Nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère des sociétés de la connaissance, c’est-à-dire de sociétés dont la prospérité dépend grandement de la qualité de la formation dispensée à leurs membres, et donc, pour une bonne part, de la façon dont l’enseignement supérieur s’acquitte de sa mission. Pourtant, si les questions relatives à l’accès à cet ordre d’enseignement préoccupent un moment les familles, lorsque leurs enfants arrivent au terme de leurs études secondaires, elles ne prennent que relativement peu de place dans le débat public.
Il faut s’en étonner : alors qu’innombrables sont les analyses, réflexions et propositions sur les inégalités, sous leurs différentes formes (inégalités de revenus, de patrimoines, inégalités culturelles, relationnelles), ainsi que sur les moyens de les résorber, et le rôle capital qui revient à cet égard à l’éducation, un moment crucial pour l’avenir professionnel des jeunes, celui de l’articulation entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, ne suscite paradoxalement qu’assez peu d’interrogations. Peut-être parce que nous sommes tellement accoutumés aux schémas traditionnels d’organisation, qu’il ne nous vient pas à l’esprit de nous demander si leurs conditions de validité sont toujours remplies et si d’autres voies ne pourraient pas être explorées, à la fois pour répondre aux attentes des jeunes et pour mieux satisfaire les besoins économiques et sociaux.
En l’espace de quelques générations, et particulièrement depuis le début des années 1960, le nombre et le profil des candidats à l’enseignement supérieur a beaucoup évolué et la question se pose de savoir si, pour les premières années de celui-ci (c’est-à-dire pour le premier cycle), l’offre de formation de sa composante dominante, les établissements publics, a su s’adapter à la demande (explicite ou implicite) des entrants. Question décisive, car ce qui est en jeu n’est rien moins que l’insertion professionnelle et sociale d’une fraction importante de chaque classe d’âge. D’où l’intérêt de tenter une mise en perspective pour en définir les termes et rechercher des éléments de réponse, et plus précisément pour :
– dégager quelques traits de l’évolution de la demande de formation supérieure,
– la mettre en parallèle avec celle de l’offre,
– avant d’esquisser des pistes d’aménagement de cette dernière.
1. Une demande de formation supérieure en forte évolution
En quelques décennies, la demande de formation supérieure a connu une importante évolution parce qu’elle provient d’un public étudiant qui a lui-même changé à la fois quantitativement et qualitativement.
1.1. Des demandeurs beaucoup plus nombreux
L’explosion des effectifs de bacheliers, c’est-à-dire de candidats potentiels à l’entrée dans l’enseignement supérieur, conséquence de la démocratisation de l’enseignement secondaire, est trop connue pour qu’on s’y attarde. Quelques statistiques sur les périodes 1900-1965, et 1980-2020, résument l’ampleur du phénomène :
Nombre de bacheliers et proportion de bacheliers par génération, de 1900 à 19651 et de 1980 à 20202 3
Années |
1900 |
1940 |
1950 |
1965 |
1980 |
2000 |
2010 |
2020 |
|||
Nombre de bacheliers |
|
|
|
|
|
|
|
|
|||
Baccalauréat général |
5 711 |
27 777 |
33 145 |
96 924 |
159 769 |
271 155 |
279 751 |
384 158 |
|||
Baccalauréat technologique4 |
– |
– |
– |
|
62 660 |
152 778 |
133 431 |
149 972 |
|||
Baccalauréat professionnel5 |
– |
– |
– |
|
– |
92 617 |
118 586 |
188 841 |
|||
Ensemble (ts baccalauréats) |
5 711 |
27 777 |
33 145 |
96 924 |
222 439 |
516 550 |
531 768 |
722 971 |
|||
Proportion de bacheliers |
|
|
|
|
|
|
|
|
|||
Baccalauréat général |
|
|
|
|
18,6 |
32,9 |
34,3 |
46,3 |
|||
Baccalauréat technologique |
– |
– |
– |
|
7,3 |
18,5 |
16,3 |
18 |
|||
Baccalauréat professionnel |
– |
– |
– |
|
– |
11,4 |
14,4 |
22,8 |
|||
Garçons/Filles |
|
G |
F |
G |
F |
G |
F |
|
|
|
|
Ensemble (ts baccalauréats) |
1,8 |
5,6 |
2,9 |
5,9 |
4,4 |
11,6 |
11,8 |
25,9 |
62,8 |
65,0 |
87 |
Après un accroissement progressif du nombre des bacheliers, on observe, à partir du début des années 1990, une forte augmentation, à mettre en particulier en rapport avec la création du baccalauréat professionnel en 1985. Le baccalauréat, qui en 1965 encore restait l’apanage d’une minorité de chaque classe d’âge, est désormais obtenu par la très grande majorité, à laquelle il ouvre la possibilité d’accéder à l’enseignement supérieur.
1.2. Des demandeurs au profil significativement différent
a) La République, on le sait, a fait du mérite, mesuré à l’aune des compétences acquises à la faveur du processus de formation, le critère de recrutement des cadres de la nation, de sorte que le concours (sur épreuves) s’est progressivement imposé comme la voie normale d’accès à la fonction publique. Sa généralisation a eu des conséquences décisives sur la société française et ses hiérarchies : en évaluant, pour l’essentiel, le mérite d’après les résultats scolaires, elle a établi un lien fort entre l’emploi public (puis finalement l’emploi tout court…) et l’École, et, renforçant le statut de celle-ci, a fait de la certification qu’elle délivre le garant de la compétence professionnelle et la source de l’autorité sociale.
L’enseignement secondaire s’est vu ainsi reconnaître la mission d’instruire les élèves et en même temps de permettre aux meilleurs de réussir les examens et les concours dont dépend leur avenir, en d’autres termes, à la fois de former et de classer ; dans cette optique, il revenait au baccalauréat (premier grade universitaire) d’établir la partition entre ceux jugés aptes à poursuivre des études supérieures et ceux qui n’y avaient pas vocation.
Les statistiques relatives aux admissions au baccalauréat illustrent bien la façon dont cet examen s’acquittait de sa fonction de classement. Dans le cadre des réformes de l’éducation faisant suite à la défaite de 1870, un baccalauréat en deux parties, à passer à une année d’intervalle, avait été institué en 1874 ; il s’est perpétué jusqu’au milieu des années 19606. La réussite à la première partie (à la fin de la classe de Première) conditionnait le passage en année supérieure, à l’issue de laquelle étaient subies les épreuves de la deuxième partie. La délivrance du baccalauréat était donc subordonnée au succès à deux examens.
Pour la décennie 1891-1900, on peut estimer que le pourcentage d’admis par rapport à celui des candidats, était de l’ordre de 40 % pour la première partie de l’examen, et de 50 % pour la deuxième7, ce qui signifie, compte tenu des redoublements, tant en classe de Première qu’en classe terminale, que moins de 20 % des postulants franchissaient la barrière sans échec. Mais évidemment, les candidats tentaient plusieurs fois leur chance, de sorte que pour apprécier la sélectivité du dispositif, il serait préférable de raisonner sur une période longue. D’après des calculs faits par les contemporains, pour la décennie 1892-1901, il y a eu un total de près de 217 000 candidats, alors que, de 1893 à 1902, le total des diplômes de bachelier délivrés s’établissait à 73 0008 : un tiers seulement des candidats réussissait donc à « sauter l’obstacle ».
En 1950, 72 418 candidats se sont inscrits à la première partie du baccalauréat, 30 333 ont été admis, soit 54 % ; 52 275 candidats se sont inscrits à la deuxième partie du baccalauréat, 32 362 ont été admis, soit 62 % ; on peut donc considérer que moins d’un tiers des postulants (31 %) obtenait le diplôme sans redoublement9. En 1965, la situation n’avait pas notablement changé :
Taux de réussite à l’examen probatoire et au baccalauréat en 1964 et 1965
Années Intitulé |
196410 |
196511 |
Examen probatoire (ex première partie du baccalauréat) |
59,9 |
|
Baccalauréat (ex deuxième partie du baccalauréat) |
|
60,9 |
À deux générations de distance, la sélectivité de l’examen demeurait forte.
b) À partir de 1965, la situation évolue graduellement. La première raison en est la suppression de l’examen probatoire (ancienne première partie), en 1965 : le taux de réussite au baccalauréat (ancienne deuxième partie) est certes demeuré d’abord assez voisin de celui précédemment observé mais il concernait des cohortes qui n’avaient pas eu à subir un premier « filtre », à la fin de la classe de Première ; ensuite le taux de réussite augmente régulièrement jusqu’à atteindre 95 %.
Évolution du taux de réussite au baccalauréat de 1980 à 202012
Années Intitulé |
1980 |
2000 |
2010 |
2020 |
Baccalauréat général |
65,9 |
79,9 |
87,3 |
97,6 |
Baccalauréat technologique |
59,2 |
79,1 |
81,6 |
94,8 |
Baccalauréat professionnel |
– |
79,1 |
86,5 |
90,4 |
Ensemble (tous baccalauréats) |
63,9 |
79,5 |
85,6 |
95 |
La quasi-totalité des candidats obtiennent désormais le diplôme et sont donc autorisés à poursuivre des études supérieures, ce qui correspond à un changement de fonction de l’examen : il certifie que les études secondaires ont été menées jusqu’à leur terme mais sa vocation à classer les candidats ne subsiste plus que via l’octroi des mentions dont est assortie la délivrance du diplôme.
Plutôt que de s’interroger (souvent pour ironiser…) sur le niveau des nouveaux lauréats comparativement à celui de leurs prédécesseurs, ce qui, pour le faire en toute rigueur, nécessiterait de disposer de résultats d’enquêtes réalisées à différents moments du temps13, il faut prendre acte du changement, et le mettre en rapport avec l’évolution générale du monde : dans des sociétés de la connaissance, en perpétuelle transformation, le déclassement menacerait vite les pays qui tarderaient à élever le niveau moyen d’éducation et, dans ce but, à ouvrir largement leur système éducatif.
Et dès lors que l’enseignement secondaire n’est plus, à titre principal, la première étape du processus de formation des futures élites mais s’adresse désormais au gros de la population, pourquoi le diplôme qui le couronne devrait-il sanctionner des aptitudes identiques à celles dont il visait à attester la possession, quelques générations plus tôt ?
Il reste qu’aussi compréhensibles que soient les changements intervenus au fil des années, le profil culturel d’une proportion significative des néo-bacheliers diffère sensiblement de celui de leurs devanciers : ces derniers, provenant de milieux sociaux familiarisés, de plus ou moins longue date, avec les connaissances et codes de la culture dominante sur lesquels sont édifiés, pour une part, les savoirs scolaires, bénéficiaient d’acquis qui les aidaient à se frayer un chemin dans un système éducatif, dont leurs familles n’ignoraient ni les impératifs, ni les arcanes.
Il en va tout autrement pour les nouveaux venus : souvent éloignés de la culture dominante, ils comptent principalement sur l’École pour s’en imprégner et développer leurs connaissances et compétences. La question est donc de savoir si celle-ci, initialement conçue et organisée pour répondre aux besoins de son premier public, a su suffisamment évoluer pour satisfaire les attentes de ses nouveaux usagers, ou, en d’autres termes, si l’offre de formation a su s’adapter à la demande. Elle se pose en fait pour tous les enseignements qui ont connu les vagues de démocratisation, c’est-à-dire tous ceux qui font suite au cycle primaire : les multiples réformes de l’enseignement secondaire depuis une cinquantaine d’années14disent suffisamment la difficulté de trouver un équilibre entre réalisme, c’est-à-dire nécessité de s’adapter au nouveau public, et volonté de conserver nombre de caractéristiques d’un modèle traditionnel fondamentalement élitiste ; elle se présente en des termes proches pour le premier cycle de l’enseignement supérieur.
2. Une offre de formation inégalement évolutive
S’agissant de l’offre de formation, il faut établir une nette distinction entre les aspects quantitatif et structurel.
2.1. Une adaptation quantitativement réussie
Quantitativement, l’offre s’est adaptée et l’évolution des effectifs étudiants a été spectaculaire : alors qu’ils étaient évalués à 123 500 en 1950-5115 et à 310 000 en 196016, ils se rapprochent désormais des trois millions.
Évolution des effectifs d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur de 1980 à 2020 (en milliers)17
Années |
1980 |
2000 |
2010 |
2020 |
Universités |
858,1 |
1 396,8 |
1 420,6 |
1 650,0 |
dont préparation du diplôme universitaire de technologie (DUT) |
53,7 |
116,9 |
115,7 |
120,9 |
dont ingénieurs (y compris en partenariat) |
8,3 |
23,2 |
23,9 |
31,2 |
Formations d’ingénieurs (hors universités yc en partenariat) |
31,6 |
73,4 |
101,6 |
140,7 |
Sections de Techniciens supérieurs (STS) et assimilés (scolaires) |
67,9 |
238,9 |
242,2 |
267,4 |
STS apprentis |
50,0 |
109,5 |
||
Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) |
40,1 |
70,3 |
79,9 |
84,9 |
Écoles de commerce, gestion, comptabilité (hors STS) |
15,8 |
63,4 |
121,3 |
219,5 |
Écoles paramédicales et sociales |
91,7 |
93,4 |
137,4 |
140,6 |
Autres Formations |
75,8 |
224,2 |
196,3 |
282,0 |
Ensemble |
1 181,1 |
2 160,3 |
2 349,2 |
2 894,5 |
dont privé |
|
277,4 |
446,9 |
671,4 |
dont étudiants étrangers |
|
174,6 |
286,1 |
367,8 |
À considérer les nouveaux entrants (qui ne sont pas tous bacheliers ni lauréats de la dernière session du baccalauréat), à la rentrée 2020-21, 332 400 d’entre eux se sont inscrits dans les universités (dont 54 900 pour préparer un DUT), 41 500 en classes préparatoires (CPGE), 140 400 en STS et assimilés18.
À bien des égards, ce bond quantitatif s’est réalisé de façon « homothétique », en ce sens que, si elles ne sont pas évidemment demeurées statiques, les structures, l’organisation et les pratiques de l’enseignement supérieur n’ont pas connu, en plus d’un demi-siècle, de transformation à la mesure de celle du profil des entrants.
2.2. Des structures résilientes
Notre enseignement supérieur reste caractérisé par son dualisme, qui s’accompagne d’un inégal encadrement des étudiants.
2.2.1. Un enseignement supérieur dualiste
Depuis deux siècles, l’enseignement supérieur est organisé, on le sait, en deux secteurs distincts : d’un côté, les grandes écoles, dont on peut rapprocher d’autres formations sélectives, apparues plus récemment, de l’autre, le gros des filières universitaires, aux méthodes et publics clairement différents.
Les grandes écoles, dont le nombre s’est accru au fil des ans, ont peu évolué dans leurs principes de fonctionnement.
Toutes assoient leur pouvoir d’attraction et leur rayonnement social sur la sélection à l’entrée, une sélection effective et de plus en plus rigoureuse pour les plus renommées d’entre elles (dont les effectifs augmentent beaucoup plus lentement que la demande), mais qui tient parfois de l’effet d’annonce pour celles qui sont moins recherchées. Le principe proclamé pour l’admission dans ces établissements, deux à trois ans après le baccalauréat, rejaillit évidemment sur les classes préparatoires des lycées qui reçoivent les néo-bacheliers désireux d’en franchir les portes, puisqu’aussi bien, ce n’est qu’en retenant les meilleurs élèves de l’enseignement secondaire que l’on peut espérer afficher de beaux taux de réussite aux concours de recrutement. Toute une filière sélective, avec deux paliers d’« écrémage », fonctionne ainsi selon les modalités traditionnelles.
Une autre filière sélective extra-universitaire, abritée dans les lycées et d’autres établissements (en section de technicien supérieur, STS) et créée il y a une soixantaine d’années19, prépare (en deux ans) les néo-bacheliers au brevet de technicien supérieur (BTS) : le diplôme est délivré à la suite d’un examen national (et non d’épreuves organisées par les enseignants de chaque section), et le recrutement après le baccalauréat privilégie (au vu des notes obtenues au lycée et à l’issue d’un entretien de motivation) les élèves jugés les plus aptes à le réussir, deux ans plus tard.
Les universités fonctionnent selon des normes tout à fait différentes : il n’y a pas de sélection à l’entrée, et même si la récente mise en place de procédures d’orientation contribue à encadrer le choix des postulants beaucoup plus que par le passé, le principe demeure celui de l’inscription de plein droit pour les détenteurs du baccalauréat20. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sélection ultérieurement ; en général, celle-ci intervient progressivement, tout au long du cursus (semestre après semestre ou année après année) et est étroitement liée au processus de formation lui-même. Le principe a cependant ses exceptions :
– dans les instituts universitaires de technologie (IUT), la sélection, qui date de la création de ces établissements, en 196621, intervient lors de l’admission des bacheliers et prend une forme comparable à celle mise en œuvre pour l’accès aux sections de techniciens supérieurs (dossier scolaire et appréciation de la motivation) ;
– pour les études de santé, régies par des numerus clausus, elle a lieu en cours de cursus, les étudiants devant être admis à un concours (organisé établissement par établissement) pour être autorisés à poursuivre leur formation.
L’opposition entre filières sélectives et non sélectives s’inscrit dans les faits mais aussi dans les mentalités ; avatar de la lutte entre valeurs aristocratiques et démocratiques, elle structure autant les conceptions et aspirations que les institutions. Les principes égalitaires, au nom desquels l’accès aux universités est ouvert à tout bachelier, ne faisant bon ménage ni avec ceux de l’élitisme républicain, qui justifie de recruter les cadres de la nation parmi les élèves jugés les plus aptes, ni avec l’« aspiration à la distinction sociale » communément répandue, la sélection officiellement honnie dans le discours est concrètement plébiscitée par beaucoup de familles et d’employeurs : dans une sorte de théâtre d’ombres, alors que les filières universitaires qui se livrent à la sélection, officiellement ou parfois subrepticement, restent discrètes au sujet d’une pratique qui n’est pas dans leur ADN22, les écoles s’en font une gloire, même si elle se révèle souvent assez largement illusoire : un affichage qui n’est évidemment pas neutre, puisqu’en se différenciant ainsi du « tout venant », elles renforcent leur prestige et peuvent espérer attirer élèves et ressources, et par suite offrir d’alléchantes perspectives professionnelles à leurs lauréats.
En deux générations, le dualisme qui caractérise notre enseignement supérieur a vu son champ évoluer ; la sélection s’est élargie ; elle concerne les sections de techniciens supérieurs et a fait son entrée à l’Université. Sur le fond pourtant, rien n’a vraiment changé : il continue, plus que jamais, de structurer les institutions et d’imprégner les mentalités.
2.2.2. Des filières de premier cycle inégalement encadrées
À l’exception notable des études (universitaires) de santé, l’opposition entre les deux types de filières ne se résume pas au mode d’admission ; elle retentit également sur l’encadrement dont bénéficient les étudiants.
Les filières qui sélectionnent à l’entrée (classes préparatoires, STS, IUT) proportionnent les effectifs à leur capacité d’accueil ; de plus, leurs enseignements sont assurés exclusivement (CPGE, STS) ou pour une bonne part (IUT) par des enseignants du Secondaire (professeurs agrégés et certifiés) qui, n’ayant pas statutairement obligation de mener des travaux de recherche, peuvent se consacrer entièrement à leurs élèves. De ce fait, il n’y a pas pour ces derniers de franche rupture avec les conditions de travail qu’ils ont connues au lycée ; ils continuent d’étudier au sein de groupes de taille restreinte et de bénéficier d’un encadrement rapproché.
La situation est très différente dans les filières universitaires « classiques » : les flux n’étant pas strictement régulés, il n’y a pas nécessairement concordance entre effectifs recrutés et capacités d’accueil. De plus, les conditions d’apprentissage se distinguent nettement de celles en vigueur au lycée, pour des raisons tenant à la fois au « modèle pédagogique » appliqué et à la composition du corps enseignant. Traditionnellement, le système universitaire fait le pari de laisser une grande liberté aux étudiants ; certes, le temps n’est plus où les cours magistraux constituaient l’essentiel de la formation ; la refondation de l’Université après 1968, l’introduction du LMD, la multiplication des enseignements en petits groupes ont conduit à resserrer les contraintes ; l’encadrement des étudiants demeure cependant nettement moins rigoureux que dans les premier cycles à accès sélectif, ne serait-ce que parce qu’il est assuré par un corps enseignant au profil distinct.
Celui-ci est fondamentalement constitué d’« enseignants-chercheurs » (maîtres de conférences et professeurs), auxquels des enseignants du Secondaire viennent, depuis quelques décennies, prêter main forte. Comme l’indique leur appellation, les membres des corps universitaires doivent assurer des tâches d’enseignement et de recherche, mais chacun sait que le déroulement des carrières, la reconnaissance professionnelle et le prestige social dépendent presque exclusivement des secondes et des publications qui leur font suite23. Et il est clair que l’audience reconnue au classement de Shangaï, qui fait de la recherche le critère quasi-exclusif de hiérarchisation des établissements, n’est pas de nature à inverser la tendance !
Tout temps consacré à l’enseignement (et aux tâches annexes) en premier cycle étant soustrait à la recherche (ce qui n’est pas nécessairement le cas pour les cycles ultérieurs, et en particulier pour les études doctorales), on comprend qu’il ne suscite pas toujours autant d’enthousiasme que souhaitable. On peut donc considérer que si les conditions d’apprentissage dans les universités conviennent aux étudiants « autonomes », capables de s’organiser et de s’autodiscipliner, elles s’adaptent moins bien à ceux qui continuent d’avoir besoin d’un suivi plus continu24.
Les modalités d’encadrement des étudiants se reflètent bien sûr dans les coûts de formation, dont les charges d’enseignement constituent le principal élément.
À partir des données d’un échantillon représentatif des formations publiques dépendantes du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, relatives à la période 2006- 2018, le Conseil d’analyse économique a pu calculer, pour les différentes filières, le coût moyen par étudiant d’une année de formation en premier cycle, c’est-à-dire la dépense publique au bénéfice de chacun d’eux25 :
Coût moyen par étudiant d’une année de formation en premier cycle en (en euros constants 2019)
Filières |
CPGE |
STS |
IUTa |
Licence LMDa |
Coûts |
13 400 |
12 372 |
9 747 |
3 730 |
a. Seuls 50 % du traitement des enseignants‐chercheurs sont comptabilisés au titre de la formation, les autres 50 % étant imputés aux activités de recherche.
Les écarts observés donnent une idée des disparités existant dans les conditions d’encadrement des jeunes étudiants ; ils conduisent à soulever plusieurs interrogations :
– quant à l’origine scolaire (en termes de baccalauréat obtenu) des entrants dans les différentes filières,
– quant à leur réussite dans les études entreprises,
– quant aux conséquences de la coexistence de filières sélectives et non sélectives.
a) Selon leur origine scolaire, les entrants sont inégalement accueillis dans les différentes filières. À considérer les séries du baccalauréat existantes avant la réforme de celui-ci, la répartition était la suivante :
Origine scolaire des nouveaux entrants dans les différentes filières en 2020-202126, en %
Filières Baccalauréat |
Bacheliers 2020 |
CPGE |
STS |
IUT |
Licence LMD |
|
Bacs généraux |
Scientifique |
27,6 |
69,3 |
7,9 |
38,5 |
31,2 |
Économique |
18 |
14,2 |
8,1 |
23,2 |
29,2 |
|
Littéraire |
7,6 |
7,7 |
2,4 |
1,6 |
16,2 |
|
Bacs technologiques |
20,7 |
6,4 |
33,3 |
33,6 |
12,7 |
|
Bacs professionnels |
26,1 |
0,3 |
31,3 |
1,5 |
5,8 |
|
Autresa |
– |
2,1 |
17,0 |
1,7 |
4,0 |
|
Total |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
a. Les nouveaux entrants ne sont pas tous bacheliers, et tous les bacheliers entrants n’ont pas été diplômés en 2020.
Compte tenu de l’attrait qu’elle exerçait auprès des lycéens, la filière couronnée par le baccalauréat (général) scientifique attirait beaucoup de bons élèves, dont on aurait pu a priori penser qu’ils avaient besoin de moins de suivi dans leurs études supérieures. Paradoxalement, ils étaient surreprésentés dans les filières les plus encadrées, fortement dans les CPGE (69,3 % des flux à la rentrée 2020), à un moindre degré mais significativement néanmoins dans les IUT. Les bacheliers technologiques et professionnels étaient aussi principalement accueillis dans des formations à accès régulé (dans les IUT et STS pour les premiers, dans les STS pour les seconds). Proportionnellement à leurs effectifs, les bacheliers économiques et littéraires étaient les plus nombreux dans les parcours de licence mais les bacheliers scientifiques y étaient aussi présents.
b) Au sortir des premiers cycles, les taux de réussite divergent fortement. Sauf exception, les élèves passés par les classes préparatoires valident leur formation en ce sens qu’ils ont la possibilité de poursuivre leurs études : le secteur regroupe en effet un ensemble d’écoles d’ingénieurs et de commerce, dont un certain nombre sont privées, qui ne bénéficient pas de la même reconnaissance sociale et entre lesquelles il existe une hiérarchie implicite ; les élèves qui ne sont pas admis dans l’établissement qu’ils visent en premier lieu, se satisfont d’un deuxième ou troisième choix.
Les autres secteurs de l’enseignement supérieur ne connaissant pas un tel continuum d’établissements et de formations, les résultats s’y apprécient en termes binaires : réussite ou échec.
Taux de réussite dans trois filières en proportion du nombre de présents ou d’inscrits27
Filières
Baccalauréat |
Réussite au BTSdes présents à l’examen en 2020 |
Réussite au DUT (en 2 et 3 ans) des étudiants inscrits en 2016 pour la première fois en 1èreannée de DUT |
Réussite en licence (en3 et 4 ans) des étudiants inscrits en 2015 pour la première fois en L1 |
|
Bacs généraux |
Scientifique |
92,9 |
84,7 |
52,4 |
Économique |
93,9 |
85,1 |
51,4 |
|
Littéraire |
91,8 |
79,3 |
46,3 |
|
Bacs technologiques |
87,5 |
63,7 |
16,2 |
|
Bacs professionnels |
79,3 |
55,9 |
6,3 |
|
Autres |
82,7 |
72,3 |
43,4 |
|
Ensemble |
86,5 |
77,8 |
40,8a |
a. En trois ans le taux de réussite est de 29 %.
Les taux de réussite relevés dans les parcours de licence (qui, à l’évidence, ne conviennent pas aux bacheliers technologiques et professionnels) concernent des étudiants inscrits en 2015, c’est-à-dire avant que les procédures d’orientation introduites à l’entrée en premier cycle, en 2018 (avec la plateforme Parcoursup), ne produisent leurs effets, et permettent une amélioration de ces taux.
c) La tendance est claire cependant et les chiffres se révèlent sans surprise : les taux les plus élevés sont observés dans les filières autorisées à sélectionner leurs étudiants, c’est-à-dire à recruter ceux qu’elles considèrent comme les mieux à même de tirer profit des enseignements qu’elles dispensent, filières qui sont en même temps les mieux encadrées. La situation est tout autre pour les parcours de licence : pour les étudiants inscrits pour la première fois en 2015, ni orientation (à l’époque), ni encadrement « rapproché » ; en conséquence, 40 % seulement d’entre eux ont obtenu le diplôme en trois ou quatre ans (et moins de 30 % en trois ans, durée normale de préparation d’une licence), ce qui, pour dire les choses plus brutalement, correspond à des taux d’échec de l’ordre de 60 % (et même de 70 %, si l’on se réfère à la durée normale du cycle). C’est dire les « marges d’amélioration » ouvertes devant les procédures d’orientation !
Les échecs enregistrés dans les premiers cycles aux effectifs les plus fournis sont lourds de conséquences :
– de nombreux étudiants engagés, souvent par défaut, dans des cursus qui ne leur conviennent pas, se retrouvent, quelques années plus tard, au point de départ, non sans aigreur et amertume ;
– les études qui n’ont pas débouché ont néanmoins occasionné une consommation de ressources aussi bien publiques (coût de la formation, aides financières éventuelles) que privées (dépenses prises en charge par les familles et les étudiants eux-mêmes) ;
– enfin, la situation s’accompagne, dans l’esprit public, d’une dévalorisation des institutions universitaires (publiques), auxquelles on fait jouer, à leur corps défendant, le rôle de « variable d’ajustement » : elles se voient confier des missions, sans disposer, compte tenu du profil d’une importante proportion des étudiants qu’elles accueillent, des moyens, et singulièrement des ressources humaines, qui leur permettraient de les assurer dans des conditions comparables à celles dont bénéficient les autres filières de formation ; une dévalorisation qui a pour pendant la montée en puissance des établissements privés, de valeur au demeurant très inégale, et la vogue des études à l’étranger, et contribue ainsi, au rebours des (bonnes) intentions proclamées, à substituer la « sélection par l’argent » à celle par le mérite scolaire.
En dépit des satisfecit dont il est l’objet, le fonctionnement des filières sélectives ne va pas sans soulever lui-même des interrogations. Leur image sort renforcée par les résultats qu’y obtiennent les étudiants et, les considérations de prestige aidant, elles exercent une forte attraction sur les élèves, y compris sur ceux d’entre eux que leurs goûts auraient a prioriporté vers d’autres enseignements que ceux qu’elles proposent.
Il peut s’ensuivre des biais d’orientation, regrettables du point de vue de l’intérêt aussi bien individuel que collectif :
– des jeunes se dirigent vers des formations censées les préparer à une insertion rapide dans la vie professionnelle (du type IUT et STS) alors qu’ils ont l’intention de poursuivre en second cycle et que, dans cette perspective, un premier cycle plus généraliste, qui leur éviterait d’inutiles répétitions, leur serait sans doute davantage profitable ;
– beaucoup de bons et très bons élèves croiraient déchoir en ne portant pas leur choix sur les classes préparatoires, ce qui a plusieurs implications : ils bénéficient d’un encadrement rigoureux (et coûteux), dont ils n’ont pas nécessairement l’envie ni le besoin, alors que leur profil, proche de celui des bacheliers d’antan, leur aurait permis de réussir brillamment dans des cursus de type universitaire ; par ailleurs, en termes d’intérêt général, il faut se demander si cette polarisation sur les formations dispensées par les grandes écoles, c’est-à-dire, pour l’essentiel sur les cursus commerciaux et d’ingénieurs, n’a pas pour contrepartie une raréfaction des talents dans les disciplines que seule l’Université enseigne ainsi que pour les études doctorales et la recherche à laquelle elles préparent.
Le constat des dysfonctionnements de notre enseignement supérieur invite à explorer quelques-unes des pistes qui permettraient d’aménager l’offre de formation, pour mieux répondre à la demande.
3. Les pistes d’aménagement de l’offre de formation
Après la tabula rasa, sans équivalent dans les autres pays européens, pratiquée par la Révolution, qui a conduit à la suppression des universités et à la création des grandes écoles originelles, notre enseignement supérieur a connu deux siècles d’évolution, qui ont vu les premières renaître de leurs cendres et les secondes se multiplier, pour déboucher sur l’organisation duale qui le caractérise aujourd’hui.
Le retour à l’unité, c’est-à-dire la suppression des grandes écoles et le renforcement des universités, qui nous ramènerait au modèle dominant, a de longue date des partisans28 et aurait peut-être été envisageable dans le cadre des « remises à plat » qui ont fait suite à la Libération. En l’état actuel des choses, il impliquerait de tels bouleversement dans les structures de l’enseignement supérieur, les hiérarchies scolaires et sociales, les mentalités, qu’il paraît inutile de s’y attarder, même à titre d’hypothèse de travail. Il ne serait sans doute pas non plus réaliste d’envisager l’extension de la sélection aux filières qui ne la pratiquent pas : parce que, lui servant en quelque sorte de succédané, les procédures d’orientation permettent désormais de mieux accompagner les futurs étudiants dans leur choix et de leur éviter les erreurs les plus grossières, et que, dans ces conditions, on voit mal quel gouvernement serait à ce point oublieux des déconvenues du projet Devaquet29 pour se hasarder à briser le tabou du « droit à l’inscription de tout bachelier dans l’enseignement supérieur ».
Plus modestement, il faut donc s’interroger sur les voies qui permettraient, en prolongeant les récentes innovations concernant le deuxième cycle de l’enseignement secondaire et l’orientation, de faire évoluer à bas bruit, en évitant « les sujets qui fâchent », l’offre de formation, pour l’adapter au nouvel état de la demande, et proposer aux étudiants, dans l’intérêt général comme dans le leur propre, des enseignements mieux en rapport avec leurs capacités. Ce que l’on tentera en recherchant des éléments de réponses à deux questions, étroitement liées, portant :
– sur l’organisation de l’enseignement supérieur,
– sur les personnels chargés de l’encadrement des formations.
3.1. La question de l’organisation de l’enseignement supérieur
La corrélation entre réussite dans les études de premier cycle et encadrement des formations invite à explorer les voies du renforcement de celui-ci. Une solution qui vient aussitôt à l’esprit, car elle a le mérite de pouvoir être mise en œuvre sans remaniement des structures, consiste à augmenter substantiellement le nombre de places dans les filières techniques sélectives (IUT et STS), en particulier afin d’y accueillir davantage de bacheliers technologiques et professionnels.
Pour intéressante qu’elle soit, elle rencontre vite ses limites : elle ne concerne que des filières courtes, ayant vocation à déboucher rapidement sur l’emploi, et n’intéresse qu’une partie des disciplines. On ne peut donc éviter de poser la question de l’encadrement des premiers cycles universitaires classiques, qui préparent aux poursuites d’études en master et doctorat, et embrassent le champ de connaissances le plus large. Une piste évoquée sans succès depuis des décennies30 mais que l’évolution du profil des jeunes étudiants devrait conduire à reconsidérer avec attention est celle des collèges universitaires. Chaque université créerait en son sein un collège qui hébergerait l’ensemble des formations de premier cycle qu’elle organise (licences LMD, formations en IUT), et qui aurait vocation à entretenir des liens (à définir) avec les filières actuellement abritées dans les lycées (sections de techniciens supérieurs et classes préparatoires aux grandes écoles) ; l’encadrement y serait inspiré des méthodes en usage dans les filières sélectives (groupes restreints, « suivi rapproché » des apprenants). La mise en place de ces collèges pourrait également fournir l’occasion de mieux ménager la transition avec le cycle secondaire en ce qui concerne le contenu des enseignements : au lieu d’avoir à opter pour telle ou telle discipline dès leur inscription à l’université, les étudiants pourraient se voir proposer une spécialisation progressive, au sein de grands champs de connaissances (sciences exactes, humanités….), ce qui leur donnerait le loisir de préciser leurs intérêts et d’effectuer un choix plus éclairé.
Au demeurant, la création des collèges pourrait être analysée non comme une rupture dans l’organisation de notre enseignement supérieur, mais, à certains égards, comme un retour à des solutions ayant fait leurs preuves dans le passé.
En effet, à partir de 1896, furent progressivement mis en place dans les facultés des sciences, puis des lettres, des certificats d’études supérieures préparatoires dits certificats propédeutiques31, dont l’objectif était de sanctionner un enseignement intermédiaire entre celui du lycée et celui délivré en vue de l’obtention des certificats de licence proprement dits. Après plusieurs changements, ils constituèrent des certificats préalables aux certificats de licence ; leur préparation, d’abord facultative, devint obligatoire en 1947, ce qui en fit d’ailleurs un redoutable « filtre », jusqu’à leur suppression en 196632.
En tout état de cause, la création des collèges universitaires aurait le mérite, sinon de faire disparaître, du moins d’abaisser les barrières existant entre les différents premiers cycles, et peut-être de faciliter les échanges entre eux : partages de ressources, « passerelles » d’une formation à l’autre… ; elle atténuerait les disparités existant actuellement, notamment en termes de dépenses publiques, puisque des structures à encadrement comparable accueilleraient les jeunes étudiants, qu’ils se proposent d’entreprendre un cursus long ou qu’ils privilégient des parcours à visée professionnelle à court terme. Elle ne manquerait pas, il est vrai, de se heurter à des objections : « secondarisation » de l’enseignement supérieur, porte ouverte à des universités à deux vitesses avec, d’un côté, celles de « plein exercice », de l’autre, celles qui axeraient leur activité sur le premier cycle. Mais ayant fait ses preuves dans des pays confrontés avant le nôtre à la massification des effectifs étudiants, elle obéirait en tout cas à un principe de réalité : car, répétons-le, sauf à s’accommoder de la politique de l’autruche, peut-on continuer à offrir à des cohortes d’étudiants, représentant la presque totalité d’une génération, des conditions d’études finalement assez similaires à celles faites à leurs devanciers, qui eux n’en constituaient qu’une minorité (socialement et culturellement favorisée) ?
L’enseignement, « activité de main-d’œuvre », ne valant que par la qualification et l’implication des agents qui s’y consacrent, la réflexion sur les structures doit nécessairement s’accompagner d’une autre sur les enseignants, à qui revient la charge d’assurer concrètement l’encadrement des formations.
3.2. La question des personnels chargés de l’encadrement des formations
a) En l’état actuel des choses, les premiers cycles sont encadrés, on l’a vu, par des personnels enseignants aux statuts distincts :
– personnels de l’enseignement secondaire dans les formations sélectives (exclusivement dans les CPGE et les STS, principalement dans les IUT),
– personnels de statut universitaire, à titre principal, dans les autres formations.
Ces différences statutaires conduisent à s’interroger sur les implications de la création de collèges universitaires au regard des catégories de personnels appelés à y exercer leur activité : conviendrait-il d’étendre à terme la formule des premières aux secondes, ou ces dernières pourraient-elles conserver leur spécificité ? Si les barrières instaurées à l’entrée ne sont pas étrangères au succès des formation sélectives (en termes de réussite des étudiants), il ne fait guère de doute que les conditions dans lesquelles elles encadrent les étudiants y contribuent également et ont de ce fait valeur d’exemple.
Vu de l’étranger, il peut paraître incongru d’organiser, comme on le fait en France, des enseignements supérieurs dans des établissements secondaires, et, par suite, de les confier à des enseignants relevant de cet ordre d’enseignement.
Pour expliquer une situation paradoxale, il faut se référer à une tradition ancienne qui privilégie, dans les procédures de recrutement, les connaissances disciplinaires au détriment des compétences pédagogiques, tenues, jusqu’à une date récente, pour quantité négligeable. En conséquence de quoi, la profession est structurée en deux corps (aux prérogatives et obligations distinctes), celui des professeurs agrégés et celui des professeurs certifiés, principalement en fonction du niveau présumé de ces connaissances, tel que permettent de l’apprécier des concours, dont certains, très sélectifs, valent un grand prestige social à leurs lauréats. On comprend, dans ces conditions, qu’une filière recherchée, celle des classes préparatoires, soit exclusivement encadrée par des professeurs appartenant aux cadres de l’enseignement secondaire, principalement des agrégés.
A priori, il serait donc concevable que l’essentiel de l’encadrement des formations organisées à l’avenir dans les collèges universitaires soit assuré par des enseignants du Secondaire, ce qui ne devrait pas empêcher l’appel, en tant que de besoin, à des personnels de l’enseignement supérieur (ou à des personnalités extérieures), particulièrement dans les disciplines pour lesquelles les premiers feraient défaut. Cette solution aurait plusieurs avantages :
– les jeunes étudiants seraient confiés, répétons-le, à des personnels qui ne seraient pas distraits de leurs obligations d’enseignement par la nécessité de consacrer du temps à la recherche ;
– il serait tiré un meilleur parti des connaissances disciplinaires de ces personnels, souvent surqualifiés au regard des attentes du public lycéen ;
– après un passage en lycée, ils percevraient leur affectation en premier cycle de l’enseignement supérieur comme une évolution heureuse de carrière, ce qui ne manquerait pas de retentir sur leur motivation, alors que beaucoup d’enseignants de statut universitaire, confrontés à l’obligation de publier, conçoivent plutôt comme une contrainte l’enseignement à ce niveau.
Concrètement, les professeurs agrégés et certifiés actuellement en fonction dans les universités seraient affectés à ces collèges, où ils seraient rejoints par des collègues en provenance de l’enseignement secondaire. Sauf exception, les personnels de statut universitaire déploieraient désormais leur activité en second et troisième cycles, évolution qui devrait fournir l’occasion d’une réflexion concernant leur emploi et leur carrière ; car, même dans cette hypothèse, ils seraient confrontés à des défis difficiles à relever.
b) Présentement, les personnels fonctionnaires appartiennent, on le sait, à deux corps, celui des maîtres de conférences et celui des professeurs, aux obligations de service identiques et aux tâches très voisines, et qui les uns et les autres sont censés partager leur temps entre enseignement et recherche. Même dans l’hypothèse où leurs activités seraient recentrées sur les deux cycles supérieurs, la compatibilité entre les deux missions n’irait pas de soi : alors que la reconnaissance académique dépend des travaux de recherche, les établissements ne s’en voient pas moins assigner (au niveau du deuxième cycle, si les collèges universitaires étaient mis en place) un objectif de professionnalisation des enseignements, laquelle requiert une énergie considérable (en contact avec les futurs employeurs, en visite des stagiaires et apprentis…), qui n’est par définition plus disponible pour mener des travaux scientifiques, eux-mêmes absorbants. S’il est envisageable qu’une partie des tâches liées à la professionnalisation revienne à des agents contractuels33, il paraît difficile d’en décharger les personnels fonctionnaires.
La question se pose donc de savoir comment rendre conciliable ce qui a priori ne le semble pas.
Faudrait-il admettre que, parmi les personnels remplissant les conditions requises pour appartenir à l’un ou l’autre corps, les uns aient plutôt un « profil recherche », les autres plutôt un « profil enseignement », mais bénéficient tous de perspectives de carrière comparables, cela au risque de voir la distinction déboucher, à terme, sur une partition (de fait ou de droit) entre deux catégories d’universités mais aussi d’universitaires ? Conviendrait-il de considérer qu’au cours d’une vie professionnelle, les deux types d’activités pourraient avoir alternativement un caractère dominant, c’est-à-dire qu’à une période essentiellement consacrée à la recherche pourrait faire suite une autre dédiée à l’enseignement, ou inversement, ce qui impliquerait que les obligations statutaires (volume horaire d’enseignement à assurer) ne soient pas déterminées annuellement mais sur une base pluriannuelle ? Il reste que les qualités requises pour mener à bien les deux activités n’étant pas nécessairement les mêmes, le passage de l’une à l’autre pourrait s’avérer délicat. Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’à l’évolution des missions confiées aux universités, sommées en même temps d’exceller dans le domaine de la recherche et de professionnaliser leurs enseignements, doivent répondre des changements quant aux ressources humaines à leur disposition ; certes des initiatives ont été prises pour accompagner les transformations en cours, notamment pour faciliter les travaux de recherche34, mais elles restent partielles et ne dispensent pas d’une réflexion d’ensemble.
Conclusion
Depuis quelques années, la réforme du baccalauréat et la mise en place de procédures d’orientation ont sensiblement fait évoluer la donne en ce qui concerne le passage de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur : la première en supprimant les séries et en réduisant le tropisme des mathématiques a modifié la perception que les jeunes et leurs familles ont des enseignements proposés, aussi bien au lycée qu’ultérieurement ; la seconde doit permettre aux bacheliers de choisir leur voie en meilleure connaissance de cause. S’il est encore trop tôt pour apprécier précisément les effets conjugués de ces innovations, on peut raisonnablement espérer qu’elles vont contribuer à faire reculer l’échec dans les premiers cycles universitaires.
Il serait hasardeux cependant d’en attendre des miracles aussi longtemps que la transition entre les deux ordres d’enseignement ne sera pas aménagée pour tenir compte du profil d’une majorité de jeunes étudiants, et leur offrir, le temps pour eux de s’adapter, un encadrement qui ne soit pas trop en rupture avec celui auquel ils sont accoutumés.
Cette réorganisation aura un coût. En 2018, la France consacrait 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) à son enseignement supérieur, se situant dans la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)35, mais sensiblement en retrait par rapport aux pays les plus avancés en ce domaine. De plus, depuis quelques années, les dépenses publiques au profit de l’enseignement supérieur évoluent moins vite que le PIB36 mais aussi que lenombre d’étudiants37. Pour espérer mieux accueillir les étudiants en premier cycle, il sera donc nécessaire d’inverser la tendance. C’est dire que la question de l’encadrement ne pourra sans doute pas être abordée indépendamment de celle du financement de l’enseignement supérieur, qui promet des débats animés entre partisans de la perpétuation de la quasi-gratuité de l’enseignement supérieur et avocats de sa remise en cause. Il ne faudrait pas en tout cas que la difficulté à apporter des réponses à la seconde renvoie le traitement de la première aux calendres grecques !
Daniel Gouadain
Professeur des universités honoraire
- Nombre d’admis à l’issue des deux parties du baccalauréat. Source : Jean-Claude Chesnais, « La population des bacheliers en France. Estimation et projection jusqu’en 1995 », Population, 30ᵉ année, n°3, 1975. pp. 527-550. ↩
- Champ géographique : année 1980, pour le nombre et la proportion de bacheliers et année 2000 pour la proportion de bacheliers : France métropolitaine. Source : Ministère de l’Éducation nationale, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, édition 2009, Paris, septembre 2009, p. 229 et 235. ↩
- Champ géographique : année 2000, pour le nombre de bacheliers et années 2010 et 2020, pour le nombre et la proportion de bacheliers : France métropolitaine + Départements et régions d’outre-mer (DROM) (hors Mayotte, sauf en 2020, pour le nombre de bacheliers). Source : DEPP, Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, édition 2021, juillet 2021, p. 223 et 227. ↩
- La première session du baccalauréat technologique a été organisée en 1969. ↩
- La première session du baccalauréat professionnel a été organisée en 1987. ↩
- Rebaptisée « examen probatoire » en 1963, la première partie du baccalauréat a été supprimée en 1965. ↩
- Paul Meuriot (1919). « Le baccalauréat. Son évolution historique et statistique des origines (1808) à nos jours », Journal de la société statistique de Paris, tome 60, pp. 68-74. En ligne : http://www.numdam.org/item?id=JSFS_1919__60__67_0. ↩
- Meuriot, op.cit., p. 88. ↩
- Ministère de l’Éducation nationale, Bureau universitaire de statistique (BUS) & Centre d’études et de recherches documentaires de l’enseignement technique (CERDET) (1952). « Baccalauréat : évolution des admis de 1900 à 1950. Résultats détaillés pour les années 1948, 1949 et 1950 », Publication de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) / Archives, Paris. En ligne : https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/Default/doc/SYRACUSE/10886/le-baccalaureat-evolution-des-admis-de-1900-a-1950-resultats-detailles-pour-les-annees-1948-1949. ↩
- Alain Girod de l’Ain, Le baccalauréat 1964. « Deux fois et demie plus d’admis qu’en 1954. Proportion plus élevée de succès chez les filles que chez les garçons », Le Monde, 25 mars 1965. ↩
- Ministère de l’Éducation nationale, Secrétariat général, Service Central des Statistiques et de la Conjoncture, Division des Statistiques de l’Enseignement et de l’Éducation, Bureau de Documentation et d’Information statistique, Résultats aux examens du baccalauréat, session 1965, doc. n° 1 907. ↩
- Champ, années 1980 à 2020 : France métropolitaine + DROM (Mayotte en 2020). Source : DEPP, Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, édition 2021, juillet 2021, p. 225. ↩
- Enquêtes du type de celles organisées dans le cadre du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), mis en place par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). ↩
- La dernière en date, en 2018, porte sur les trois années du lycée et le baccalauréat. Décret n° 2018-614 du 16 juillet 2018 modifiant les dispositions du code de l’éducation relatives aux enseignements conduisant au baccalauréat général et aux formations technologiques conduisant au baccalauréat technologique. ↩
- L., « Les effectifs d’étudiants dans les universités. Situation actuelle et perspectives, d’après le Bureau universitaire de statistique », Population, 12ᵉ année, n°3, 1957. pp. 522-529. ↩
- Champ : France métropolitaine + DOM. Source : Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France n°10, avril 2017, p. 31. En ligne : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/l-etat-de-l-enseignement-superieur-et-de-la-recherche-en-france-ndeg10-avril-2017-47828. ↩
- Champ : France métropolitaine + DROM. Les chiffres prennent en compte les évolutions des périmètres des établissements. Source : Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Paris, « Les effectifs d’étudiants dans l’enseignement supérieur en 2020-2021 en progression constante », Note d’information du SIES, n° 14, décembre 2021. En ligne : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/note_information_du_sies/. ↩
- Champ : France métropolitaine + DOM. Source : Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, édition 2021, op. cit., p. 159, 163, 169, 171. ↩
- Décret n°59-57 du 6 janvier 1959 et décret n°62-216 du 26 février 1962. ↩
- La loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants rappelle le principe en son article 1er : « Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat et à ceux qui ont obtenu l’équivalence ou la dispense de ce grade … L’inscription dans une formation du premier cycle dispensée par un établissement public est précédée d’une procédure nationale de préinscription qui permet aux candidats de bénéficier d’un dispositif d’information et d’orientation…». ↩
- Décret n°66-27 du 7 janvier 1966. ↩
- Le mot de sélection étant banni, on parlera pudiquement de « filières à accès régulé ». ↩
- « Publish or perish », comme disent les Anglo-saxons. ↩
- On en trouverait une confirmation dans le succès des établissements privés (héritiers des vieilles « boîtes à bac ») qui fleurissent pour préparer les étudiants, par ailleurs inscrits dans les universités, aux concours donnant accès à la poursuite des études dans le domaine médical. ↩
- Hamza Bennani, Gabriele Dabbaghian et Madeleine Péron, « Les coûts des formations dans l’enseignement supérieur français : déterminants et disparités », Focus du Conseil d’analyse économique, n°074‐2021, décembre 2021, p. 18. ↩
- Champ : France métropolitaine + DROM (établissements publics et privés sous ou hors contrat pour les CPEG et STS). Source : Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, édition 2021, op. cit., p. 159, 163, 169, 171, 223. ↩
- Ibidem, p. 237, 243, 249. ↩
- C’est le point de vue que défendait Marc Bloch en 1943/44 : « Nous demandons la reconstitution de vraies universités, divisées désormais, non en rigides facultés qui se prennent pour des patries, mais en souples groupements de disciplines ; puis, concurremment avec cette grande réforme, l’abolition des écoles spéciales ». Marc Bloch, L’étrange défaite, Paris, Gallimard, Folio/Histoire, 1990, p. 262. ↩
- Fin 1986, le projet Devaquet prévoyait notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités, et de mettre celles-ci en concurrence ; très contesté il a dû être retiré. ↩
- et récemment par la Cour des comptes. Cour des comptes, Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités. Les enjeux structurels pour la France, Paris, octobre 2021, p. 24 et 25. ↩
-
Désignés, au milieu des années 1960, sous les sigles suivants :
– pour les lettres : CELG (certificat d’études littéraire générales) classiques ou modernes ;
– pour les sciences : MGP (Mathématiques générales, physique) MPC (Mathématiques, physique, chimie), SPCN (Sciences physiques, chimiques et naturelles), PCB (Physique, chimie et biologie). ↩
- Dans le cadre de la réforme Fouchet, qui organisa le premier cycle sur deux ans avec comme sanction des études le diplôme universitaire d’études scientifiques (DUES) et le diplôme universitaire d’études littéraires (DUEL). ↩
- Aux termes du décret n°85-733 du 17 juillet 1985 relatif aux maîtres de conférences et professeurs des universités associés ou invités, il est possible de recruter, à mi-temps ou à temps plein, des agents contractuels justifiant d’une expérience professionnelle directement en rapport avec la spécialité à enseigner, autre qu’une activité d’enseignement ; ils sont désignés communément sous les acronymes PAST (professeur associé en service temporaire) et MAST (maître de conférences associé en service temporaire). ↩
- Les enseignants-chercheurs peuvent solliciter de longue date un Congé pour Recherches ou Conversions Thématiques. La loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur a introduit diverses innovations : chaires de professeur junior (permettant le recrutement dérogatoire de professeurs assistants temporaires), contrats à durée indéterminée de mission au bénéfice des chercheurs (CDI de chantier, appelés à se terminer à la fin d’un projet de recherche). ↩
- Dépenses totales au titre des établissements d’enseignement supérieur en pourcentage du PIB. En 2018, le pourcentage s’élevait à 2,5 aux États-Unis, 2 au Royaume-Uni et en Norvège. Source : OCDE, Regards sur l’éducation 2021, p. 262. Le Livre blanc de l’enseignement supérieur et de la recherche de 2017 fixait l’objectif de parvenir dans 10 ans, à horizon 2027, à un financement en faveur de l’enseignement supérieur de 2 % du PIB. Source : Bertrand Monthubert (dir.), Livre blanc de l’enseignement supérieur et de la recherche 2017, Rapport public, Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – Secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, Paris, 2017, p. 143. ↩
- Sur la base d’un indice 100 affecté à l’année 2015, le PIB français est passé de l’indice 97,1 en 2012 à l’indice 105,3 en 2018, tandis que les dépenses publiques au titre des établissements d’enseignement supérieur en pourcentage du PIB passaient de l’indice 99,5 en 2012 à l’indice 98,9 en 2018. Source : OCDE, op. cit. p. 263. ↩
- Les effectifs étudiants sont passés de 2 387 000 en 2012 à 2 569 900 en 2015 et à 2754 600 en 2018, soit en affectant l’indice 100 à l’année 2015, de l’indice 92,9 en 2012 à l’indice 108,7 en 2018. Sources : Notes d’information du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ; pour l’année 2012 : Note d’information. Enseignement supérieur et Recherche n° 1, février 2014 ; pour les années 2015 et 2018 : Note d’information du SIES, n° 14, décembre 2021, op.cit. ↩