Dans trois semaines le premier tour des élections départementales et régionales fournira, à un an de la présidentielle, un état des lieux de la topographie politique du moment. Y assisterons-nous à une confirmation de la démobilisation dont les municipales ont été en 2020 le théâtre ? Ou plutôt un regain de participation traduira-t-il un réinvestissement citoyen ? Verrons-nous à nouveau se solidifier la distinction local/national entre un terrain privilégiant les enjeux de proximité et un centre qui à ce stade des études d’opinion demeure travaillé par des offres sans réelle implantation territoriale?
Toutes ces questions et bien d’autres restent encore en suspens.
A grands traits, trois enjeux en effet caractérisent la consultation à venir.
Premier enjeu, quelle sera la dimension nationale du scrutin ? Nombre de sortants en feront un test local ; d’autres, portés par d’autres ambitions, y verront un levier pour celles-ci. C’est le cas de Monsieur Bertrand, bien évidemment, de Valérie Pécresse aussi et dans une moindre mesure de Laurent Wauquiez. Clairement, l’engagement massif des ministres dans la complétion régionale confère naturellement une tournure hexagonale à l’élection. La république en marche, et ses alliés, nonobstant leur faiblesse sur le terrain, essaieront néanmoins de tirer profit de la confusion régnant sur la scène politique pour pousser leurs pions. En Bretagne, en Centre-Val de Loire les candidats de la majorité pourraient se faufiler et apporter des gains inespérés à l’exécutif. Si à contrario, aucun trophée n’était accroché, la lecture des résultats sera analysée inévitablement comme un échec préoccupant pour la majorité, à moins de douze mois de l’élection présidentielle. Le challenge est tout aussi capital pour le RN qui, s’il emportait dans une ou deux régions, se verrait conforté dans sa dynamique, à fortiori si la macronie ne conquiert aucun exécutif en régions. En retour, le marinisme butant encore une fois de la course relancerait l’hypothèse d’un « plafond de verre » infranchissable.
Deuxième enjeu, ces élections clarifieront-elles les champs de forces à droite et à gauche, au-delà des seules offres lepenistes et macronistes ? À droite, bien évidemment, Xavier Bertrand, seul candidat déclaré à ce jour, ne manquera pas d’ériger son succès comme une rampe de lancement en vue de 2022. Pas forcément une bonne nouvelle pour les deux champions des sondages que sont Marine Le Pen d’un côté, Emmanuel Macron de l’autre. Pour autant, il devra néanmoins compter aussi avec les éventuelles réélections de deux de ses rivaux potentiels, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, lesquels n’ont pas encore clarifié leurs intentions mais pourraient également bénéficier le moment venu d’un effet « régionales ». Si à droite la situation reste incertaine, elle l’est encore plus à gauche où unité, projet et incarnation se heurtent à une équation impossible, comme le révèle à la veille des votes du 20 et 27 juin la balkanisation de ses forces. Depuis la fin des années 60, la gauche n’est jamais apparue aussi encalminée. Les élections régionales auraient pu constituer un laboratoire pour tenter une reconstruction par la base . Tout laisse à penser qu’elles risquent surtout de souligner et d’approfondir les fractures qui la traversent.
Troisième enjeu, indissociable des deux précédents, la lisibilité du résultat qui ressortira de cette consultation. La majorité a manifestement tout intérêt à renforcer la confusion de la scène, afin d’esquiver un échec trop visible d’une part et de poursuivre d’autre part son travail de combustion à droite et aussi à gauche, afin de préparer les conditions de l’affrontement dont elle rêve avec le RN, comme si entre elle et la formation mariniste il n’y avait plus rien, un peu à l’image de ce que Malraux dans les années 50 disait des gaullistes et des communistes. Cette politique de la terre brûlée, les régionales pourraient en être un test supplémentaire. Les jeux du parti présidentiel dans les Hauts-de-France et en PACA pour enfoncer un coin parmi les sortants de droite en offrent une sorte d’avant-goût, puisant dans un machiavélisme du pauvre qui, en faisant mécaniquement croître l’offre du RN, ouvre à celui-ci les conditions de son éligibilité. Un seul succès du RN en région rendrait on ne peut plus lisible la lecture du scrutin, puisqu’il acterait d’une dynamique nouvelle en faveur de ce dernier dans la dernière ligne droite du quinquennat d’Emmanuel Macron…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne