Ceux que l’on appelle quelquefois « casseurs » ou « black blocks » sont, pour la plupart, des anarchistes, dans la plus pure tradition bakounienne. Ils « cassent » évidemment puisque la destruction de l’Etat, de ses agents et de ses symboles, est au cœur de leur idéologie. Quant aux vêtements noirs qu’ils portent dans la rue – avec d’autres, casseurs plus « ordinaires » (qui appartiennent alors au monde des lycées et des étudiants ou sont issus des cités), ils sont le moyen de conserver un anonymat traqué en permanence par un filmage policier méthodique (complété aujourd’hui par l’usage de drones). Ajoutons – ce que chacun sait – qu’un « black bloc » est une méthode d’organisation et de combat – plus organisée qu’il n’y paraît.
Mais revenons sur le projet anarchiste et relisons rapidement Bakounine, l’un de ses meilleurs héraults. L’anarchisme s’appuie sur la « spontanéité révolutionnaire des éléments non organisés [au sens de « n’appartenant pas à des groupes partisans »], sur l’action des « minorités agissantes » et sur le refus du principe électif.
La révolution anarchiste ne s’exprime pas en « chambres » mais sur la place publique ; elle n’est donc pas enfermée dans des sessions, elle est permanente (l’occasion faisant l’action).
Selon le « catéchisme révolutionnaire » de Bakounine, les anarchistes « ratissent large », cherchant en particulier « l’union avec le monde aventurier des brigands ». Qui détruit avec nous, disent-ils haut et fort, est le bienvenu (qu’il soit lycéen, étudiant, jeune des cités, jeune ouvrier, etc.) ! Et cela, qu’il s’agisse de détruire des biens (de préférence capitalistes comme des banques, des agences immobilières, des concessions d’automobiles de luxe) ou de « casser » du flic.
Si, dans les rues ouvertes à ces protestataires, le drapeau noir est peut-être moins visible qu’autrefois, la lettre A cerclée demeure très visible sur façades, murs, devantures, mobilier urbain.
Les militants de l’« ultra-gauche », comme les nomme le pouvoir, sont des révolutionnaires violents de l’ordre établi. Si la gauche dite républicaine a pu, en d’autres temps, être particulièrement virulente contre ce qu’elle nommait alors le « gauchisme » (mais nous étions au temps des idéologies !), elle est aujourd’hui plus « taisante », se bornant, comme la majeure partie de la classe politique tous bords confondus, à dénoncer les violences de rues, évidemment « inacceptables », selon le terme médiatico-politique en vogue.
Les anarchistes ne veulent d’aucun pouvoir, fut-il démocratique, d’aucun suffrage, fut-il universel (suffrage qui au demeurant n’est plus vraiment cet « instrument d’émancipation » dont parlait Engels dans sa préface au livre de Marx La lutte des classes en France). Qui ne voit en effet les limites actuelles des « moyens légaux » d’expression, ou celles du réformisme syndical et politique ?
Les anarchistes demeurent avant tout des internationalistes [ce qui est visible dans les grands cortèges du 1er mai par exemple où voisinent jeunes anglais, jeunes allemands, jeunes espagnols]. Quoi de plus logique puisque la cible à abattre est le capitalisme mondialisé ?
Bien entendu, aujourd’hui comme hier, l’anarchie, dans son expression naturellement violente, sert le pouvoir qui aussitôt renforce sa politique répressive, notamment à travers son bras armé que sont la police et la gendarme
La violence continue de faire peur aux démocraties et en particulier à la pseudo-démocratie française (qui semble ne consentir qu’à la prétendue « violence légitime » de l’Etat). Pourtant, si une majorité de Français désapprouve toujours les « casses urbaines, une fraction (encore difficile à évaluer) dit les « comprendre ». Nombre de militants syndicaux, il est vrai appartenant aux organisations les plus radicales comme la CGT, Solidaires, Sud Rail…, nombre de militants politiques – de la France insoumise en particulier -, commencent à penser et à dire de plus en plus que l’usage de la violence contre un pouvoir autoritaire sourd aux revendications populaires n’est plus totalement une perspective dénuée de sens.
Michel Fize
Sociologue et politologue
Auteur de Colères (Ed. Amazon, 2023)