C’est bien la vague abstentionniste qui aura retenu l’attention du premier tour des élections départementales et régionales. Bien que cet infléchissement de la participation s’inscrive dans une tendance de fond de trente années d’histoire électorale, il faut observer que le quinquennat Macron aura accéléré et approfondi ce phénomène.

L’une des propriétés du macronisme aura été, sans le dire, de consolider une dépolitisation des offres gouvernementales en agrégeant à droite et à gauche le noyau dur de ces dernières. L’objectif du « en même temps » était de rejeter aux marges de l’illégitime toute autre forme d’alternative au grand parti centriste et centrale qu’entendait incarner le Président de la République.
L’un des premiers effets de cette doctrine est sans conteste de dévitaliser le corps démocratique : indifférence, colère, fatigue civique, on trouvera sans peine des motivations multiples et nécessairement entrecroisées à ce mouvement de repli civique. La ruse de l’histoire veut qu’à ce stade la première victime, malgré elle, de ce ce processus soit la formation présidentielle qui après les municipales de 2020 et les régionales de 2021 apparaît plus que jamais comme une organisation sans racines, ni élus locaux. Une première à vrai dire sous la Ve pour un parti majoritaire. On touche là aux limites d’une stratégie qui à force de recouvrir son contenu exclusivement technocratique d’un voile ostentatoirement communicant affiche un dépôt de bilan territorial sans précédent…
Mais le problème est ailleurs et le macronisme, loin s’en faut, n’en constitue pas le seul comptable. La démonétisation du vote doit beaucoup également au non-respect du résultat du referendum de 2005. Nicolas Sarkozy en imposant Lisbonne trois années après un non retentissant aura ouvert l’une de ces brèches qui au cœur de la société démocratique instille l’idée que l’accomplissement d’un devoir électoral est un exercice aussi improductif que trompeur. On n’a pas fini de solder les conséquences de ce qui dans les tréfonds de l’opinion est perçu comme une sorte de trahison. Si le fait de voter ne permet pas d’être entendu, à quoi bon se rendre dans les bureaux de vote ? Cette démocratie sans électeurs pourrait, si remède n’était pas apporté notamment à travers un renouvellement des offres politiques, déboucher sur d’autres modes d’expression dont les réseaux sociaux ou le récent mouvement des Gilets jaunes sont quelques unes des expressions. A vouloir réduire la politique à la portion congrue, on la ramène inévitablement sous des formes irruptives. Les majorités aphones électoralement trouveront toujours d’autres chemins pour se faire entendre : ce n’est bon ni pour le pays, encore moins pour la démocratie…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne