La détente n’est qu’apparente, nonobstant le gain politique que François Bayrou est parvenu à obtenir en s’assurant de l’autonomie du PS lors de la première motion de censure à laquelle il a été confronté. Le Premier ministre peut en effet exciper un relatif succès : il aura réussi, fait exceptionnel depuis juillet 2024, à enfoncer un coin dans le Nouveau Front populaire. Toute la question néanmoins est de savoir jusqu’à quand opérera, coté socialiste, cette fragile neutralité.
Car dans cette affaire tout est indissociable du résultat du calcul bénéfices/coûts que les sociaux-démocrates sont susceptibles de retirer ou non du maintien de la stratégie de « non-censure ».
Déjà au Sénat, histoire de maintenir la pression sur le gouvernement, le groupe parlementaire socialiste votera contre le budget.
L’idée évidemment consiste à obtenir de nouvelles concessions permettant de justifier une position par ailleurs contestée en interne, mais aussi parmi les autres partenaires du NFP. Le bénéfice, retrouver une image de « parti de gouvernement », peut-il compenser le risque d’une émancipation-isolement dont notre chroniqueur Frédéric Saint-Clair a pointé la menace dans une récente tribune ? Tout se passerait comme si le PS « avait perdu sa boussole » pour reprendre l’expression définitive de Saint-Clair selon lequel les héritiers de « la vieille maison » ont oublié les leçons de Gramsci, là où Mélenchon en applique non sans vergogne les préceptes. La bataille culturelle aurait fait basculer une grande majorité de l’électorat de gauche dans la radicalité. Et les perspectives électorales, qu’elles soient législatives ou municipales, pourraient ramener très vite le parti dirigé par Olivier Faure dans l’orbite originale du NFP.
Le chef du gouvernement, quant à lui, n’est guère moins entravé entre la nécessité de stabiliser son attelage et l’exigence de redresser une trajectoire budgétaire hors de contrôle.
La stabilisation nécessite une maîtrise endogène, à savoir ne rien faire que des concessions trop nombreuses au PS en viendraient à perturber un socle central attaché à une politique de l’offre sur le plan économique ; mais elle exige tout autant une vigilance exogène tant avec l’opposition de droite du RN que de gauche du PS pour se garantir d’une subite agrégation autour d’une motion de censure. C’est bien une « mission impossible » que celle de ce Premier ministre minoritaire, qu’il s’appelle Barnier ou Bayrou, sauf à gager la pérennité gouvernementale sur un immobilisme favorisant le régime des partis au détriment de l’intérêt général du pays. La IVe République sous la Ve République sans la solidité de l’expérience des hommes du milieu du XXe siècle ne peut, hélas, qu’approfondir la crise politique et morale de la nation. Seule une remise à zéro du compteur institutionnel serait susceptible alors de redonner un peu de jeu à un système épuisé par tant d’années de renoncements. Mais rien ne permet de préjuger non seulement de ses effets, mais encore moins de sa probabilité.
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à Sorbonne-Université
France travail ; après Pôle emploi, fait régulièrement l’objet d’un « bashing » qui dénonce soit son inefficacité, soit son coût. Établissement public...