À 48 heures du second tour d’une élection législative cruciale, rien n’est fait et rarement l’imprévisibilité ne sera apparue aussi forte. Tout ou presque est possible : majorité absolue ou relative pour le RN et ses alliés, illisibilité du scrutin à l’issue de la soirée du 7, majorité relative de coalition, ingouvernabilité, tous les scénarios sont sur la table, même si à ce stade la première et la seconde hypothèse paraissent tenir la corde.
Quoiqu’il en soit, la clarification voulue par le Président de la République lorsqu’il a prononcé cette dissolution n’est pas assurée, mais entre un gouvernement de cohabitation dirigé par le RN et une incapacité à former un nouveau gouvernement, faute de majorité, le risque est grand pour le Chef de l’Etat entre ces deux options les plus potentiellement concevables de se retrouver confronté à une situation des plus inconfortables, une situation d’échec en tout état de cause.
Les derniers jours de campagne se sont déroulés dans une atmosphère pour le moins exacerbée, comme si la maturité démocratique avait déserté in fine l’esprit public.
Tout se passe comme si les résultats du premier tour devaient être non seulement contenus mais niés. Les solutions bricolées dans l’urgence et la panique par l’exécutif ne seront pas à même de restaurer la confiance dans le politique : combinaisons d’appareils de dernière minute, appel à se désister pour ceux que l’on considérait comme infréquentables avant-hier, sur-dramatisation de l’enjeu, les ingrédients de la perte de contrôle sont tous là, à l’instar des maux d’une société gagnée par l’anomie. Le miroir politique reflète cette dernière et il est à craindre que le résultat à venir n’évapore pas par la grâce du vote cet état de fait.
Il faudra beaucoup plus qu’une nouvelle Assemblée pour transcender les maux qui travaillent la société française. Il faudra beaucoup plus que des injonctions au barrage pour réconcilier les Français avec la démocratie. Il faudra beaucoup plus que des arrangements d’états-majors pour échapper à la défaite qui vient.
Peu importe au demeurant la nature de cette dernière, mais elle est là, inévitable, massive et lourde d’inconnus. Elle porte un nom : la cécité des élites, ou la trahison diront certains, qui ne comprennent plus leur temps, qui n’appartiennent plus pour la plupart au peuple dont elles se réclament, qui dérivent toujours plus dans un monde qui n’est pas celui que vivent leurs compatriotes, qui refusent de se remettre en question pour ne pas interroger leurs certitudes et perdre leur magistère. Elles appellent au sursaut républicain mais sont-elles encore dans la République, tant la République ne saurait se confondre avec cette tentative de sauvetage dont le confusionnisme le dispute au sécessionnisme du haut. Il n’y a rien de populiste, ni d’extrémiste à établir ce constat. Il suffit seulement pour reprendre le mot lucide de Péguy de « dire ce que l’on voit » et « surtout (…) ce qui est plus difficile voir ce que l’on voit ».
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à Sorbonne-Université