Raymond Aron, que l’on interrogeait à la fin de sa vie sur les propriétés des relations entre États, répondit que ce qui caractérisait la scène internationale c’était d’abord l’État de nature. La rupture du contrat franco-australien constitue à sa façon une illustration, euphémisée, de ce constat. « Les États ont des intérêts, ils n’ont pas d’amis » aimait de son côté à répéter avec réalisme le Général de Gaulle.
De cette double observation, la France vient d’en faire l’amère expérience, et ce avec une confondante naïveté. Elle comptera sans doute sur la solidarité européenne pour faire suite à sa mauvaise humeur mais déjà, nonobstant les déclarations de façades, chacun au sein même de l’UE joue sa partition. Alors que la crise des sous-marins bat son plein, l’Allemagne acte un accord avec l’Australie sur les technologies spatiales de l’Avenir quand au même moment le chancelier Sebastian Kurz se réjouit de sa bonne entente avec le Premier ministre australien, rejoint dans un même élan par le Danemark.
La réalité est d’autant plus cruelle que la France disposerait des capacités de son autonomie si elle s’en donnait les moyens politiques. Or le suivisme est devenu de facto la pierre angulaire de notre relation au monde. Nicolas Sarkozy en réengageant la France en novembre 2007 au sein même du commandement intégré de l’OTAN avait liquidé ce qu’il restait de gaullisme dans notre politique internationale, avant de ramener par la fenêtre du traité de Lisbonne en 2008 ce que les Françaises et les Français avaient défait par la voie référendaire. Tout se passe comme si la dilution dans des ensembles plus vastes constituait désormais le trend dominant de notre activité diplomatique, sans que l’on réfléchisse à l’impact symbolique de ce parti pris.
La relation commerciale et stratégique avec l’Australie relevait du bilatéralisme. Elle a volé en éclat. Or, le bilatéralisme suppose d’être crédible, perçu comme fort, et non comme déclinant, au point d’effacer toute singularité comme si cet effacement trahissait un aveu de faiblesse. Il exige de ne pas susciter l’impression de douter de soi, et dans le même temps d’être en mesure d’évaluer comme il se doit la configuration du rapport de forces, en dehors de tout angélisme. Comme le rappelle avec pertinence Alain Meininger dans l’analyse qu’il livre dans nos colonnes : « le départ de Trump n’y change rien ; les invariants géopolitiques perdurent ; seules les formulations sont plus policées ».
La retraite peu glorieuse d’Afghanistan n’aura qu’accéléré le processus : le containment de la puissance chinoise est l’objectif numéro 1 des Anglo-Saxons dont les États-Unis assurent naturellement le leadership. La France est la victime collatérale de ce redéploiement stratégique ; elle ne l’a pas vu venir ou feint de l’ignorer, sublimée par la figure apaisante de l’amitié « franco-américaine ». Ce faisant, elle affronte un « Mers-El-Kebir » diplomatico-commercial qui devrait l’inciter à revisiter de fond en comble son logiciel, loin de la banalisation du rôle à laquelle elle se conforme depuis trop longtemps car le monde d’après a déjà commencé…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire