Ce scrutin intermédiaire du 9 juin n’est pas perçu de la même manière au Palais de l’Elysée ou au Palais de Moncloa (siège officiel de la Présidence du gouvernement espagnol). Si les voyants sont au rouge côté français d’après les enquêtes d’opinion à quelques jours du scrutin, les craintes ne sont pas équivalentes de l’autre côté du versant pyrénéen. En Espagne, cette élection est l’occasion pour Pedro Sanchez, le Président du gouvernement espagnol de ressouder ses partisans et son camp, après un mois d’avril tumultueux au cours duquel, il avait mis dans la balance sa démission. En France, l’objectif d’Emmanuel Macron est plutôt de limiter la casse et de passer à autre chose (heureusement pour lui, les J.O arriveront rapidement après le scrutin). De fait, de ces résultats du 9 juin, les conséquences ne seront pas les mêmes dans chacun des deux pays, mais elles auront ceci de commun que d’être décisives dans la suite des deux mandatures.
Le calice et la coupe
L’exécutif français le répète à l’envie, cette élection européenne n’est pas une élection interne. A l’inverse le RN axe son positionnement de campagne comme étant un référendum « pour ou contre Emmanuel Macron », un troisième tour de la présidentielle de 2022, en quelque sorte.
Il est évident que s’il y a échec de la liste Renew Europe en juin prochain, le parti au pouvoir aura beau jeu de dire que cette déconfiture est avant tout celle de sa tête de liste Valérie Hayer et non celle d’Emmanuel Macron.
Pire serait la situation d’arriver en troisième position, derrière Raphaël Glucksmann (PS-Place Publique), ce qui sèmerait encore un peu plus le doute du côté de la majorité (relative) présidentielle et réveillerait les appétits des vainqueurs et des autres adversaires en lice pour l’Elysée.
En Espagne aussi, le 9 juin prochain les enjeux nationaux vont éclipser les européennes. « Ce sera le second tour des législatives », prédit la politologue et professeure à l’université de Saragosse, Cristina Monge. Pour le comprendre, il faut se rappeler que les dernières élections législatives se sont tenues il y a à peine un an, convoquées à la hâte et à la surprise générale par Pedro Sánchez en juillet 2023 après avoir constaté que le PP (parti de droite, principal opposant) lui avait disputé une grande partie de son pouvoir territorial lors des élections régionales du mois de mai : « Les élections de juin constituent pour les Espagnols le premier examen global de Sánchez après son investiture et le test de résistance de son éventuelle lettre de démission » en avril dernier, explique Rubén Vinagre, consultant en communication institutionnelle et politique.
Le 9 juin, une victoire à la Pyrrhus en France pour le RN, une victoire totale en Espagne pour le PSEO ?
L’élection européenne encourt cette année un enjeu de politique intérieure. C’est pour cette raison que les prévisions de la participation électorale sont données supérieures aux scrutins antérieurs (67% contre 50,2% en 2019 côté français, 70% contre 64,3% côté espagnol selon l’Eurobaromètre, avril 2024). Ce scrutin apparait comme un risque pour l’exécutif côté français et plutôt une chance pour le pouvoir espagnol.
Le risque est bien évidemment pour l’Elysée que les résultats des européennes ne débordent sur l’échiquier français. Les J.O vont permettre de passer à autre chose durant une partie de l’été. Mais à la rentrée de septembre ?
La situation, au lendemain de la fête olympique risque d’être douloureuse pour Emmanuel Macron. La question d’une dissolution pourrait dès lors, se poser avec un renversement du gouvernement Attal. Le casse-tête serait généralisé pour aussi bien le camp macroniste que lepéniste.
A 2 ans de la présidentielle, faudrait-il que Marine Le Pen ou Jordan Bardella aille à Matignon ? Dans les deux cas, l’équation n’est pas simple.
S’ils s’y refusent, leur image patiemment construite de parti en capacité de gouverner le pays serait écornée. S’ils y vont, le risque pour la victoire à la présidentielle s’est plus d’une fois vérifié (seuls deux Premiers ministres sur huit qui avaient tenté l’aventure élyséenne ont réussi à être Président de la République française) que Matignon n’est pas un tremplin pour l’Elysée, bien au contraire. N’oublions pas que cette hypothèse d’une cohabitation conduirait à un chaos dont le pays n’a pas vraiment besoin.
Emmanuel Macron pourrait dès lors redissoudre et parier sur un retour à une majorité parlementaire en sa faveur, mais un pari n’est pas toujours gagné…
Côté espagnol, à ce jour, il n’y a pas de signes avant-coureurs d’un chamboulement politique après les élections européennes. Les sondages prévoient un avantage pour le PP (principal parti d’opposition au gouvernement Sánchez) mais pas une différence cruciale qui change fondamentalement l’équilibre politique actuel. Tout laisse à penser qu’il y aura continuité, au-delà du remaniement que Pedro Sánchez devra affronter pour couvrir le départ de la troisième vice-présidente et ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera (tête de liste des socialistes aux élections européennes).
A droite, le leader du Parti Populaire, Alberto Núñez Feijoo, a besoin d’une « mobilisation maximale » de ses partisans afin de bousculer le Chef du gouvernement actuel, Pedro Sanchez. Un appel, dans ce sens à la participation face à un PSOE (parti de gauche au pouvoir) renforcé par sa récente victoire historique en Catalogne, a été lancé.
Même si d’autres facteurs entreront en ligne de compte, la « crispación » (expression espagnole signifiant tension politique généralisée) assure Rubén Vinagre, « en sera un », d’autant plus qu’il faut encore résoudre la formation du gouvernement catalan et que Pedro Sánchez doit rendre des comptes au Congrès sur les activités professionnelles supposées frauduleuses de son épouse qui l’avaient conduit à menacer de démissionner en avril 2024.
Une autre question clé est celle du score qu’atteindra le parti d’extrême droite VOX. L’Espagne sera-t-elle l’exception à la vague annoncée au niveau européen ? Pas sûr d’après Cristina Monge pour qui ce scrutin européen est une « élection hooligan » représentant une sorte de défouloir et occasion de montrer son mécontentement.
Le 9 juin prochain, dans chacun des deux pays, les partis au pouvoir comme ceux de l’opposition joueront un match à un seul tour, une sorte d’ »access » match (c’est de saison) à l’issue duquel, on comptera des gagnants, mais surtout des perdants.
Frédéric Dosquet
Docteur en sciences de gestion, directeur de thèses (HDR)
Professeur Eklore-ed management school
Auteur de Marketing et communication politique, EMS (3eme édition)
&
Pilar Estopiñá
Periodista et conseiller en communication