Michel Barnier est l’homme d’une situation dont il hérite et dont il doit se satisfaire, indexant son destin de chef d’un gouvernement sur des circonstances qui à tout moment ne peuvent plus être contenues, faute d’un socle majoritaire.
Le Premier ministre est aujourd’hui celui qui tient le sceptre du pouvoir mais d’un pouvoir instable, incertain, fragile. Il dispose néanmoins de plusieurs atouts. Le passif financier auquel il est confronté est celui d’abord de ceux qui défaits dans les urnes n’ont d’autres choix que de le soutenir, quand bien-même se permettent-ils de critiquer déjà une action publique à peine commencée. Les banderilles placées de-ci, de-là par plusieurs leaders, à l’instar de Messieurs Attal ou Darmanin, de l’auto-désigné « bloc central » apparaissent d’abord motivées bien plus par des considérations tactiques, « politiciennes » diront d’aucuns, que par un réel souci de contribuer positivement à la recherche de l’intérêt général dans un contexte d’extrême urgence.
La tâche à laquelle doit s’atteler Michel Barnier est d’éviter le chaos : institutionnel et financier.
Ceux qui au sein même de la coalition aléatoire qui se met en place prendront le risque de la fragiliser, voire de la déstabiliser, à fortiori lorsqu’ils sont explicitement comptables de l’état du pays après sept années d’exercice des responsabilités, ne pourront à vrai dire tirer profit de l’échec de l’expérience ainsi avortée. Ils seront même doublement pointés du doigt pour leur bilan passé et pour leurs manœuvres instamment périlleuses. L’opinion de ce point de vue sera probablement la meilleure alliée du nouveau locataire de Matignon, quand bien même ne lui permet-elle pas de résoudre son improbable équation parlementaire.
La France après sept années de macronisme est encore plus déclassée qu’elle ne l’était avant qu’Emmanuel Macron n’accède à l’Elysée. Tout l’enjeu du moment est de savoir si l’on peut dans un premier temps stopper le déclin avec ceux-là mêmes qui l’ont accéléré. Vrai cas d’école, vraie question, vraie préoccupation.
Pour autant Michel Barnier n’a d’autre option que de s’accommoder d’alliés peu enclins manifestement à lui faciliter sa mission. Ce qui rend sans aucun doute plus méritoire son effort mais encore plus inconfortable son exercice.
Protégé par sa sagesse, Michel Barnier bénéficie d’un indéniable effet de contraste par rapport à ses prédécesseurs plus jeunes et moins expérimentés. Il ne peut qu’en profiter mais il lui faudra néanmoins agir vite et loin pour faire fructifier ce modeste capital. N’ayant rien à perdre, il a tout à gagner. Encore faut-il qu’il ne se laisse pas enfermer dans les conformismes qui depuis plusieurs décennies ont défait tout volontarisme politique dans une France née d’une volonté multiséculaire mais dont l’énergie dirigeante s’est étiolée dans une forme d’abdication aux diktats des événements. Force est de constater qu’à ce stade le chef du gouvernement, malgré son habileté comportementale certaine, ne dispose pas des moyens d’une telle politique. À lui de se les forger…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université