Le 6 juin 2013, l’affaire Snowden éclate. Les activités de la National Security Agency (NSA) sont révélées au grand jour. Le livre du journaliste Quentin Michaud et du chercheur Olivier Kempf permet de mieux comprendre le cheminement d’Edward Snowden et la chronologie du scandale dont il est le principal protagoniste.
Un verrou saute. Le public découvre avec stupeur l’ampleur des écoutes du programme américain de surveillance automatique Prism qui infiltre même des conversations téléphoniques privées de millions de citoyens à travers le monde, y compris américains. L’onde de choc est mondiale. Ce “scandale” illustre d’un côté, une surveillance abusive et de l’autre la vulnérabilité de la technologie de pointe de la première puissance mondiale qui n’a pas pu prévenir des fuites classifiées secret défense.
Comment qualifier Edward Snowden ? Est-il un traitre ? Est-il un lanceur d’alerte “a whistleblower” ? (nom donné aux citoyens courageux ou naïfs qui, avertis d’un danger, dénoncent publiquement une injustice, un scandale quitte à en payer le prix car souvent ils agissent à la limite de la légalité). L’ex-consultant de la NSA qui reconnaît l’utilité du service de renseignements, manifeste son opposition “à une surveillance de masse omnisciente et automatique”, dénonçant la toile de surveillance sécuritaire mondiale qui fait peser un risque majeur sur les libertés.
“Edward Snowden n’a pas dévoilé des actions illégales. Par contre, ses révélations posent le problème de l’équilibre entre le respect de la vie privée et les capacités de lutte contre le terrorisme” souligne, dans la préface, Bernard Barbier, ancien directeur technique à la DGSE. Ce dilemme appelle une réflexion approfondie autour de la cyberstratégie.
Le livre de Quentin Michaud et d’Olivier Kempf apporte sa contribution à ce vaste chantier. Il permet de mieux comprendre le cheminement d’Edward Snowden et la chronologie du scandale dont il est le principal protagoniste. Cette dernière est relatée trimestre par trimestre au cours des cinq premiers chapitres, de Hong-Kong à New-York, de Moscou au Brésil.
En fait, ce qui intéresse les auteurs de l’ouvrage dépasse la personnalité d’Edward Snowden. Leur analyse se focalise sur les conséquences tentaculaires de son acte. Il y aura désormais un avant et un après Edward Snowden. Au-delà de la chronologie, les auteurs expliquent en quoi cette affaire est multidimensionnelle et constitue une “rupture stratégique”.
En effet, les révélations mettent en lumière les aspects stratégiques du “cyberespace”, un mot actuellement en vogue, caractérisé comme l’aérien et le nucléaire en leurs temps, par l’évolution excessivement rapide des technologies sous-jacentes, appelant le développement d’une “cyberstratégie” (cf. Le cyberespace. Nouveau domaine de la pensée stratégique. Stéphane Dossé, Olivier Kempf et Christian Malis (Dir.), Economica, 2013).
Les fuites incriminées soulèvent également la question de l’espionnage, activité centrale de la cyberconflictualité, posant, par là même, le problème de la liberté publique, et mettent en relief l’imbrication des activités de la NSA dans le domaine économique entraînant la confusion entre intérêts publics et intérêts privés avec toutes ses conséquences géopolitiques.
L’affaire Snowden “est le révélateur d’évolutions profondes qui ne touchent pas d’abord au monde du renseignement ou même seulement la géopolitique ou à la stratégie, mais à la structure et au fonctionnement de nos sociétés contemporaines” affirment les auteurs. Elle est donc une rupture par les moyens dévoilés mais aussi par ses répercussions qui ne sont pas encore toutes mesurables à ce jour : “Les révélations sur les activités de la NSA ont nui aux relations diplomatiques entre les États-Unis et plusieurs pays (Brésil, Allemagne). De plus, des entreprises américaines ont perdu de nombreux contrats dans le secteur de la sécurité informatique. En effet, comment des entreprises étrangères pourraient-elles encore faire confiance aux grandes multinationales américaines qui partagent directement leurs données avec la NSA ? Depuis le déroulement de l’affaire en question, cette guerre économique profite au secteur informatique asiatique, en particulier chinois, qui connaît un développement florissant… » reconnaît Quentin Michaud.
L’analyse des répercussions stratégiques, militaires, diplomatiques, politiques, juridiques, économiques des révélations d’Edward Snowden, menée par les auteurs entraîne le lecteur non point dans un monde de science fiction, virtuel mais dans un espace bien réel de plus en plus complexe qui mérite d’être mieux appréhendé pour comprendre les bouleversements stratégiques qu’Edward Snowden a déclenchés “au nom de la liberté”.
Quentin Michaud, Olivier Kempf
L’affaire Edward Snowden – Une rupture stratégique
Préface de Bernard Barbier, conseiller à la Sogéti, ancien directeur technique à la DGSE
Economica, Collection Cyberstratégie, 2015
206 p. – 19 €