Alors que le conflit concernant le projet de réforme des retraites se poursuit, alors que la crise du système hospitalier ne cesse de s’étendre, alors que la trajectoire budgétaire continue de s’éloigner des promesses initiales de maîtrise de la dépense publique, une question se pose – et ce à quelques encablures des prochaines municipales : où en sont Emmanuel Macron et sa majorité ?
La séquence éruptive des gilets jaunes avait donné lieu à un nouvel élément du storytelling macroniste : l’acte 2, un acte 2 dont on nous annonçait qu’il ferait toute sa place aux corps intermédiaires – ignorés depuis le début du mandat ; à l’écoute et à la concertation. Le virage communicant annoncerait-il une nouvelle « gouvernance », loin du jupiterisme scintillant de l’aube du mandat, de ses foudres sémantiques, et autres intraitables volontés de tenir bon le logiciel de la transformation, nonobstant des opinions colériques et irritées.
Facialement, Macron tient ; il tient tout autant sa rhétorique que sa pratique du pouvoir. À une différence notable, néanmoins : sa présidence se fait plus prudente quant à son exposition personnelle.
L’implication du Premier ministre sur le dossier désormais totémique des retraites marque sans doute une stratégie présidentielle qui vise à recourir à la ressource institutionnelle pour se protéger et se préserver.
C’est bien Matignon qui a endossé la dimension paramétrique du dossier « retraite », c’est bien Matignon qui est à la manœuvre et en première ligne, c’est bien Matignon qui chasse sur les terres du centre-droit pour arrimer ce dernier au paquebot macroniste dans la perspective des futures échéances. La macronie n’a pas d’illusions sans doute sur sa popularité. Mais elle s’accroche ; elle s’accroche comme Ulysse face aux vents contraires de la destinée ; elle s’accroche, consciente d’avoir brûlé ses vaisseaux à gauche ; elle s’accroche surtout à sa sociologie dont elle fait la martingale pour sa survie. Renoncer à la réforme des retraites, ce serait perdre sur tous les tableaux : celui de la face et perdant la face, sur celui du coefficient électoral des classes moyennes supérieures et des classes supérieures. D’où la dimension marmoréenne d’un Premier ministre, qui malgré le recul tactique et provisoire relatif à l’âge pivot reste déterminé à légiférer via les ordonnances si les partenaires sociaux n’aboutissent pas à un accord sur le financement du futur régime des retraites. Tout se passe comme si rien ne devait changer dans la scénographie du pouvoir dont l’objet consiste à ne rien céder sur son volontarisme affiché , présumé ou… réel. Mais c’est là que revient l’inévitable interrogation sur la solidité des engagements initiaux. Le macronisme, fleuve faussement tranquille, n’est-il pas sorti de son lit ? Déjà la révolte jaune de 2018 contre la taxe carbone avait infléchi un pouvoir qui se voulait de marbre. Les dérogations concédées à plusieurs professions sur le sujet des retraites ont cisaillé pour une part l’idée d’universalisation. Le pas de deux orchestré par le chef du gouvernement sur l’enjeu de l’âge pivot traduit à sa façon un bras qui tremble.
À vrai dire les fondamentaux de la singularité du macronisme tanguent.
Tant sur le réformisme que sur la rigueur budgétaires (la dette publique de la France a dépassé les 100 % du PIB) ce sont là deux des marqueurs de la majorité qui sont exposés à l’épreuve des faits. C’est à sa cohérence qu’est confronté l’exécutif. La com’ dont il use jusqu’a la corde ne parvient plus vraiment à masquer l’étiolement qui guette, la hollandisation ou chiraquisation (c’est selon) qui plane, l’encalminement aussi. C’est comme si une atmosphère d’enlisement s’installait… À plus de deux ans de la présidentielle il va falloir se réinventer ! Reste à savoir comment…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire