Vraisemblablement les toutes dernières annonces de Gabriel Attal vont desserrer l’étau pour un temps de la crise agricole, FNSEA et jeunes agriculteurs en appelant à la fin des barrages.
Pour un temps seulement car les mesures gouvernementales demeurent pour nombre de paysans bien insuffisantes pour surmonter les immenses défis auxquels leur profession est confrontée : sur les revenus, sur la concurrence déloyale, sur les charges sociales pesant sur certaines filières, sur les retraites, sur la transmission des exploitations comme sur les difficultés de trésorerie il faudra bien plus qu’un simple plan gouvernemental, bâti dans l’urgence, le désordre et sous la pression pour calmer les inquiétudes, faire baisser la colère profonde et résoudre au fond les problèmes. Sur les barrages la base était souvent dubitative et les syndicats concurrents, comme la Coordination rurale entre autres, souvent peu convaincus, voire toujours mobilisés.
A vrai dire pour l’exécutif, l’essentiel n’était pas de traiter à la racine les enjeux existentiels de ce malaise (le pouvait-il seulement en quelques jours…), mais de garroter une crise dont il fallait éviter qu’elle ne se prolonge et se prolongeant qu’elle n’ouvre la voie à l’une de ses mobilisations multisectorielles dont on sait qu’elle sont la marque, elles, des grandes crises socio-politiques. Gabriel Attal a frôlé le précipice, après les premières annonces très, voire trop scénarisées du vendredi 27 janvier qui se sont heurtées à un rejet massif de l’ensemble des organisations syndicales. Il lui aura fallu s’y reprendre à deux fois pour calmer un peu le jeu ; il semble y être parvenu, sauvant ainsi son premier mois à Matignon et pouvant même dans l’imprécision de l’immédiateté exciper un gain politique. Il a tenu dans la tempête, lui le néophyte ; il se sera donc crédibilisé dans la fonction, ce qui ne manquera pas de satisfaire la base sociologique de sa majorité d’une part et de rasséréner son socle parlementaire d’autre part.
De facto, il sera considéré parmi ceux qui postulent implicitement ou explicitement à la succession d’Emmanuel Macron à l’intérieur du camp présidentiel comme un concurrent désormais sérieux et alternatif.
Par-delà les effets de l’instant, les linéaments de l’incertitude ne se sont pas dissipés, loin de là. L’européanisation de la colère paysanne pose plus que jamais la question du modèle européen qui d’espoir à sa naissance s’est transformé ces dernières années en idéologie dirigiste et perçue comme oligarchique. Dans de nombreux segments des peuples, cette construction est vécue comme attentatoire à leur liberté et à leurs intérêts. Le renouvellement du Parlement européen à venir risque de se transformer en référendum contre ou pour une gouvernance, celle de Madame Von der Leyden, qui cristallise sur sa personne et sur sa pratique du pouvoir toutes les allergies suscitées par Bruxelles. Ce rejet n’est pas en soi anti-européen, il signifie même quelque part l’expression d’une conscience européenne, mais d’une conscience européenne qui ne peut faire l’économie des Nations. A s’être trop attaché à cette vision abstraite du destin du « vieux continent », Emmanuel Macron est aujourd’hui pris au piège de ses contradictions, contraint qu’il est de dénoncer ou a minima de prendre ses distances, au moins sémantiquement, avec ce qu’il louait et défendait hier encore. Le sujet de la ratification du traité de libre-échange avec le Mercosur illustre à lui tout seul cette impasse.
La plasticité macroniste est d’abord communicante, avant d’être d’action, ou encore l’est-elle à la marge quand il s’agit justement d’agir.
Sera-t-elle en mesure sur ce qui constitue le réacteur doctrinal de son corpus, l’Europe, apte à aller plus loin dans la révision, voire dans la révolution de ce dernier, c’est là toute l’interrogation des mois à venir ? C’est peut-être plus à Gabriel Attal dès lors qu’à Emmanuel Macron (même si l’on imagine peu celui-ci déléguer cette tâche à son jeune chef du gouvernement) qu’échoit cette mission d’une sorte de grande « pérestroïka », sous réserve qu’elle ne se limite pas à un exercice formel de communication mais avec le risque dont la « pérestroïka » est historiquement porteur pour ceux qui l’initient : celui d’un grand renversement. Une fois soulevé le couvercle de la marmite sociale et politique, il devient souvent très difficile de le reposer. Tocqueville nous avait déjà prévenu…
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne