C’est une polémique, une polémique française. La tribune rédigée dans Valeurs Actuelles par plusieurs cadres en retraite de l’armée a suscité l’une de ces énièmes controverses dont notre société politico-médiatique ne cesse de se repaitre. Elle eut été signée par une toute autre catégorie que celle d’anciens militaires sans doute serait-elle passée inaperçue, sous les radars ou presque.

La combinaison de l’émetteur et du support, un hebdomadaire classé à droite qui ne fait pas mystère de son attachement à la pluralité de cette dernière, aura suffi à embraser la scène, faisant presque passer au second plan l’épouvantable acte terroriste de Rambouillet.
Sur le fond, le contenu du texte apporte peu ; il dresse un constat, que jusqu’à gauche certains n’hésitent pas à établir ; il ne constitue pas un appel à la rébellion, quand bien même évoque t-il la possibilité d’une intervention de l’armée dans les territoires critiques de la République, mais jamais ne mentionne t-il la possibilité à ce recours technique autrement que sur initiative du politique.
Une telle éventualité constituerait d’abord un échec. Elle traduirait l’impossibilité de contrôler la situation par des moyens classiques (police et gendarmerie) et sur le fond elle signifierait l’inaptitude des institutions républicaines à garantir paix civile et ordre public. Ce serait là reconnaître une impuissance et une faillite. Si les politiques de tous bords, ou presque, n’avaient pas eux-mêmes instillé cette idée, sans doute ces soldats désormais retraités se seraient peut-être gardés de ce tohu-bohu. Mais là n’est pas le seul malentendu dont cette affaire est porteuse. La réaction est venue d’abord de la gauche de la gauche, celle des Insoumis, qui y a vu là une opportunité pour allumer un contre-feu aux soupçons dont elle est l’objet quant à sa détermination à défendre l’universalisme républicain. Elle s’est propagée ensuite aux rives du pouvoir qui, tout autant de peur de se voir reprocher une complaisance coupable que d’appétit pour s’octroyer un brevet de résistance républicaine, a fait donner sa ministre des Armées dans un registre ambigu.
La ministre en a appelé au devoir de neutralité et de réserve des anciens cadres. À voir… Dans l’absolu, rien n’interdit à ces derniers d’être des citoyens et de bénéficier d’une liberté d’expression. La Revue Politique et Parlementaire, faut-il le rappeler, abrita en son temps les propos du colonel de Gaulle, lui même alors dans l’active, sans qu’il ne fut pour autant sanctionné alors qu’il questionnait avec prescience la doctrine de l’état-major. De là à penser que les régimes passés furent plus libéraux que le moment présent, il y a un pas que d’aucuns ne manqueront pas de franchir.
L’opinion, elle, n’a pas manifestement de ces pudeurs quand elle soutient majoritairement, si l’on en croit le sondage Harris Interactive publié peu après les premiers éclats faisant suite à la polémique. Non que l’opinion ait toujours raison, mais à gouverner sans l’entendre, le risque est grand d’élargir le fossé entre gouvernants et gouvernés. À susciter des fantasmes imaginaires, celui d’une sécession de l’armée, prélude à une déstabilisation de la démocratie, on rejoue une scène qui ne correspond pas à la perception de la réalité du pays par une majorité de nos concitoyens…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef