. Une vérité trop souvent oubliée…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne