C’est un fait que lorsque la géopolitique se met à rugir, toute la politique dans son ordonnancement quotidien s’en ressent. Ce qui se joue au Moyen-Orient dans le désordre des passions et le feu du conflit non seulement n’est pas sans impact sur la société française et européenne mais rend presque périphériques les enjeux domestiques qui jusque là paraissaient mouvoir les débats publics.
Comme semble loin en effet le débat sur les retraites qui dans l’Hexagone au printemps dernier enflammait la rue et l’hémicycle. Force est de constater que nous sommes entrés dans une nouvelle phase instable évidemment, éruptive potentiellement, inquiétante assurément. Les craintes d’une importation de la question israélo-palestinienne sur notre territoire ne sont pas, loin s’en faut, une vue de l’esprit. Les ingrédients de la collision ne manquent pas, et une observation rapide des réseaux sociaux qui ne sont certes pas, fort heureusement, toute la France mais qui en disent néanmoins une part, confirme cette appréhension.
Le pays a accumulé depuis des années de telles déchirures que celles-ci ne demandent qu’une secousse exogène pour révéler leurs forces destructrices.
Il faudra beaucoup de sang-froid aux responsables politiques pour éviter d’accentuer des tensions dont le caractère communautariste menace depuis fort longtemps l’ordre républicain. A ce stade, rien n’est moins sûr ; l’esprit de concorde qui avait prévalu au moment de la vague d’attentats de 2015 et 2016 n’est manifestement plus de mise. Les entrepreneurs de l’hystérie ont cette fois pris le dessus sur un moment qui aurait dû après les massacres perpétrés par le Hamas et le nouvel assassinat d’un enseignant, Dominique Bernard, à Arras, présidé à l’unité nationale, seule réponse responsable aux ennemis de la démocratie. Si la lutte contre le terrorisme et les idéologies radicales ne nous réunit plus, n’est-ce pas d’abord parce que nous avons « raté » quelque chose et ce depuis de trop nombreuses décennies.
La société française récolte dès lors les « fruits amers » du désarmement moral et intellectuel d’une grande partie de ses élites.
A mesure qu’elles instillaient par des tergiversations sans fin, le non-dit et l’inaction, le doute sur le paradigme fondateur de nos souverainetés, elles installaient les conditions de cette grande blessure qui ne cesse de s’élargir sous nos yeux. Nous payons inévitablement le tribut de tous ces renoncements. Ceux qui s’en émeuvent aujourd’hui sont hélas souvent ceux qui hier ne voulaient pas le voir. Peut-être que les temps durs dans lesquels nous entrons décilleront définitivement les yeux mais ils nécessiteront à n’en pas douter de rappeler qu’il ne peut y avoir de République que souveraine, consciente de son histoire, de ses valeurs et déterminée à se défendre.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne