Les résultats du scrutin législatif de ce dimanche 12 juin 2022 ont confirmé ce que les sondeurs annonçaient : Une double poussée (de l’union de la gauche, Nupes, tout d’abord, très forte, et du Rassemblement national ensuite, plus modérée) sur fond de recul général (de la gauche PS – non Nupes, de LR ainsi que de la majorité présidentielle). Que traduit le nouveau rapport de force politique en train d’émerger ?
Pour répondre à cette question, attardons-nous un instant, pour commencer, sur le grand coup politique de ces élections : l’union des gauches. Cette union a indéniablement eu des conséquences nettes sur le vote, cependant, il convient de remarquer qu’en nombre de voix, les résultats sont bien moins spectaculaires qu’il n’y paraît. S’ils sont supérieurs à ceux de 2017 (de quelques centaines de milliers de voix seulement), ils demeurent inférieurs aux résultats obtenus par la gauche (toutes tendances confondues) en 2012, 2007, 2002, 1997, etc.
Pour le dire autrement : La gauche s’unit ; la gauche progresse ; mais la gauche ne parvient pas à retrouver sa vigueur d’antan.
Pourquoi persistons-nous à dire que ce scrutin est historique ? Car le véritable enseignement de cette élection n’est pas quantitatif (même si une potentielle présence massive à l’Assemblée nationale face à la « majorité » présidentielle aurait quantitativement un impact) mais qualitatif. Le rapport de force historique s’est inversé au sein de cette union. La sociale démocratie du PS, courant historique, n’est plus la référence de la gauche française ; les urnes viennent de sanctionner le nouveau rapport de force qui a vocation à structurer la gauche de l’échiquier politique ; c’est la gauche radicale, anticapitaliste et woke qui est le nouveau faiseur de roi.
Deuxième poussée notable : celle du Rassemblement National. Cette poussée est en apparence moindre que celle de la Nupes puisque le RN n’obtient finalement que 18%, ce qui semblemaigre au regard des 25% de la gauche, et surtout, ce qui reflète assez mal le score de Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle. Mais, dans ce cas aussi, les chiffres sont trompeurs. Car en nombre de voix, le RN décroche un score supérieur à tout ce qu’il a obtenu lors des scrutins précédents. Les élections de 1986 où le scrutin avait été proportionnel, pour la seule fois de la Ve République, avait notablement profité au Front National, dont le score de premier tour avait atteint 2,7 millions de voix. Il avait ainsi constitué une sorte de référence pour l’analyse élecorale de la droite radicale. Référence partiellement erronée, car le parti à la flamme a largement progressé depuis cette époque. Tout d’abord, dès l’élection suivante, en 1993, où il totalisait au premier tour 3,1 millions de voix. Progrès également en 1997 : 3,7 millions. Après un creux en 2002 et 2007 (entre 1 et 2 millions de voix obtenues), il a fait son grand retour en 2012 avec 3,5 millions de voix au premier tour. Or, ce dimanche, c’est 4,2 millions de voix que le RN a engrangées – soit une progression de 1,2 millions de voix par rapport à 2017.
Le meilleur de son histoire en somme, et la confirmation de sa progression dans l’opinion publique.
C’est au regard de ces deux poussées qu’il faut analyser le recul des trois autres formations par rapport à 2017 (le PS non Nupes, qui s’effondre ; la droite LR, en recul de 1,2 millions de voix ; la majorité présidentielle (Ensemble !) en recul de 1,5 millions de voix). Au-delà des chiffres, l’enseignement est, là encore, qualitatif. Qu’incarnent ces trois formations ? Les trois courants fondateurs de la démocratie libérale occidentale, la gauche sociale-démocrate, le centre social libéral, et la droite néolibérale modérée. Face à ce bloc que nous nommerons « libéral », ce ne sont pas deux blocs, mais un seul qui s’est dressé lors de cette élection : le bloc « illibéral ».Son côté gauche est incarné par la Nupes. Son côté droit, par le RN. Un bloc illibéral composite, car ses deux côtés demeurent totalement incompatibles en matière régalienne (police, justice, immigration, laïcité, etc.) et sociétale (décolonialisme, LGBT, GPA, etc.), mais un bloc tout de même car ils se rejoignent dans leur opposition eurosceptique et altermondialiste au libéralisme économique, et plus largement dans leur position critique vis-à-vis du dogme de la fin de l’Histoire, de Francis Fukuyama.
Qu’est-ce que cela implique pour LR et le PS non Nupes ?
Principalement que leur volonté de ne pas rallier la majorité présidentielle les place en position critique du bloc libéral comme du bloc illibéral ; or cette position est en réalité intenable, car leur histoire politique comme leur colonne vertébrale idéologique les inscrit intégralement dans le bloc libéral. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de disparaître ou de rejoindre, d’une manière ou d’une autre, leur formation d’origine.
Autre question : Qu’est-ce que cela signifie pour Ensemble!,la majorité présidentielle ? Principalement qu’au-delà de la désaffection et de la désillusion que le « nouveau Macron » peut susciter, c’est le courant social-libéral tout entier qui est mis en difficulté par ce scrutin, car Nupes + RN = 44%. Pour le dire autrement, la gouvernance façon « démocratie libérale » doit se préparer à vivre de mauvais jours. Car l’histoire récente montre que cette poussée est non seulement inexorable, mais éminemment populaire, c’est-à-dire démocratique. Malgré un mode de scrutin extrêmement défavorable à ces partis illibéraux, malgré une opposition médiatique féroce (en ce qui concerne le RN particulièrement), rien ne semble enrayer la régression de l’idéologie libérale. Ce scrutin n’est donc rien moins que l’annonciateur d’un profond basculement dans les mentalités, lequel ne manquera pas de s’inscrire un jour ou l’autre dans les institutions.
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, Politologue